Chapitre XXX

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Les températures avaient légèrement baissées en ce début d'été à Bruckston. Les jours étaient tempérés mais les nuits étaient très froides. Sheldon, se promenant tardivement dans les rues de Bruckston était en quête d'un bar pour se tenir au chaud. Mais pas n'importe lequel. Près d'un pont qui surplombait quelques immeubles, le "piano" était au coin de la rue, un bar qui paraissait banal comme plein d'autres. Il pénétra à l'intérieur et s'assit au bar. Il ne regardait nul part d'autre que devant lui. Il commanda un cognac et regarda à sa gauche. Près de lui sur une table, plusieurs le regardait. À sa droite, il y avait une salle surélevée où trois étaient assis un peu dans l'ombre affalés sur des canapés. Ils semblaient le regarder aussi. Sheldon attrapa son verre et commença à boire frénétiquement. Il se retourna de nouveau vers la droite, et sursauta lorsqu'il vit un rat sur l'épaule d'un des hommes dans l'ombre qui fumait un cigare. Tout paraissait calme, et Sheldon commença à avoir la vue trouble et un mal de crâne lui vint. Il se massa les tempes: il travaillait trop. Toutes ces nouvelles réformes, les changements récents de la police, des services secrets, ça prenait des heures et c'était une plaie administrative. Il paya au bar, et sortit en fixant la pièce et le rat sur l'épaule du type étrange... Les quelques personnes assises dans ce bars qui n'avaient pas décroché un seul mot le regarda passer comme une vache qui regarde passer un train. Un fois dehors, il se sentit ballonné, et sa migraine avait repris le dessus. Il pénétra dans un des nombreux taxis qui attendaient sur le côté de la rue et indiqua son adresse. Il repensa aux ombres qu'il avait vu au fond de cette pièce. Peut-être avait-il rêvé? Son travail le prenait beaucoup trop. La criminalité avait explosé dans la cité, et il traînait des tas de dossiers, il devenait paranoïaque de ses collègues dont la moitié étaient corrompus. Ils ne parlaient jamais de telles choses dans ces locaux. C'était quelque chose de flou, tabou, dont on ne disait jamais un seul mot. A l'exception que tout le monde savait vers qui se tourner pour devenir corrompu, pour qui? Pour quoi? Ça, personne ne savait. Pour la plus grande atrocité de l'humanité peut-être, mais ça tout le monde s'en fichait du moment qu'ils rentraient de l'argent dans leurs foyers. Tout ça en échange de quelques abus de pouvoir. Heureusement que les services secrets de Bruckston étaient assez détachés du gouvernement ; les ministères fouinaient autour d'eux pour traîner dans les dossiers, les actions en cours. Mais les représentants du service d'information n'étaient pas dupes. Une poussée de sa migraine interrompit ses pensées, quand le taxi s'arrêta. Le chauffeur qui n'avait rien dit depuis un quart d'heure tourna la tête.

"Rue Firenze"

Sheldon déposa deux billet dans sa main et pénétra dans son immeuble aussitôt après être sorti de la voiture. Une fois dans son appartement, il prit aussitôt le combiné et composa un numéro. Il eu le bout de fil en quelques secondes de battement. Une voix fatiguée sortait du téléphone.

"Oui?..

- C'est Sheldon. Tu... Heu... - Il se massa le front -

- Tu fais encore une insomnie? J'avais enfin réussi à fermer l'œil. Je suis à la rive nord Sheldon, je peux pas...

- C'est pas pour ça Alphonse. J'ai une migraine épouvantable donc je vais faire vite. Le bar là... Enfin... Je sais plus... Il se trame des choses. Tu... Enfin parles en à Allan. - Toujours en train de se masser le front, parler devenait une véritable épreuve. -

- D'accord. Mais qu'est-ce qu'il s'est passé?

- Je t'écrirai... J'arrive plus à réfléchir.

- Tu es sûr que ça va?

- Oui oui... Bonne nuit."

Il raccrocha.

Dans son canapé, il attrapa un bouteille d'alcool de prune qui venait d'Ukraine. Il se servit un verre et attendit, sans boire. Il fut prit de vertiges. Sa migraine était insupportable. Comme on n'en a qu'une seule fois dans une vie. Il posa son verre à ses lèvre, avant de tout recracher et le poser sur la table basse devant lui. Le goût fort et âpre de l'eau de vie le dégoûtait, il voulait vomir. Pourtant, il aimait bien ça en temps normal mais il ne devait pas être dans son assiette. Il s'allongea, les yeux fermés la lumière de la ville filtrée par la fenêtre dans son visage. Il commença à trembler. Sa respiration se faisait courte. Il respirait de manière totalement anarchique, quand un sentiment désagréable d'abandon de son propre corps le prit.

Quelques heures plus tard, dans un rêve en pleine somnolence, il entendait une cloche. Perdu dans une immense bibliothèque sombre. La cloche se faisait entendre de plus en plus, avant de s'apercevoir que c'était le téléphone qui sonnait. Il se réveilla, en regardant les rideaux qui volait au vent des fenêtres ouvertes. Son sommeil avait été long. Long et puissant. La lumière du jour l'éblouissait. Son mal de tête avait disparut. Le dernier soir, il avait eu l'impression d'avoir vécu sa propre mort. Ça aussi, il valait mieux le dire à Alphonse. Il prit le courage de se lever, et d'avancer jusqu'à la cloche qui sonnait encore en écho dans se tête et de décrocher le téléphone.

"Sheldon? T'es pas mort? - Sheldon ria nerveusement -

- Non, non... Tu m'appelles pour hier?

- Oui. T'avais pas l'air bien, mais avec Allan on aimerait bien obtenir ton témoignage.

- D'accord. Écoute, j'arrive j'ai encore plein de boulot, mais... Bouge pas, j'arrive.

- Je t'attends."

Holn gratta son crâne chauve, et rentra dans la chambre d'hôtel sans ménagement. Un autre faisait sa valise, qui était posée sur le lit. Holn haussa les sourcils.

"Alors l'autre, il a bu sa merde?

- Oui... Enfin, je suis pas sûr qu'il ait eu grand chose.

- Comment ça?

- On fait du cyanure à base de pépins de pomme, et avec des casseroles! Et puis c'est le barman qui fait ça, c'est pas un chimiste non plus, je suis sûr qu'il en a mit qu'une petite goutte.

- Pourquoi on en achète pas sur le marché noir?

- On doit tout faire nous mêmes. Exigences du boss. - Il boucla sa malle, et la posa à la verticale, sa main dessus. -

- Nom de dieu, si on est même pas capables de faire ça...

- Tant qu'on aura pas de vrai chimiste qui joue pas aux apprentis sorciers comme les autres, on pourra pas faire de travail propre. Et puis, faut qu'on arrête de sombrer dans la parano. Je suis pas le seul à penser ici que les empoisonnements sont un peu abusifs.

- L'amanite tue mouche ça marchait bien.

- Oui, et c'était on ne peut plus simple à fabriquer. Un peu d'eau, du champignon, de l'alcool volatile et hop! Mais bon, ça tue pas. C'était juste un trip hallucinogène bien horrible en guise d'avertissement. Cela dit, la moitié des victimes ont pas eu leur compte. Comme l'autre juif polack là, d'ailleurs on a des nouvelles de lui?

- Non, on sait même pas si il est encore sur le territoire. On fouille, mais cette putain de ville est une fourmilière, c'est pas facile. Bon, je vais envoyer une équipe pour voir si l'autre con est mort là, et pour le poison, je verrai avec un contact, j'ai reçu une main tendue de la Cosa Nostra, ils ont sûrement ce qu'il nous faut. Bonne matinée.

- Toi aussi."

Il referma la porte, et croisa du regard une femme de chambre dans le couloir qui l'accosta:

"Vous voyez le gars à la réception? Bah c'est vraiment un connard."

Elle continua son chemin, Holn continuait de la fixer avec un air interrogateur.

BruckstonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant