La mélancolie me prit au retour de Bruckston. Les maçons refaisaient les immeubles d'une manière assez similaire à l'instar des combats. Même de nuit, tout se faisait reconstruire d'une manière assez lente, des ravitaillements passaient par les avions qui sillonnaient le ciel nocturne dans un constant bourdonnement. Là haut, la pollution lumineuse était faible, le ciel laissait apercevoir un immense ciel étoilé comme cela était plutôt rare. Des montagnes de cadavres jonchaient les caniveaux, des vieux camions agricoles les chargeaient à ciel ouvert pour les brûler un peu plus loin. Des chats, des rongeurs, et des chiens se mêlaient à la foule, après des jours de terreur à se tapir loin des combats, et semblaient célébrer la fin de ces atrocités. On voyait qu'une partie de la population était heureuse, certains se promenaient en bande, se faisant passer une bouteille d'eau de vie entre eux, des enfants couraient je ne sais où avec un sourire au lèvres. Cependant, certains avaient à jouer un rôle de rabat joie. Des militaires venus d'un peu partout, de France, des Etats Unis, du Canada, et même de l'Union Soviétique contrôlaient les papiers dans les rues mettant un terme aux hostilités. On voyait des piles d'armes à feux, que des hommes habillés en tenue militaire improvisée qui y jetaient leur arme, avant de s'asseoir le long des rues, le visage empli de terreur et de traumatismes. Beaucoup semblaient trembler, pleurer, s'énerver, et il était difficile de savoir quel côté politique ils étaient. Leurs casques, leurs veste, pantalons, bottes étaient en lambeaux, leurs visages pleins de poussière et de crasse, certains saignaient à s'en évanouir, et inévitablement d'autre qui souffraient psychiquement s'abattaient à coup de pistolet pour échapper à la justice.
Pourtant, ce n'était pas la bonne idée: quelques mois plus tard un nombre incroyable de procès avaient eu lieu, mais ils traînaient, étaient sous une pression des différents camps politiques, des différentes nationalités étant donné que cette cité était on ne peux plus cosmopolite. De fait, certains étaient abandonnés, et on avait à cet époque très peu de documentation sur les faits de manière précise (quelques années plus tard des événements émergeaient du silence) et les peines maximales ne s'élevaient qu'à quelques mois de prisons ; ce qui était impensable pour une partie de la population mais de l'autre, et j'en faisait parti, on pensait qu'il était impossible de faire tout les jugements de manière propre, et de toute façon ça revenait à dire que le tiers de la population partirait derrière les barreaux. Évidemment, j'ai eu aussi le droit à mon procès, une nouvelle fois. Elliot Kramer m'avais de nouveau soutenu, et je n'avais eu que six mois de sursit, j'étais un peu l'exception car je refusais de le dire à l'époque, mais je peux dire solennellement que je méritait bien plus mais peut-être au nom de la liberté. Sur vingt-cinq longues années, j'ai pû recevoir des centaines de menaces de morts, me suspectant de choses vraies, et d'autres faits inventés de toute pièce.
Mais c'est en voyant tout ces soldats assis là, comme des enfants que l'on allait envoyer à l'orphelinat, perdus et abasourdis, que je compris que mon fonctionnement de pensée n'était pas unique ici. On en avait profité pour mettre à sac le système, à s'approprier l'action et l'instant présent pour se risquer à la mort, tout ça par pure folie, le contexte politique n'était qu'un prétexte sur la fin, et cette ivresse de l'action, de l'adrénaline qui nous avait aveuglés et forcés à nous entre tuer, faisait qu'on en subissait aujourd'hui les conséquences, nous ouvrions enfin les yeux sur ce que nous avions réalisé pendant ce temps, et effectivement le résultat était à s'en faire sauter en l'air.
Mais jamais je n'oublierais ce milieu d'année à Bruckston où régnait un vif sentiment de liberté une nouvelle ère commençait, peut-être l'opinion publique se mettait d'accord avec le fait que rien ne pouvait arriver de pire en ces nouvelles années. Je me souviens de concerts en petit commité qui se déroulaient sous les derniers décombres de la ville, où au son de nouvelles Gibsons qui émergeaient du marché instrumental, je me laissait bercer comme les autres. Tout paraissait figé, des lumières rouges éclairaient un ancien bunker de fortune construits lors des premiers bombardements d'obus. Il fut une de ses soirées, un homme m'avait accosté, son visage était caché par les lumières, et il me présenta une substance nouvelle qui se vendait cinq francs la dose correcte. J'avais accepté, et il me tendit un morceaux de carton, ressemblant à un timbre carré. Il me fondit dans la bouche, ça n'avait aucun goût, et au bout de une heure, je me demandais si ce vendeur de drogues venues du futur n'était pas qu'un drôle de charlatant. Mais dans un mouvement de danse assez étroit et rigide, je m'allumai une cigarette, lorsque le son devint d'un coup fort et limpide, les murs semblaient se déformer, les lumières à devenir vives, et me prit un rire incontrôlable. Cela me faisait beaucoup penser à mon agression il y avait de cela au moment des faits, assez longtemps. Mais les effets étaient bien moins anxiogènes, je me laissait juste porter comme par une voiture par les notes que débitaient les musiciens sur la scène. Je fus pour quelques heures prit d'une sérénité pure, mes sens se décuplaient, et mes pensées étaient comme des projections qui devenaient d'une réalité encore plus perceptible qu'elle même. Ces temps-ci, j'étais très optimiste, me sentant accompli, des horizons de vie s'élevaient vers moi, comme une envie de changer le monde.
Mais tout ceci n'était qu'illusion. La peur d'un coup d'état par le gouvernement clandestin était telle qu'il fût rebaptisé "parti communiste" et l'autre, le vrai qui avait été amputé par Donoré (celui ci avait été retrouvé vingt-huit ans plus tard dans La Pampa en Argentine mais n'avait pas été arrêté) fut tout bonnement supprimé. Trois ans avant que l'élection n'ait lieu. Trois longues années d'anarchie dans tous les sens du terme, le temps de refaire fonctionner la ville et son économie dans son ensemble, et trois ans avant qu'enfin je puisse m'investir à l'élection. Pas ma personne, j'en étais juste incapable, mais j'occupais le poste d'attaché de presse au parti communiste. Toute cette campagne était un fiasco. D'autres entre temps avaient créé des partis, s'affichant comme les créateurs de nouveaux mouvement, dont la majorité de la population s'est laissée séduite. Effectivement, ça m'avais beaucoup affecté, cette politique centriste comme elle existait en Europe, où chez nos voisins et ailleurs, ça me démoralisait ayant vécu les années du socialisme à Bruckston. Ça m'avait fait abandonner la politique, et me renvoyer à des choses simples de la vie, comme la famille. Et la mélancolie de sa jeunesse qui se perd... Après tout je sais que tout ça était logique. Ce siècle avait été dur et tout le monde était épuisé des extrêmes, et j'ai essayé dans mon récit de ne pas blanchir le tableau (ce que j'ai sûrement en partie fait) mais nous autres communistes n'avions rien à nous reprocher non plus. Nous avions combattu un coup d'état bien qu'évidemment nous n'étions pas les seuls, mais tout avait dégénéré sur la fin, et c'était peut-être nous les plus gros meurtriers au final. Sans compter les tueries qui avaient eu lieu partout en France et à Cap Carnaval, je n'ai jamais su de ma vie qui en était l'auteur indirect, mais l'affaire a vite été étouffée.
Donc j'ai fini par me résigner. Les idéaux politiques n'était peut être que des lumières que nous essayons tous d'attraper avec nos mains. Des fantômes. Mais j'avais tout de même marqué les esprits, pour quelques années tout au plus, et bien heureusement que je me suis fait oublier, les menaces de morts avaient été nombreuses. Mais des leçons d'histoire qui était propres à Bruckston car pour ce qui était du reste de la planète ce n'était qu'une guérilla de plus, était à tirer de cette histoire, des leçons qui me plaisaient ou non. Maintenant, je n'ai qu'à me laisser glisser dans le temps et ne jamais revenir sur la scène des actualités. Bruckston restera mon étoile sur ma carte, ma vie et ma raison de vivre. Et peut-être que le courant du temps rendra ma vie plus confortable, lente, et sûrement ennuyeuse aussi.
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Bruckston
ActionUne cité état nommé Bruckston, née de l'immigration en Amérique du Nord prospère de son socialisme depuis des années. Mais quelque chose se trame derrière... Allan Powinski, jeune journaliste tourmenté va avoir la lourde tâche d'informer la populati...