Chapitre XXXII

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Les mots me venaient à la tête comme un étroit ruisseau, j'avais du mal à me concentrer. Je trouvait un nom que je jugeai fort sympathique pour cet article: "Donoré, tire les ficelles". J'avais laissé un blanc sur la mise en page pour une caricature de Klaus Berng un dessinateur du journal.

Assis dans le bureau, éclairé seulement par la ville en écoutant un vinyle de rock psychédélique.

"cela fait bien longtemps que je n'ai pas écrit dans ce journal justement pour m'occuper d'une enquête qui changerait l'histoire de cette ville ... Si Donoré avait été un franc opposant qui aurait gagné proprement cette élection, je me serais incliné. J'ai des preuves très sérieuses ici qui prouvent le contraire ... et c'est ainsi que nous espérons un changement radical dans cette période qui est bien la pire que nous allons connaître. Si la police n'est pas déjà corrompue, vous peuple de Bruckston ne l'êtes pas."

Burry m'avait promis de nombreuses pages dans le journal dédiées à des preuves concrètes que nous avions trouvées. J'arrachais la page de la machine à écrire et la plia en quatre et la rangea dans une enveloppe. J'éteignis la platine et le silence fit siffler mes oreilles. J'avais des doutes à propos de l'ampleur que prendrait cet article. Au fond, il pourrait très bien passer inaperçu, ou pire: considérés comme diffamatoire. Si c'était le cas, il faudrait peut être que je quitte le pays. En effet, cette organisation se cachait de peur d'une découverte de leur liens avec Donoré, si ce lien était assumé, sans grand impact, alors je serais totalement à découvert. Et cette pensée ne m'enchantai pas du tout.

Je commençais à me sentir un engourdi, la quantité de café que j'avais bû ne devait pas avoir fait encore effet. Ainsi, je me leva de mon siège, prit l'enveloppe et sortit de la rédaction pour rejoindre enfin mon appartement. Ma concierge avait fait réparé la porte, j'avais rangé un minimum le bordel que les malfrats avaient commis. Dans le métro, le bruit du glissement de la rame était insupportable, je commençais à devenir irritable et à me perdre dans mes pensées. Lorsqu'une douleur grave dans mon ventre s'était déclaré, je rentrait dans mon appartement du 9ème, et me coucha aussitôt.

Il faisait un froid de canard. Je me trouvai dans des montagnes ma foi assez hautes, cela aurait pu être les Alpes, où L'Himalaya peu importe. Je marchait sans but, dans une tempête de neige, je ne pouvais que apercevoir les ombres blanches des montagnes contrasté au noir intense du ciel de nuit. Au fur et à mesure que je marchais, dans un manteau bien costaud, mes vêtements s'enlevaient tout seul. D'abord mes chaussures, mon manteau, puis je me retrouvais seul au milieu d'une plaine enneigée, elle même au milieu d'une chaîne de montagne, torse nu, sans chaussure ni chaussette, habillé seulement d'un large pantalon fin qui ne réchauffait en rien mes cuisses. Sur ma route, grelottant intensément de froid, je vit un homme d'une cinquantaine d'années, une moustache fine, habillé comme un ouvrier français, qui jouait de l'accordéon tranquillement, sans se soucier de moi et surtout, sans ce soucier de ce déluge, qui me laissait à penser que je laisserais bientôt ma peau ici. Sans prêter attention à l'accordéoniste, je remarqua au loin une assez grande maison, presque un manoir, éclairé tel Versailles au milieu de la nuit. Je pouvait apercevoir à l'intérieur des gens assis à une table, qui buvaient, qui fumait, de manière assez snob, en uniforme. Un feu de cheminée crépitait près d'eux. Je continua ma route vers ce manoir, mais je semblait marcher sur un tapis roulant. En marchant péniblement, je n'avançais pas d'un centimètre de cette maison. Je m'écroula dans la neige désespéré, le corps gelé.

Mes yeux s'ouvrirent et ma respiration était délicate. Mon rêve était sans surprise, comme lorsque l'on se réveille le matin et que l'on se dit: "mais c'était évident que c'était un rêve, comment ne m'en suis-je pas aperçu?"

Au fond, c'est stupide, il est rare de prendre conscience de soi dans un rêve, même si c'était possible. Cependant le froid ne m'avais pas quitté, sous une épaisse couverture, j'avais toujours l'impression d'être dans ces montagnes, le corps grelottant. J'eus pendant un moment l'impression d'avoir uriné dans mon propre lit pendant la nuit, mais il s'avérait que c'était ma transpiration. Je racla mon front, je ruisselais en effet de sueur, et malgré tout j'avais terriblement froid. Je me blottit le plus possible dans la couette, puis je commença à être pris de tremblements terribles, presque des convulsions, en claquant des dents. Ainsi, je finissais péniblement la nuit, sans dormir réellement, plongé dans des pensées, et des semis rêves désagréables qui étaient à la limite de l'hallucination. Je plongeai dans mon fort intérieur, mon ultime intimité dans laquelle je ne pouvait être que lorsque ma vie était en péril tout en y étant impuissant, car effectivement, cette nuit là, je pensais de manière obsessionnelle que je ne survivrais pas à cet épisode, sans grande frayeur, presque avec envie pour mettre fin à ces terribles souffrances.

J'étais resté toute la journée dans mon lit, sans aucune nouvelle de personne, rien à part la fenêtre à ma gauche ne me reliait avec l'extérieur. J'entendais parfois passer des voitures de police, ou bien des ambulances, et ces sirènes me raisonnaient péniblement dans la tête. Aux alentours de quinze heures je crois bien, un élan de douleur au niveau de mon ventre me fit hurler de pleine voix à plusieurs reprises. J'entendis mes voisins s'inquiéter devant la porte, avant que le concierge n'entre et appelle un médecin. L'idée de parler m'ennuyait terriblement ; je ne voulais que croupir dans mes pensées et ma fièvre carabinée qui parfois me faisait parler tout seul pour l'oublier. Le docteur qui était presque une copie conforme de Freud, me passa la main sur le front.

"40 de fièvre. Encore un degré et vous filez à l'hôpital.

- D'autres en ont plus besoin que moi.

- Oui, d'ailleurs si les cohues dans ces rues ne perturbait pas l'ordre médical, j'aurais fait venir une ambulance. Dites moi, ça vous fait mal lorsque j'enfonce mon doigt ici?"

Il enfonça son pouce sous ma côte droite, et je ressentit une douleur infiniment aiguë, qui me fit hurler encore une fois. Il retira précipitamment sa main.

"Mmmh... Dites moi, vous buvez?

- Oui, depuis quelques années, mais seulement par tendances.

- Cela pourrait bien être une hépatite alcoolique. Vous buvez souvent?

- Quelques flasques de temps en temps disons... Une bouteille d'eau de vie tout les quatres jours je dirais. C'est bête j'étais justement en train de diminuer. - Le docteur eut un bref sourire -

- Essayez de trouver de l'aide pour arrêter. A votre âge, c'est dramatique, je sais bien que moi même il me serait dur de refuser un bon Cognac mais bon. - Il s'était posté devant la fenêtre pour regarder les immeubles d'en face. -

- Je voyais un psy avant. Il m'a donné des cachetons, j'ai arrêté d'en prendre. De toute façon, sauf votre respect... - Je m'arrêtai pour reprendre les forces que cette conversation épuisait – Je n'aime pas les docteur, je n'ai pas fait une seul visite médicale depuis mon arrivée à New York. - Dit-je avec un faible rire - Et... - Je me mordit la lèvre, cette question me démangeait – Vais-je survivre?

- Je ne peut rien vous promettre. Vous avez des avantages, vous êtes jeune, vous ne buvez pas depuis très longtemps, et vous n'avez pas de jaunisse apparente. Par contre vous êtes bien maigre. Mangez pour prendre des forces, c'est capital. Je pourrait compter vos côtes. Bref, un infirmier vous rendra visite, et appelez moi si nécessaire. Buvez beaucoup d'eau, pas d'efforts, et prenez des comprimés pour la fièvre. Je dois vous laisser je crois que... - Il regarda sa montre précipitamment – Lajno! Je suis en retard. "

Il me mit mon téléphone sur ma table de chevet, et me laissa de nouveau seul. Je pris le temps d'appeler Burry, qui me dit que l'article allait paraître demain dans le journal. Ma fièvre évoluait en dents de scie: Parfois elle descendait, alors à ce moment là je m'empressait avec une force de navet pour aller faire mes besoins, ou manger une conserve à la cuisine, mais elle revenait une demi heure plus tard, plus forte que jamais, et dans ces moments je m'engloutissais sous la couette, ne pensant à rien, gémissant des phrases incompréhensible, tout en guettant si la mort n'arrivait pas ; des fois qu'elle aurait envie de s'en mêler.

BruckstonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant