Synabella buvait son thé d'une main et tapait sur deux tablettes de l'autre. Phrixos, assis sur le rebord de fenêtre, avait mal au crâne rien qu'à la regarder faire.
La magicienne avait demandé à ce qu'il reste avec elle, au cas où elle aurait besoin d'informations concernant les laboratoires. Elle le lui avait même ordonné, cela alors qu'ils étaient entièrement seuls dans le bureau du premier ministre.
Le Conseil des Cinq était parti aider le reste de l'Ombre sur Terre et le premier ministre avait eu une urgence à régler accompagné de Talin l'assassin.
Synabella lui offrait son propre meurtre sur un plateau. Du moins, si elle n'avait pas une autre idée en tête.
Elle reposa sa tasse de thé dans sa soucoupe sans même bouger les yeux de ses écrans. Elle reprit ses activités avec ses deux mains. Phrixos, lui, se répéta pour la énième fois la formule dont il aurait besoin.
Paari.
Un seul mot. Une occasion parfaite, un peu de magie rouge et Synabella cesserait d'exister. C'était ça ou empoisonner son thé, mais il n'avait malheureusement rien sous la main pour ce faire.
La nervosité le gagna, mais il tenta de le masquer au mieux.
Les minutes s'écoulèrent. Synabella ne bougeait pas. À vrai dire, elle paraissait avoir totalement oublié sa présence. Phrixos toussa dans son coude : aucune réaction. Il voulut attendre encore avant de se lancer, mais repousser l'inévitable n'avait aucun intérêt.
C'était maintenant ou jamais.
Il se gifla intérieurement, tendit son bras en direction de la magicienne et projeta sa magie rouge.
- Paari.
Synabella leva les yeux. La seconde d'après, le sortilège la heurta en pleine poitrine et la projeta au sol derrière le bureau, cachée à sa vue. Il n'y eut plus un bruit, plus un mouvement.
Phrixos sentit le nœud dans son estomac se défaire. Il avait accompli sa mission.
Il quitta le rebord de fenêtre sur lequel il était assis depuis si longtemps qu'il en avait mal au dos et s'approcha du bureau en bois. Il se pencha au dessus pour entrevoir le cadavre de Synabella et s'assurer que tout était réglé. Son cœur rata un battement.
Il n'y avait pas de corps. Rien que le carrelage blanc serti de motifs caractéristiques du palais de la Cité.
Quand Phrixos se redressa, il sentit un objet pointu toucher son dos. Il se figea aussi sec. Lentement, il tourna la tête pour voir Synabella, sabre en main, le foudroyer du regard.
C'était impossible. Elle ne pouvait pas avoir survécu à un impact direct.
- Qu'est-ce que tu pensais faire, Phrixos ? gronda-t-elle.
- J-Je... bégaya-t-il.
- C'était une question rhétorique. Tu veux me tuer, je sais. Je me demandais quand tu finirais par te lancer.
- Comment tu...
- Tu es un expert en magie rouge, le coupa-t-elle. Tu n'avais pas d'armes. Tu allais forcément t'y prendre de cette manière. Je me suis lancé un contre-sort.
Synabella baissa très légèrement son arme et lui ordonna de se retourner pour lui faire face. Phrixos s'exécuta.
- Il n'y a pas de contre-sort, argua-t-il.
- Pas de direct, certes. Je me suis contentée de rediriger le sortilège. Quelqu'un est bien mort, mais c'est le hasard qui a choisi la victime. Dommage, n'est-ce pas ?