Victorien sentit des souvenirs lointains remonter à sa mémoire lorsqu'il traversa la Porte des Mondes. Cela faisait plusieurs dizaines d'années qu'il ne l'avait pas empruntée à l'aide des raccourcis que créaient Effacés – depuis 1834, lorsqu'il les avait quittés –, et visiblement, ils n'avaient rien amélioré depuis. C'était toujours aussi désagréable.
- Victorien.
Le mage noir s'approcha des deux figures vêtues de capes blanches qui lui faisaient face. L'homme à droite, à la peau noire, figure mince et au regard gris acéré, avait été son mentor lorsqu'il avait rejoint les Effacés. La jeune femme à ses côtés était en revanche une inconnue.
- Jahad, le salua Victorien.
- Ça faisait une éternité que je ne t'avais pas vu, répondit Jahad.
Il désigna la jeune femme à ses côtés.
- Voici Uri, l'une des deux jeunes membres établis ici sous ma surveillance.
La fameuse Uri ne souriait pas, l'air pincée. Ses fines boucles noires étaient nonchalamment tressées à l'arrière de son crâne et sa peau cuivrée était tiraillée par le froid, comme en témoignaient ses lèvres gercées. Victorien inclina la tête pour la saluer, geste auquel elle répondit sèchement.
- Je suppose que tu as dû avoir vent de la présence d'une réfugiée dans la cité, dit Victorien à l'intention de Jahad.
- Oui. Ta fille. La raison pour laquelle des Ifrayens se trouvent ici.
- Donc tu l'as bien rencontrée.
Jahad secoua la tête.
- Non. J'ai voulu enquêter sur elle, mais le troisième Effacé sur place m'a dépassé. C'est lui qui m'a expliqué la situation.
- Bien. Tu dois en savoir suffisamment.
Victorien se détourna. Jahad l'arrêta avant qu'il n'ait l'occasion de s'en aller.
- Où est-ce que tu vas ?
- Trouver Eloïse.
- Tu sais où elle est ?
- Sans doute au palais.
- Laisse-nous t'accompagner.
Victorien se tourna vers lui, suspicieux.
- J'apprécie ton aide, Jahad, mais tu m'as déjà fait entrer dans cette cité et je connais les manières des assassins. Tu n'obtiendras rien en échange. Laisse tomber.
- Il n'est question d'aucun prix, l'informa Jahad. Les Effacés ont toujours une dette envers toi.
- Ça fait plus de cent quatre-vingt ans et vous autres me sortez encore la même excuse. Quelqu'un tient les comptes ou le simple fait de m'aider vous donne bonne conscience ? La moitié des Effacés actuels n'ont pas connu les événements de 1832 et jurent tout de même par cette "dette".
- J'étais présent, tu le sais. Mais si cela te dérange, dis-toi simplement que je rend service à un vieil ami.
- Puisque tu y tiens tant.
Jahad et Uri menèrent la route jusqu'au palais, là où Eloïse se trouvait aux dernières nouvelles.
- Tu es moins aimable que dans mes souvenirs, dit Jahad à Victorien pour combler le silence.
- Les circonstances ne s'y prêtent pas.
- On va retrouver ta gamine, si c'est ce qui t'inquiète.
- Je ne m'inquiète pas. Ce sont les ennemis qui devraient surveiller leurs arrières.
- Là, je te reconnais.