25/04/1940.
Mahendra avait l'impression d'avoir fait tous les mauvais choix.
Pourtant, les choses avaient si bien commencées. Caleb était retourné sur Eole quelques mois plus tôt et ils avaient pu officialiser leur relation. Mahendra, après de nombreuses hésitations, l'avait présenté à son père. Elle avait craint le pire, connaissant Victorien, mais lui et Caleb s'étaient immédiatement entendus. Elle avait cru halluciner en les voyant échanger des plaisanteries.
Elle nageait alors en plein rêve.
Ça n'avait pas duré.
Plus Mahendra ramenait Caleb chez eux, plus Victorien paraissait suspicieux pour une raison qu'elle ne comprenait pas. Il commençait à lui faire des réflexions sur la solidité de leur relation et sur son avenir. Jamais encore il n'avait agi de cette façon. Qu'est-ce qu'il lui prenait ?
Mahendra se savait en partie fautive. Quand elle avait présenté Caleb à son père, elle ne lui avait dit ni son âge, ni qu'il s'agissait d'un noble. Juste qu'il était un magicien originaire d'Ifraya. Alors quand Victorien avait appris la vérité, il n'avait pas été ravi du tout. Il lui avait dit qu'il était beaucoup trop vieux et que c'était déraisonnable, mais également qu'en tant que noble, il n'avait pas le contrôle total de sa propre vie. Autrement dit, si la tête de sa famille lui demandait de quitter Mahendra, il y serait contraint.
La jeune fille avait senti la colère l'envahir.
Caleb était la tête de sa famille. Il ne rendait de comptes à personne. S'il voulait rester avec elle, on ne pouvait l'en empêcher.
Victorien avait soupiré et immédiatement rajouté une couche sur la différence d'âge entre eux.
Mahendra avait levé les yeux au ciel. Elle était majeure, qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Elle faisait ses choix en pleine connaissance de cause. Il ne pouvait pas lui imposer quoi que ce soit.
Elle avait décidé d'écourter la conversation et de s'enfermer dans sa chambre, comme à chaque fois que quelque chose la contrariait. Elle détestait la confrontation avec son père. Ou plutôt, elle détestait la confrontation tout court.
Après cela, elle et Victorien n'avaient plus jamais ramené le sujet sur la table, même s'il flottait entre eux à chaque fois que le nom de Caleb était évoqué.
Mahendra avait l'impression que ce jour ci, quelque chose entre eux s'était fissuré.
Mais était-ce la raison de son comportement ?
Mahendra en avait assez de supporter cette situation en silence. Elle comptait bien tirer les choses au clair. Tant pis si elle ne faisait que les aggraver.
- Papa, dit-elle, je crois qu'il faut qu'on parle.
Victorien rentrait à peine de ses activités et paraissait épuisé. Il dormait peu, ces derniers temps. Son commanditaire devait lui avoir donné une cible tout sauf facile, même si Mahendra n'avait aucune idée de la teneur de sa requête.
Il la regarda, ennuyé. Il était une heure du matin passée.
- Donne-moi cinq minutes, répondit-il néanmoins.
Mahendra l'attendit en faisant les cent pas dans le salon. Quand Victorien la rejoignit, il s'était débarrassé de sa cape et de ses gants. La peau de son cou était rougie, juste au dessus du col de sa chemise, ce qui voulait dire qu'il s'était débarrassé de sang séché. En revanche, il n'y avait pas de coupure.
Mahendra se pinça les lèvres. Elle n'avait aucune envie de savoir ce qu'il avait fait dehors. Ni à qui appartenait le sang.
- Je t'écoute, dit-il simplement.