31/05/1945.
Trouver un bateau pour joindre Ifraya n'avait pas été une mince affaire, mais Victorien avait fait jouer ses connexions. Enfin, celles-ci se limitaient à Jaon Chen, mais être le dirigeant de l'une des cités les plus puissantes d'Eole ouvrait des portes.
Il lui avait fallu attendre un mois avant de gagner l'île de Riss, d'où partirait le bateau vers Ifraya. Deux jours complets de traversée l'avaient alors attendu. Victorien détestait être en mer, mais s'il voulait mettre la main sur Mahendra, il n'avait aucune autre option.
Voilà cinq ans qu'elle était partie vivre chez Caleb. Cinq ans qu'il avait passé sans la moindre nouvelle malgré les courriers fréquents qu'il avait réussi à envoyer sur le continent voisin.
Victorien ne pouvait pas croire que Mahendra l'ignorait délibérément. Le sortilège de magie qu'il avait confectionné pour lui redonner la vue ne fonctionnait pas en dehors d'Eole, aussi quelqu'un était obligé de lui lire les lettres. Normalement, les magiciens aveugles possédaient des sortilèges ou des appareils capable de lire des textes pour eux, mais Mahendra refusait d'utiliser sa magie et n'avait pas emporté son liseur avec elle – il devait être enterré au fin fond de sa chambre depuis des années. De ce fait, seul Caleb ou quelqu'un de son entourage pouvait le faire pour elle. De toute manière, même s'il lui lisait les courriers, rien n'indiquait qu'il aurait envoyé les réponses.
Tant pis, Victorien en avait assez de brasser du vent. Il ne pouvait pas communiquer avec Mahendra ? Alors il irait la chercher.
Dès que son bateau accosta, il ne prit pas de pause et trouva un rare convoi électrique faisant escale à Növa-Léig qui accepta de l'y déposer. Une journée supplémentaire de voyage s'ajouta aux précédentes, mais Victorien était habitué à dormir assis et pendant de courtes périodes de temps, aussi cela ne l'incommoda pas plus que ça.
Ifraya était très différent d'Eole. Ici, il n'y avait aucune cité, mais un ensemble de villes et villages reliés par une multitude de routes – de terre pour ceux qui voyageaient à cheval ou à pieds, dallées pour tous les autres – et séparées en régions. La technologie ne s'y était pas développée de la même façon. Ils avaient leur propre réseau de communication équivalent à celui d'Eole, mais aucune trace de Porte des Mondes ou de tout autre portail. Ils avaient mené des expérimentations pour en implanter par le passé, mais la plupart avaient été infructueuses voire catastrophiques, aussi leurs transports étaient un peu plus rudimentaires. Les plus grosses villes étaient reliées entre elles par des trains, le reste devait se faire manuellement pour éviter les déplacements importants de population.
Victorien s'y connaissait extrêmement peu sur l'histoire d'Ifraya, mais savait qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. Peut-être avaient-ils des transports à l'incroyable lenteur et quelques lois douteuses qui autorisaient le marché noir et les milices indépendantes, mais certaines régions étaient largement aussi avancées sur le plan scientifique, économique et social qu'Eole. Le tout était de ne pas se rendre dans les zones sous l'influence des nobles, qui tentaient pas tous les moyens de maintenir la population sous leurs règles archaïques.
En l'occurrence, c'était exactement où allait Victorien.
Il arriva à Növa-Léig en pleine nuit. La lune rouge, partiellement voilée par les nuages dont le ciel était aujourd'hui chargé, ne suffisait pas pour éclairer ses pas, aussi Victorien usa de la lampe torche de son téléphone pour se repérer.
Növa-Léig s'étendait sur plusieurs kilomètres et le cœur même de la ville n'était pas très entretenu, faute de moyens déployés. C'était pourtant le lieu sur Ifraya qui contenait le plus de nobles – la ville se trouvait à la frontière de deux régions, qui tombaient donc sous leur contrôle – mais ils préféraient investir leurs richesses ailleurs. Ils devaient au moins faire le minimum pour s'assurer que la population vive dans des conditions agréables, même si les milices abondaient bien plus que dans la ville par laquelle Victorien avait transité à son arrivée.
