Chapitre 2

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Effectivement, la journée fut particulièrement éprouvante, chaque professeur me demandant comment j'allais. Qu'est-ce qu'ils espéraient ? Que je leur réponde parfait ? Je vais parfaitement bien, en fait, je vais tellement bien que bientôt je pourrai faire un marathon. Sérieusement, se sentaient-ils obligés de remuer le couteau dans la plaie ? Enfin, je m'estimais heureux, aucun d'entre eux n'avait eu l'indélicatesse de celui de ce matin. Ce prof de mathématiques Macao, quelle idée lui était passée par la tête de me demander ce que ça faisait. Si tout le monde avait oublié les circonstances de l'accident, bien que ce ne soit pas le cas, ils venaient d'avoir un rappel de celui-ci. Je me souviens avoir jeté un bref regard à Lisanna qui s'était littéralement ratatinée sur sa chaise, blanchissant à vue d'œil à ce souvenir. Elle semblait aussi gênée par la situation que moi, voir plus. Je fis alors quelque chose que je n'aurai jamais fait avant : répondre de manière colérique, agressive à un professeur. Je lui avais craché au visage « à votre avis, qu'est-ce que ça fait de passer sous une voiture ». Jamais je n'avais parlé de la sorte à un enseignant, mais de quel droit me demandait-il de raconter ma vie aux autres ? Il semblait choqué sur le coup, mais il se reprit bien vite, en s'excusant, me souhaitant de retrouver ma vie d'avant, chose à laquelle je répondis que c'était impossible.

Ils devaient tous cesser de croire au miracle. Jamais je ne serai comme avant, j'avais profondément changé et même si c'était contre ma volonté, je ne pouvais le nier. Ma répartie semblait avoir mis Lisanna mal à l'aise, mais je m'en fichais. À vrai dire, tant mieux si elle se sentait mal, après tout je n'avais toujours pas eu de remerciements, chose, que je jugeais indispensable au vu de mon sort. Mais non, elle se comportait comme si l'on ne se connaissait pas, comme une égoïste. Je me rendais bien compte que ma colère vis-à-vis d'elle était exagérée, mais elle était justifiable selon moi. Pourtant, quand je la vis avec Luxus, quand je les vis s'embrasser, je ne ressentis rien. Bien que cela m'apparaisse étrange, je savais par avance que tout était fini entre nous, depuis longtemps. Et puis, de toute façon, il n'y avait jamais rien eu alors... Non, ce qui m'horripilait, c'était son comportement, je demandais juste un merci.

Mais, je me rendis vite compte que je ne l'aurais jamais, car même si elle était mal à l'aise lorsque les professeurs me parlaient, elle finissait par faire comme si de rien n'était. Je soufflais alors résigné, gardant ma colère pour moi, essayant de paraitre le plus naturel possible avec mes amis. Jouant un rôle, ne voulant pas qu'ils découvrent à quel point j'étais détruit, à quel point j'étais devenu vide de vie.

Ma famille en souffrait bien assez. Ce n'était pas faute d'essayer, mais je n'y arrivais pas, je ne pouvais pas jouer un personnage que je n'étais plus, pas chez moi. Je devais déjà trop jouer ici.

C'est donc avec un immense soulagement que je quittais cet enfer, forçant sur mes jambes qui avaient, selon moi, bien trop forcé aujourd'hui. Heureusement que l'on ne changeait pas de salle entre les cours. La marche jusqu'au self et la cour était déjà largement suffisante à mon avis. Alors quand je vis la distance qui me séparait de la voiture de mon père, je pris sur moi. Qui aurait cru qu'un jour, parcourir même pas cent mètres allaient me paraitre impossible ? Car oui à l'heure actuelle, le simple fait de bouger mes jambes me paraissait infaisable. Tous mes muscles tiraient, s'acharnant à me rappeler constamment que j'avais tout perdu. Râlant, contre cette souffrance habituelle, je soupirais de soulagement en m'asseyant à côté de mon père.

- Alors ta journée ? Se risqua-t-il poliment. Je le fixais alors, essayant de me rappeler la dernière fois où il avait pris autant de précautions pour me parler.
- Ça était. Mentis-je et il le devina de suite. Je n'avais jamais été bon pour mentir, mais je voulais essayer de lui donner un espoir aussi infime, soit-il que j'allais mieux.
- Dans ce cas, on va chercher ton frère. Lâcha-t-il platement sans grande conviction.

Un silence de plomb s'abattit dans l'habitacle de la voiture. Quand je pense qu'avant l'on pouvait se lancer dans des discussions sans fin. Mais désormais plus qu'un lourd silence, un puissant malaise se répandait entre nous. Je savais que tout était de ma faute et qu'il en souffrait. Si seulement je décidais de faire un pas vers lui, de saisir cette perche qu'il me tendait depuis plus d'un mois. Mais je n'y arrivais pas, comme je l'ai déjà dit je ne peux faire semblant que tout va bien perpétuellement. Pourtant, mon père ne me demandait pas de redevenir comme avant, enfin si en partie, non lui, tout ce qu'il voulait c'est que je redevienne son fils, pas un étranger qui boite à longueur de journée. Le pire dans tout ça, c'est qu'il me le demande sans arrière-pensée, sans pitié, d'accepter mon état, mais je ne peux pas, je n'y arrive pas. C'est au-dessus de mes forces.

Alors quand on arrive devant le collège et que Roméo arrive enfin, l'atmosphère se détend quelque peu. Mon petit frère, la prunelle de mes yeux, lui, qui continue de me regarder comme si j'étais la huitième merveille du monde, et ce bien que je ne sois plus l'icône d'avant. À croire que peu importe ce que je fais, ce que je sois, ou encore ce à quoi je ressemble, je serai toujours son modèle.

Pourtant, je sais que c'est faux.
Bientôt, mes amis seront son modèle de sport, plus moi.
Bientôt, lui aussi comprendra que ce ne sera plus jamais pareil, bien qu'il le sache déjà, je me rends bien compte qu'il ne le réalise pas encore. J'espère juste que quand il s'en rendra compte, il ne cessera pas de m'aimer. Je sais que c'est complètement absurde de penser cela, mais c'est comme si depuis que je ne pouvais plus jouer, que je ne pouvais être celui que j'étais avant, tous ceux que j'aime allaient me filer entre les doigts, qu'ils allaient m'abandonner.

Je me renfrognais alors à cette idée, laissant tomber la conversation qu'il entretenait avec mon père. Filant du mauvais coton, broyant du noir, je me laissais envahir par la fatigue et je m'endormis. Ce sont les splendides yeux jaunes de mon père que je vis à mon réveil, on était arrivé à la maison. Roméo était déjà parti goûter. Le remerciant de m'avoir réveillé, je lui lançais un sourire sincère, un sourire trop rare à son goût. Épuisé, il passa sa main dans ses cheveux rouges, un geste que j'avais hérité de lui, un geste qu'il faisait quand il était préoccupé, et ce par ma faute. Peiné, face à son désarroi, je lui demandais pardon, un geste qu'il ne comprit pas. Il me sourit alors en retour, essayant de cerner l'homme que j'étais devenu. Quand on rentra enfin chez nous, après une très longue marche. Je remerciais d'ailleurs mon père d'avoir marché à mon rythme, peu de gens le faisaient, même mes amis avaient eu du mal. Gadjeel avait même tenté de me traiter de limace, mais il se fit arrêter par Jellal avant. Selon le bleu, c'était très mal placé et au fond ce n'était pas faux.

En arrivant dans la cuisine, je remarquais que Roméo nous avait préparé un goûter à chacun. Attendri par son attention, j'ébouriffais ses cheveux noirs. Quelque peu vexé par mon acte, il bouda pendant quelques secondes, attendant sûrement que comme à chaque fois je vienne le chercher. Sauf que je n'en avais pas la force, quand il s'en rendit compte il me jeta un regard interrogatif, auquel je ne pus répondre. Ma seule réponse fut mon regard à moi. Un regard triste limite vide de vie comme disait mon kiné. Kiné qui n'allait pas tarder à arriver pour me faire mes exercices de rééducation. Blasé par cette idée qui selon moi ne servait à rien, c'est vrai quoi, je pouvais à nouveau remarcher alors espérer quoi de plus ? Il m'avait dit lui-même que plus rien ne saurait pareil alors à quoi bon insister. Pas que je n'aime pas le docteur Jura, mais il avait tendance à en faire un peu trop et surtout à trop me pousser.

Alors quand je le vis franchir le seuil de la maison, c'est résigné que je le suivis. C'était parti pour une heure d'exercice à la con. Tenir l'équilibre sur une plaque ronde, plier et déplier mes jambes, essayer de les bouger un maximum, apprendre à comment les masser en cas de trop forte douleur... Une série d'enchaînement qui selon moi ne m'apportait rien, si ce n'est du temps perdu, mais bon ce n'est pas comme si je n'en avais pas à perdre justement. Mais ce qui m'énervait le plus avec Jura, c'était son débriefing avec mon père. Ce soir encore, il ne cessait d'appuyer sur le fait que l'accident et la perte de ma motricité m'avaient rendu dépressif et que selon lui je devrais consulter. Heureusement pour moi, mon père refusait, il souhaitait m'accorder encore un peu de temps. Voir si je reprenais du poil de la bête tout seul. Ayant plus qu'assez d'entendre à quel point j'avais besoin de me faire soigner, je partis me réfugier dans ma chambre, me plongeant dans mes devoirs.

Quand l'heure du repas sonna, mon père vint me chercher en me disant que lui et Roméo m'avaient préparé mon plat préféré pour me remettre de mon retour du lycée. Pâtes au pistou. Les remerciant d'un sourire, je m'installais ne pouvant retenir une grimace de douleur. L'inconvénient du kiné c'est qu'il ne m'aide pas, non, au contraire à chaque fois que je reviens de sa séance, j'ai encore plus mal qu'avant.

Tu m'as redonné espoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant