Chapitre 5

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Rien n'avait vraiment changé depuis l'arrivée de Lucy dans notre vie. Les jours qui passaient se ressemblaient tous et je broyais toujours autant de noir. Me plongeant dans une sorte de transe au lycée pour oublier tous ces regards et questionnement. Plus le temps passait et plus je me perdais dans mon monde. Un monde fait de noirceur et de bitume, l'accident ne cessant de me hantait.

Cette déconnexion du monde réel inquiété de plus en plus mes proches, qui évoquaient de plus en plus souvent le fait de m'envoyer dans un centre où je serais suivi par un psychiatre. Même mes amis avaient rejoint mon père sur cette idée, mon manque de réaction croissant au lycée les laissant pantois.

Cependant, ce n'est pas parce que j'avais décidé de ne plus réagir, de me laisser aller, que je n'entendais plus, que je ne voyais plus. Pour preuve dès que quelqu'un osait parler de ce fameux centre, je piquais une crise, laissant toute ma frustration et ma colère sortir. Leur prouvant que j'étais bien encore là. Sonnant un peu plus l'alarme pour eux. Mais que voulait-il que je fasse ? Que je continue à vivre ? Mais ma vie n'avait plus de sens. Ma famille et mes amis sont bien incapables de me regarder en face et de se comporter normalement avec moi et ils voulaient que je vive ? Vivre alors que plus personne ne croit en vous, même pas vous-même ? Mais à quoi bon ? Je n'étais plus qu'une coquille vide.

Je ne parlais presque plus à mon frère, la présence de Grey lui suffisant désormais. Dès que nous arrivions ensemble, ce n'était pas moi que mon frère venait saluer en premier, mais lui. S'il devait sortir en ville avec un plus grand que lui, c'était lui. Grey était devenu son nouveau frère. Moi je n'étais plus rien à ses yeux, si ce n'est un étranger vivant sous le même toit que lui. Et le pire, c'est que je ne lui en voulais pas, après tout je n'avais plus rien à lui offrir si ce n'est le désespoir. Je n'en voulais pas à Grey non plus, ce n'était pas sa faute si le destin avait décidé de se montrer si cruel avec moi.

Puis il y avait Lucy aussi. On ne s'était plus adressé la parole depuis sa drôle de question sur mes cheveux, mais je voyais bien à quel point mon frère l'adorait. Il faut avouer qu'elle était vraiment adorable avec lui. Elle avait fini par bien s'entendre avec Grey également, pour le plus grand bonheur de ce dernier qui espérait en secret un rendez-vous. Pauvre Juvia...

J'avais également remarqué qui lui arrivait de me fixer lors de mes séances de rééducation avec le docteur Jura. Mais à chaque fois que je la prenais sur le fait, elle détournait le regard. La seule fois où elle ne le fit pas c'est quand elle entendit mon père et Jura parler de ce fameux centre. Ce jour-là, elle m'examinait, me jugeant, elle ne détournait pas une seule fois le regard, perdu dans une réflexion dont elle seule avait le secret.

Je n'arrivais pas à comprendre cette fille. Elle était très loin de me regarder avec pitié, à vrai dire c'était bien la seule à ne pas le faire, mais en même temps on ne se parlait pas, si ce n'est pour se dire bonjour et au revoir. Bah... Je n'avais rien à lui apporter en même temps, alors pas étonnant qu'elle ne s'intéresse pas à moi, si ce n'est pour m'observer de temps en temps.

Aujourd'hui encore, j'avais senti son regard sur moi pendant ma séance de rééducation, qui stagnait. Selon les dires de Jura, c'était normal, d'autant plus que je n'y mettais vraiment pas du mien, je n'étais même pas allé à notre piscine qu'on avait couverte et chauffée rien que pour moi. Sauf que lui, ce qu'il ne sait pas, c'est que la vue de mes jambes m'est insupportable. Le soir quand je prends ma douche, je fais au plus vite pour ne pas à avoir les regarder, tellement leur aspect me répugne.

Ah et vu l'état de mon moral, ce n'est pas étonnant non plus que je ne fasse aucun progrès, vu que lui-même ne s'améliore pas. Mais comment voulait-il qu'il s'améliore ? Il n'avait rien compris encore ! Et blabla et blabla... En ayant marre de l'entendre répéter sans cesse le même refrain, je me lançais dans la confection d'un gâteau, lui faisant bien comprendre que je n'en avais rien à faire de lui.

Lassé de parler dans le vide, il finit par s'en aller, le regard lourd de sens. À la bonne heure, enfin tranquille. Je vais pouvoir faire mes cookies tranquilles. De toute façon, je n'avais rien d'autre à faire, mon frère venait de finir sa leçon avec Lucy et il était en train de jouer dehors avec Grey. Quant à mon père, il était encore au tribunal.

Fatigué et souffrant comme après chaque séance, je n'entendis pas Lucy arrivait et ne la remarquait que quand je manquais de tomber suite à un pas de trop. Elle me rattrapait in extremis, manquant d'être entraînée avec moi. Je nous sauvais, me raccrochant au plan de travail, ayant l'habitude que mes jambes me lâchent après les exercices de Jura.
Je lâchais un faible merci avant de m'asseoir, me reposant un peu avant de reprendre ma tâche. Du coin de l'œil, je la vis observer la préparation entamée, avant de se tourner vers moi souriante.

- Tu veux de l'aide ? Proposait-elle le sourire aux lèvres, les yeux pétillants de malice.
- Euh... Si tu veux. Répondis-je étonné.

Ce n'était pas dans ses habitudes de m'accorder plus que d'attention que cela, mais j'acceptais volontiers. Sentir la présence d'une personne « normale » à mes côtés me réconfortant quelque peu.
On se remit aux fourneaux dans un silence religieux, que je n'osais briser. De toute façon, j'étais déjà repartie dans mes sombres pensées, ruminant à nouveau sur ce qu'aurait pu être ma vie avant.
Quand soudain elle brisait le silence.

- Ça doit pas être facile à vivre tous les jours ces personnes qui te considère comme un cas désespérer et une personne « anormale ». Surpris, je la regardais. Elle avait prononcé ça calmement sans jamais détourner les yeux de sa tâche.
- Si tu savais à quel point ! Soufflais-je soulager que quelqu'un s'en rende compte. Même si j'aurais préféré que ce soit ma famille, plutôt qu'une étrangère.
- Oh ! J'en sais quelque chose, crois-moi. Avouait-elle crisper.

Interloquer, je la fixais, attendant une explication que ne vient pas. Comprenant qu'elle ne souhaitait pas en parler, je n'insistais pas. Après tout, je n'aimais pas qu'on le fasse pour moi, alors je n'allais pas le faire pour les autres.

- Sinon, c'est comment Sabertooth ? Demandais-je, souhaitant alléger l'atmosphère. En ayant marre de parler de chose qui fâche.
- Oh ! Hé bien comme on le décrit. Soufflait-elle dépitée.
- Fils et fille à papa fortuné ?
- Ouais, m'en parle pas, ça me déprime. Je ne supporte pas cette mentalité de toujours plus, toujours plus beau. Pour moi, la vraie beauté, c'est celle du cœur. Pleurait-elle déprimé, par cette atmosphère pesante.
- Pourtant t'es bien une fille à papa toi aussi, vu que tu as été admise. Souriais-je moqueur, depuis l'accident.
- Comment ? Je ne te permets pas de me juger sans connaître, nous ne sommes pas tous comme ça et encore heureux, mécréant ! Répondit-elle joueuse, me balançant de la farine au visage.
- Ah tu veux jouer à ça ? Tu vas voir un peu ! Hurlais-je lui lançant à mon tour une poignée de farine.

C'est ainsi qu'une bataille de farine prit place dans la cuisine. C'était bien la première fois depuis longtemps que je m'amusais, pensant à autre chose que mon accident. Bien que je ne sois pas très performant, avec mes déplacements ralentis, je remarquais que Lucy se calait sur ma vitesse, sans pour autant y aller de main morte. Elle était à la fois naturelle et prévenante, en prenant en compte mon état, me laissant une chance de gagner. Bien que je doute qu'il y ait un gagnant dans cette histoire.

Pour la première fois depuis l'accident je riais, partageant un moment de joie avec quelqu'un d'autre. C'était une sensation étrange, comme si je redécouvrais ce qu'était la vie. Je ne pensais plus à rien si ce n'est à enfariner cette peste de Lucy, qui avait osé me provoquait en duel. J'étais juste heureux, heureux d'être avec une personne qui m'avait enfin compris, une personne qui me permettait de redécouvrir des sensations oubliées.

Malheureusement, comme toutes les bonnes choses, elles ont une fin. Notre instant de jeu volait en éclat lorsque mon père rentrait dans la maison accompagnée de Grey et Roméo. Abasourdis par le carnage présent, ils firent sans voix en me voyant rire, Lucy se cachant derrière moi de peur de se faire engueuler. Timidement, elle sortit sa tête de derrière mon dos, ses mains accrochées à mon T-shirt rouge devenu blanc sous le coup des assauts répétés. Bredouillant des excuses à mon père, lui expliquant ce qui s'était passé et comme quoi ce n'était pas ma faute. Amusé par son comportement si peu assuré, je riais sous cape, souriant de sa maladresse. Ce qui n'échappait pas aux trois autres, qui m'observaient telle une bête de foire. À croire qu'il me voyait pour la première fois.

Hébéter, mon père ne sut quoi dire, si ce n'est que ce n'était pas grave. Ce qui m'étonnait grandement, d'habitude il aurait piqué une crise. Mais là face à cette situation incongrue, il ne savait quoi répondre, si ce n'est que Lucy pouvait rentrer chez elle et qu'il ne lui en voulait pas au contraire. Rassurer, l'intéressé sorti de sa planque, se détachant de moi pour aller récupérer ses affaires. Attristé de la voir partir, je lui souris malgré tout quand elle m'adressait un au revoir. Avant de retomber dans le néant. La lueur de bonheur s'étant envolé avec elle, ne me laissant plus qu'avec mes propres démons et ces êtres devenus des étrangers.

Tu m'as redonné espoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant