Chapitre 3

533 31 1
                                    

Le lendemain, le réveil fut particulièrement douloureux. Non pas à cause de mes jambes. Ce genre de réveil là, je m'y étais habitué, on va dire. Non, cette fois, c'était à cause de mon cœur. De ce cœur, broyé par les épreuves de la vie, broyé par mon propre frère. Je savais que c'était stupide. Stupide de lui en vouloir. Après tout, il n'avait rien fait de mal. Il avait juste demandé que Grey me remplace pour le handball. Me remplacer. Qui sait, peut-être qu'un jour ça sera moi qu'il remplacera pour de bon. Balivernes. C'était tellement stupide comme idée. Comme si mon frère pouvait me remplacer. Sauf que... Il ne pourra pas me remplacer dans le sens du sang, mais dans le cœur oui.

Des idées noires, plein la tête, je me rendis en bas, prendre ce foutu petit déjeuner. Petit déjeuner, que je n'avais pas envie d'avaler. À vrai dire, en ce moment, je n'avais envie de rien. Je devais vraiment être dépressif. Dépressif, la bonne blague ! Non, je ne l'étais pas. J'apprenais juste à gérer ma nouvelle vie ! Je préférais me dire ça... Plutôt que me dire que je perdais complètement la tête, bien que le peu de raison qu'il me reste se soit envolé, hier soir à mon humble avis. Je mangeais donc sous le regard inquisiteur de mon père. Il vérifiait que je mangeais parfaitement mon repas. Il faut dire qu'après la scène d'hier, mon comportement devait l'inquiéter davantage. Je vais devoir faire un effort, si je ne veux pas aller chez ce psychologue. Pourtant quand Roméo atterrit sur sa chaise à côté de moi, je l'ignorais en beauté. Incapable de lui adresser le moindre regard ou la moindre parole. C'était tellement lâche. Mais que pouvais-je faire ? Je n'étais pas prêt à l'affronter.

- Natsu pour hier soir, je voudrais m'excuser. Tenta-t-il, timidement.
- Je ne veux pas de ta pitié ! Lui crachai-je au visage, sanglant.

Jamais je n'avais parlé à mon frère de la sorte, même pas lorsqu'on se disputait. Mais j'en étais incapable. J'étais incapable de ne pas lui en vouloir. De ne pas lui en vouloir, de me regarder avec pitié. Avec ses mêmes yeux que ceux du lycée. À ce souvenir, je ris. Alors c'était ça ? C'était tout ce que j'étais capable de produire comme sentiment maintenant ? De la pitié ? Eh bien, bravo, mon vieux, il est loin le temps où l'on t'acclamait. Un sourire amer se peint alors sur mon visage, au souvenir de cette vie, de cet horizon perdu. Soudain, j'entendis mon frère à côté de moi sangloter. Éberlué, par son état, je le fixais sans comprendre. Puis, me rappelant la force de mes propos, de l'impact que ça devait avoir eu sur son jeune âge, je me sentis coupable. Un profond malaise s'empara de moi et je ne sus comment m'en défaire. Bravo, Natsu, en plus d'inspirer de la pitié, tu sèmes le désespoir là où tu passes !

Honteux, je fis la seule chose qui m'apparut juste sur l'instant. Je l'attirais à moi, calant sa tête sur mon torse. La seule partie encore forte de mon corps. Ses sanglots se transformèrent alors en véritable torrent, et je ne sus quoi faire. Anéanti face à ce que j'avais fait à mon petit frère, je me traitais de tous les noms, me maudissant. Comment pouvais-je être aussi hargneux envers lui ? Bordel, il n'a que douze ans, il est bien incapable de se rendre compte du mal qu'il me fait. Il est incapable de comprendre ce que je ressens. Il ne se rend pas compte à quel point, je hais ce regard-là. À quel point, je lui en veux de ne plus me voir comme avant. À quel point, je m'en veux, à moi, de ne plus être celui que j'étais. Ma culpabilité, me rongeant de l'intérieur, je m'excusais. Lui expliquant que ce n'était pas si grave. Que je ne lui en voulais pas, qu'il avait tout à fait le droit de demander à quelqu'un d'autre, maintenant que j'étais hors jeu, que je ne voulais juste pas ces yeux-là. Face à ses orbes larmoyants, qui me fixaient, je me dis que je n'avais aucunement le droit de l'accuser de quoi que ce soit. Même si ça me tuait de l'intérieur, je me devais de mourir en silence. Tant pis pour moi, j'ai tout perdu ! Roméo n'avait pas à subir les conséquences. Alors, non, je n'avais pas le droit de lui en vouloir et pourtant qu'est-ce que j'aimerais. Ça serait tellement plus simple. Mais je ne peux pas, car je sais que ce n'est pas juste.

Étonnamment, mon père n'était pas intervenu. Il s'était contenté de nous fixer, jugeant très certainement ma réaction. À moins qu'il n'ait voulu intervenir, jugeant qu'il était de mon devoir de réparer mes erreurs. Et il avait raison. Bien que ce soit difficile à admettre, je ne pouvais pas rejeter la faute sur eux, ils étaient tout ce qu'il me restait de véritablement stable. Mes amis également participaient à cette certaine stabilité. Mais étrangement, ils me renvoyaient comme un arrière-goût amer. Ils étaient le miroir de ce que je n'étais plus et cela était drôlement perturbant. Mais tout comme à Roméo, je n'avais pas le droit de leur en vouloir. Car tout simplement, ils avaient toujours été là pour moi, et ce, quoiqu'il arrive. La preuve en est ! Je ne pouvais pas détruire leur vie, sous prétexte que la mienne l'était déjà. Je n'avais, donc, pas le droit de leur reprocher d'avoir celle que j'avais. Je pouvais juste avoir le droit de continuer à m'enliser dans ma souffrance. Encaissant leur pitié, vivant dans la peur qu'un jour tout le monde m'abandonne.

Je me préparais donc la conscience tranquille, le sourire rassurant de mon frère en mémoire. Cherchant dans mon armoire, un vieux vêtement que je n'avais pas mit depuis des lustres. Retournant, tous les tiroirs sens dessus dessous, je finis par la retrouver. L'écharpe de mon père ! Celle qu'il m'avait offerte pour mes huit ans. J'avais cessé de la mettre depuis longtemps, sauf lors des jours les plus froids d'hiver. Mélancolique, je caressais le tissu, me rappelant ce jour-là. C'était le dernier cadeau que lui et ma mère m'avaient offert ensemble, bien que l'idée provienne bien de lui. Elle possédait tout un symbole pour moi. Symbole dont je fis abstraction, ne voulant pas broyer du noir à cause de ma mère. Déjà qu'elle venait ce soir. Non ! Désormais, cette écharpe sera juste un moyen pour cacher l'une de mes nombreuses cicatrices. Bien que celle présente à mon cou ne soit pas la plus impressionnante, elle le restait suffisamment pour tous ses yeux avides qu'étaient ceux de mes camarades de classe. À vrai dire, toute une histoire devait tourner autour d'elle maintenant. Jamais je n'avais entendu des personnes parler autant sur une simple marque. Marque qui serait cachée à partir d'aujourd'hui.

Je me rendis donc au lycée vêtu de celle-ci, surprenant mes amis qui se moquaient me rappelant qu'il ne faisait pas encore assez froid pour mettre une écharpe. Je ne pus m'empêcher de sourire face à leur moquerie. Au moins, ils essayaient de rester les mêmes biens qu'ils me prenaient pour un homme en sucre. À mon grand désespoir. Mais qu'est-ce que j'y pouvais ? Surtout que je dus bien admettre que vu ma façon de grimper l'escalier et vu ma vitesse semblable à celle d'une limace, il devait apparaître peu probable que je ne sois pas en sucre. Chaque secousse risquant de me faire tomber. Ma stabilité n'étant plus ce qu'elle était. Je me baladais finalement avec une muraille tout autour de moi. Mes amis prenaient très à cœur leur rôle de protecteur. Je vous jure, si la situation n'était pas aussi triste, je pourrais en rire.
En arrivant en classe, des murmures se firent entendre, sur le fait que j'avais caché ma cicatrice. Comprenant soudain l'utilité de cette écharpe, ils s'excusèrent. À mon plus grand désespoir. Allait-on un jour cesser de me prendre avec des pincettes ? Heureusement pour moi que ma famille avait compris plus vite qu'eux en me voyant sortir avec, ce matin.

Le reste de la journée se passa exactement comme celle d'hier, à part que les professeurs ne me demandaient plus comment j'avais survécu à une voiture. Par contre, les autres étudiants, eux, ne se contenaient pas le moins du monde. Me pensaient-ils devenu sourd ? Le pire était de loin l'heure du déjeuner. Alors là, ça piaillait dans tous les sens. J'espérais sincèrement que d'ici quelques jours, ils se seraient lassés et seraient passés à autre chose. Bien que je sache que j'aurais désormais tous ces regards remplis de « compassion » sur moi, je les supporterai mieux quand il n'y aura plus tous ces bavardages incessants. Soupirant, pour la énième fois de la journée, j'enfouis ma tête dans mes bras, repoussant mon plateau-repas.

- Bah alors, tu ne manges pas ? M'interrogea Grey.
- Pas faim. Me contentais-je de répondre.
- Oula ! Attention ! Natsu Dragnir qui n'a pas faim ! Vite, appelez l'infirmière ! Se moqua Gadjeel.

Sauf que la seule chose que je fis, ce fut de sortir ma tête de mes bras pour la poser dessus. Mon manque de réaction les alertant. Je crois qu'ils comprirent alors tous les changements que cet accident avait entraînés. Prenant toute la pleine mesure de ce que j'étais désormais. Il fut un temps, où j'aurais répondu de manière colérique et enjouée à ce genre de plaisanterie, mais maintenant cela ne me faisait plus rien. Face à leurs regards perdus, j'esquissais un semblant de sourire, qui ne fit pas illusion. Il était aussi faux que le mythe du monstre du Loch Ness.

- Natsu...
- Si c'est pour me dire que je suis devenu une loque et que je suis dépressif, ce n'est pas la peine, mon kiné me le répète assez souvent. Enfin, que je suis dépressif. Le fait que je sois une loque, ça, je le sais tout seul. Interrompis-je Jellal.
- Natsu, c'est faux ! Tu n'es pas une loque ! Certes, tu n'es pas en super état, mais t'es toujours en vie et c'est tout ce qui compte. Argumenta Loki.

Je me retiens bien de lui dire que ma vie était foutue. Ravalant ma colère. Colère qui s'agrandit quand je vis la petite amie de Jellal se ramener avec certaines de ses amies. Jellal sortait avec notre déléguée de classe, Erza Scarlett. Une plantureuse femme aux cheveux rouges, particulièrement sévère et intimidante. Mais qui possédait un très bon fond, selon Jellal. Mais même si c'est le cas, je ne comprends toujours pas comment il fait pour sortir avec ce monstre. Monstre, qui me fixait avec ce même regard que ceux des autres. Bien que le sien soit moins perçant, peut-être allait-elle se comporter avec moi comme si de rien n'était. Sauf que ce ne fut pas le cas. Pour la première fois de ma vie, je vis Erza prendre des gants avec quelqu'un. La situation en était risible. Mais ce qui le fut encore plus ce sont ses amies. Alors, autant Juvia qui était en pâmoison devant Grey, je pouvais comprendre qu'elle m'évitait, mais les autres : Levy et Mirajane faisaient tout leur possible pour ne pas me regarder et surtout pour ne pas s'asseoir à côté de moi.

Pincez-moi, je rêve ! Quand je disais que plus aucune fille ne voudrait de moi, je ne pensais pas que ce terme s'appliquerait aussi aux amies. Oh, mais j'oubliais, on était ami avec moi parce que j'étais le capitaine de l'équipe de handball. Souvenir amer, sensation de trahison intense. Ou en fait non, juste une froide et dure réalité, mise à jour par mon état. C'en était risible. En fait, cela était tellement risible, que je ne pus m'empêcher de rire, accentuant leur malaise, sous les yeux perdus de mes amis qui devaient me prendre pour un fou. Mais apprenait une chose ! C'est ce que j'étais en train de le devenir.

- Natsu, tu vas bien ? Se risqua Grey.
- À merveille ! En fait, je remarquais juste à quel point la vie peut parfois être ironique et si... Ah comment dire... Ah oui, salope. La vie est une garce !
- Euh, je crois que tu as besoin de repos. Me conseilla Mirajane. Son ton bienveillant me donnant l'impression qu'elle me prenait de haut.
- Du repos ? Laisse-moi rire ! Du repos j'en ai eu pendant deux putains de mois. Deux très longs mois et j'en aurai encore plein ! Vu que désormais je suis un éclopé, incapable de quoi que ce soit. M'écriais-je à bout.
- Je... Je suis désolée ! Bégaya-t-elle, les larmes au bord des yeux.
- Désolée ? Je n'en ai rien à faire Mira que tu sois désolée ! Ce n'est pas à toi d'être désolée.
- Peut-être, mais sans toi ma sœur serait sûrement morte alors, merci. Se confia-t-elle.

Ses mots n'eurent aucun impact sur moi. Certes, j'étais touché de voir qu'elle comprenait que j'avais perdu ma vie pour celle de sa sœur. Que j'avais sacrifié mon existence. Mais ce n'était pas elle que j'avais sauvée des roues d'une voiture, ce n'était pas d'elle que j'attendais un merci. Alors je me levai vert de rage, chancelant sous l'impulsion bien trop violente, me rattrapant à la table. Je plantai mes pupilles vertes dans les siennes bleu océan, les mêmes que celles de sa sœur.

- Ce n'est pas de toi que j'attends un merci. Ma réponse sembla la glacer de l'intérieur, mais qu'importe. Elle ne pourra jamais l'être autant que moi. Je tournais alors mon regard vers Grey.
- Au fait, Roméo m'a demandé si tu pouvais l'entraîner, maintenant que je ne peux plus. Lui annonçais-je les larmes manquant de couler, malgré moi.
- Euh... Oui bien sûr... Mais Natsu, tu es sûr que ça va ?
- Autant que ça puisse aller. Lâchais-je fatigué avant de m'enfuir vers notre salle de classe.

En partant, je pus entendre leur peine. Leur prise de conscience face à mon état et ce même mot revenaient dans leur bouche : dépressif. Soupirant, je me demandais si j'avais bien fait de laisser tomber le masque. N'aurais-je pas dû essayer encore un peu de faire bonne figure ? Non ! Vaut mieux qu'ils sachent directement à qui ils ont affaire, qu'ils se rendent compte que je ne suis plus celui que j'étais. Blessé, aussi bien physiquement que psychologiquement, j'encaissais comme je pouvais la fin de la journée. Le regard de mes amis étant encore plus triste qu'avant, je m'en voulais de les faire souffrir, mais je ne pouvais pas leur mentir plus. Puis de toute façon, jamais ils ne souffriront autant que moi. Affalé sur ma table, je ne réagis même pas en entendant la cloche sonner. Je n'avais pas envie de rentrer chez moi, je ne voulais pas voir ma mère. Pourtant, je dus me résoudre à partir, traînant la patte. Grey me demandant s'il pouvait passer ce soir, sous le regard attentif des autres.

- Vaut mieux que tu passes demain. Ce soir, ma mère doit venir à la maison. Expliquais-je platement.
- Oh... C'est pour cela que tu étais...
- Non ! Désolé de vous faire de faux espoirs les gars, mais... comprenez que je ne serai plus jamais le même. Je suis désolé de vous avoir donné une fausse image hier, mais je ne peux pas faire semblant. Coupai-je Loki.
- C'est normal, tu sais, il te faut un temps d'adaptation. Me réconforta Jellal, me faisant rire.
- Je n'ai plus de vie. Avouai-je sans m'en rendre vraiment compte, me dirigeant vers la voiture de mon père.

Surpris par ma déclaration, je ne me rendis pas compte qu'ils s'étaient figés, jusqu'à ce que Gadjeel me saisisse par le bras. Il s'apprêtait à dire quelque chose, mais quand il rencontra mon regard il se tue. Lâchant finalement qu'ils seraient toujours là, qu'ils m'aideraient. Je sus que ce n'était pas ce qu'il voulait dire. Gadjeel était, ce genre de personne, à vous secouer. Je me souviens que lors des matchs, il avait un don pour me remonter le moral en me criant dessus. Mais c'est à croire qu'il n'en était désormais plus capable. Comme s'il ne pouvait pas, n'osant pas s'en prendre à un éclopé, toujours cette même pitié dans le regard. Et pourtant, au fond, j'aurais préféré qu'il m'engueule, qu'il me crie dessus à s'en arracher les cordes vocales. J'aurais préféré cela à une indifférence totale, ou à ce mutisme si peu caractéristique de sa personne.

Mutisme qui semblait se répandre partout où je passais, à croire que mon état plongeait tout le monde dans un silence oppressant, gênant. Même mon père ne savait pas quoi dire ce soir. Bien que je doute fort que cela soit en grande partie dû à la venue de ma mère. L'idée de revoir cette femme qu'il avait aimée, chéri, et qui l'avait trahi devait largement le perturber. Et je sus que j'avais raison, quand je le vis se tendre en voyant la voiture de maman garer dans l'allée. En pénétrant dans la maison, nous la vîmes en pleine discussion avec Roméo, qu'elle était allée récupérer à la sortie du collège. La seule fois où elle était allée chercher l'un de nous. En nous voyant arriver, un grand sourire s'étala sur ses lèvres et je ne pus réprimer une grimace. Comment pouvait-elle se comporter comme si de rien n'était, comme si l'on était encore la famille parfaite ? Quand elle s'avança vers moi, pour m'embrasser, je reculai refusant le repos que mes jambes me suppliaient de leur donner.

- Salut Jade. Lançai-je d'un ton froid, ce même ton que j'arborais depuis qu'elle nous avait quittés.
- Natsu... Son regard exprimait une peine immense, mais je n'en avais rien à faire.

Ne supportant plus de me retrouver dans la même pièce que cette femme qui m'avait donné la vie. Je m'enfuis dans ma chambre, m'y réfugiant, espérant qu'elle serait partie quand Jura arriverait. Malheureusement pour moi ce ne fut pas le cas, je pus même sentir pendant tout le long de ma séance son regard peser sur moi. Bon Dieu que c'était chiant ! Ne pouvait-elle pas me foutre la paix ! Elle l'avait bien fait pendant toutes ces années, elle pouvait très bien continuer. Ce n'est pas parce que je boite qu'elle a besoin de changer ses habitudes. D'ailleurs, je me demandais ce qu'elle faisait là. Depuis tout à l'heure, je les entendais parler avec mon père et mon frère et la seule chose qu'elle arrivait à faire, c'était de dire amen à tout ce que mon père lui proposait.

- Que dirais-tu d'un étudiant plutôt que d'un professionnel qui mettrait Roméo mal à l'aise ?
- D'accord, fait comme tu le sens.

Fait comme tu le sens ? Mais quel genre de mère pouvait dire et penser cela ? L'avenir de son fils ne la préoccupait même pas un peu ? Bien sûr que non ! Et tout comme moi, Roméo sera déçu de ne pas la voir arriver à son premier match, il sera déçu de recevoir comme seule réponse « désolée je n'ai pas le temps, mon chéri », alors que lui il sera, en larmes, à l'autre bout du fil. Tout cela je l'avais connu et Roméo connaîtra la même chose. Elle ne semblait définitivement pas décidée à changer. Elle préférait courir d'avocat en avocat, de juge en juge. Quand je pense qu'elle avait dû profiter du travail de mon père pour voir d'autres hommes, son métier d'avocat lui prenant du temps. Elle me dégoûtait. J'étais tellement énervé contre elle que je forçais trop sur mes jambes, qui à bout de forces, ne me tenaient plus. Je m'écroulai lamentablement au sol, la douleur me transperça telle une lame d'un couteau. J'avais l'impression que tous mes muscles allaient me lâcher en prenant feu. Quand je pense qu'avant je pouvais courir des kilomètres entiers sans jamais ressentir la moindre courbature. Voilà que maintenant, j'étais incapable de tenir sur mes jambes après une journée entière à forcer dessus.

Je vis mes parents courir vers moi affoler, mon père en tête. Quand ils voulurent m'aider, je repoussais ma mère, lui faisant bien comprendre que je ne voulais pas de son aide, j'acceptais seulement celle de mon père. Quand je fus assis, Jura s'empressa de m'examiner avant de me réprimander sur le fait que je devais apprendre à gérer mon effort en fonction de mes « nouvelles » jambes. Grognant face à la souffrance que je ressentais, je me maudissais pour ne pas avoir tenu compte du signal qu'elles m'envoyaient. Mais la douleur était tellement omniprésente que je me disais un peu plus ou un peu moins, cela n'aurait pas d'importance. Mais Jura avait raison, je le savais. Mais je souhaitais tellement qu'il ait tort. Me refermant sur moi, sur ma douleur, je ne pus empêcher quelques larmes de passer la barrière de mes paupières. Serais-je toujours aussi inutile, aussi faible ? Bien sûr que oui ! Désormais, tout était fichu. Je me repris en voyant mon frère arrivé paniqué. S'il y a bien une personne à qui je ne voulais pas montrer ma faiblesse, c'était lui. Alors je pris sur moi, essayant d'oublier, d'ignorer mes muscles en feu. Lui demandant s'il était content d'avoir un étudiant, plutôt qu'un spécialiste. Il me répondit que oui, que c'est ce qu'il avait demandé, préférant un jeune qui le mettrait plus à l'aise.

Étonné de l'apprendre, je remarquais très rapidement qu'il ne m'en avait pas parlé. Blessé de le constater, je lui demandais pourquoi il ne m'en avait pas parlé. Il me répondit simplement que c'est parce qu'il voulait en parler avec maman et ne pas m'ennuyer. M'ennuyer ? Comme si une chose aussi importante pour lui m'ennuyait ! Je ressentis à nouveau ce sentiment d'abandon, bien que je me doute fort qu'il le fit en pensant bien faire, je ne pus m'empêcher de grincer des dents. Toute la frustration de ne plus être celui que j'étais me frappant de plein fouet une nouvelle fois, l'amertume et la colère se répandirent dans mes veines, je me mis à trembler. Je sentais le regard scrutateur de Jura sur moi, m'examinant comme un animal de foire, mais je n'en avais que faire. Ce qu'il pouvait penser de moi et de ma soi-disant dépression était le dernier de mes soucis. Tout ce que je voulais à cet instant : c'était retrouver ma vie d'avant, être à nouveau ce grand frère.

Alors quand il me fit la proposition de me raccompagner jusqu'à ma chambre je ne refusais pas, trop heureux de pouvoir être avec lui. Notre mère voulut nous accompagner, mais je la repoussai brutalement, lui crachant au visage que je ne voulais pas d'elle, que je n'avais pas besoin de sa pitié, que c'était trop tard pour assurer son rôle. Je vis ses yeux se remplir de larmes, mais cela ne me fit ni chaud ni froid. Cette femme n'était plus ma mère pour moi, et ce, peu importe tous les efforts qu'elle ferait, elle avait perdu ce droit selon moi. Je remontais alors avec Roméo dans ma chambre, sous le regard sévère de mon père, je savais déjà que j'aurais droit à des remontrances, mais je n'en avais que faire. Cependant, quand Roméo m'a demandé si je lui en voulais d'avoir fait venir maman à la maison, je lui répondis que non. Je lui répondis qu'il avait le droit de croire encore en elle, bien que je sache qu'il serait déçu. J'espérais qu'elle ne ferait pas la même erreur deux fois, bien que j'en doute. Mais, dans tous les cas, ce n'était pas à moi de détruire son rêve, comme je l'ai déjà dit, la vie s'en charge très bien toute seule. Je lui souris alors, lui disant de profiter d'elle. Bien que, moi, je ne descendais pas la saluer avant qu'elle parte. J'avais dit que Roméo pouvait y croire, mais moi je n'y croyais plus depuis longtemps.

Tu m'as redonné espoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant