[Cinq ans plus tôt]
Une affreuse odeur de moisi, d'alcool et de tabac froid traînait dans l'air, le rendant difficilement respirable. Des centaines de bouteilles vides jonchaient le parquet sale, et le cendrier était sur le point d'exploser. Sur le canapé, commande à la main et télévision allumée, un homme d'une quarantaine d'années, le ventre arrondi par la bière, dormait dans d'insupportables ronflements. L'enfant enjamba les détritus pour aller s'enfermer dans la salle de bain, ou du moins la pièce qui en portait le nom : le carrelage était craquelé de partout, et la moisissure avait déjà atteint les rideaux à moitié déchirés, les jointures, le papier-peint ainsi que le lavabo et la baignoire. Il tourna le verrou et se plaça devant le miroir brisé. Il avait plutôt mauvaise mine, et ses vêtements ne ressemblaient plus à grand chose. Il effleura le grain de beauté qu'il portait sous l’œil gauche et grimaça. Sa mère disait souvent qu'avec sa beauté, il pourrait facilement devenir gigolo. Cette simple idée le répugnait, mais il finirait sûrement par s'y résigner. Il alluma le robinet et se passa un peu d'eau froide sur le visage. Ensuite, tout aussi discrètement qu'a l’allée, il sortit de la petite pièce et quitta l'appartement.
Dehors, le soleil l'éblouit avec un telle intensité qu'il dû se couvrir les yeux avec sa petite main enfantine. Quelqu'un le bouscula, et une vive douleur s'empara de son abdomen. Sa mère n'était pas rentrée la veille aussi, préférant certainement passer la nuit avec ses clients plutôt qu'à la maison. Ça avait mis son père hors de lui, et la suite il aimait mieux ne pas y penser. Il n'allait pas à l'école : la primaire passait encore, mais le collège était à présent hors de la portée financière de ses parents, du moins c'était ce qu'ils lui rabâchaient constamment. Par conséquent, il passait ses journées à traîner en ville, et se divertissait comme il le pouvait. Il habitait dans un quartier assez malfamé où d'autres enfants se trouvaient dans la même situation que lui, mais il ne se mélangeait jamais à eux. Ils le répugnaient. Il les détestait. Il était un enfant plein de haine, et c'était ce qui l'aidait à tenir.
Il délaissa sa résidence appauvrie pour fréquenter un coin dit plus « touristique ». Mis à part l'endroit où il vivait, sa ville était plutôt jolie, et réputée pour ses ruelles fleuries. Il passa devant le restaurant « Les Pâquerettes de Marguerite » et s'arrêta un instant. Une serveuse riait aux éclats avec une tablée de quatre hommes, les poussant ingénieusement à consommer davantage. Elle était d'une incroyable beauté, avec ses longs cheveux bruns bouclés tombant en cascade sur ses épaules, et son grain de beauté ensorceleur sous l’œil gauche, dont son fils avait bien évidemment hérité. Elle avait l'air de bien s'amuser. Ça l'énerva encore plus. Il cracha un juron puis s'éloigna.
Il finit par s'installer sur les vieilles marches de la mairie, qui se trouvait sur la grande place, entourée par les glaciers hors de prix et les magasins de grandes marques. Le lieu était bondé, on n'y voyait pas à un mètre devant soi. La jeune homme passait ses journées à observer la foule. Ces gens qui, à ses yeux, n'avaient ni noms ni visages, constituaient sa principale occupation. Ils se baladaient, le sourire aux lèvres, et s'extasiaient devant tout et n'importe quoi. Ils étaient heureux. Alors il les détestait. Il ne savait faire rien d'autre, et c'était ce qui l'aidait à tenir.
Quelque chose attira son attention. Tout le monde l'ignorait, agissant comme si elle n'existait pas, mais lui l'avait remarquée. Au centre de la grande place, un petite fille pleurait silencieusement. Elle était seule, tremblante et sanglotante. Il l'observa un long moment, ne sachant pas vraiment quoi faire. Elle ne bougeait pas, restant clouée au milieu de la cohue. Il finit par avoir de la peine pour elle, car il se leva et partit à sa rencontre. Arrivé à sa hauteur, il resta interdit. Que devait-il faire ? Il ne parlait déjà que très peu aux jeunes de son âge, alors une petite fille... Après une brève réflexion, il posa sa main sur la petite tête brune.
- Hé... ça va ?
Elle renifla et lui fit signe que non.
- Tu... tu es perdue ?
Elle acquiesça.
- Ah... tu es en vacances ? Ou tu habites ici ?
- Vacances...
Mince, c'était le pire. Il inspira puis la prit par le bras.
- Viens avec moi, on va essayer de retrouver tes parents.
Les yeux de la petites s'illuminèrent.
- Vraiment ? Merci !
Il lui sourit fébrilement et ils se mirent en marche. Il ne savait pas véritablement ou chercher, alors il décida, dans un premier temps, de se rendre dans les endroits les plus fréquentés.
- Dis, comment tu t'appelles ?
Ils sursauta et se tourna vers le petit bout de choux qui l'accompagnait. Elle devait avoir une dizaine d'années, et portait une petite robe blanche ornée d'étoiles dorées. Elle le fixait de ses yeux noisettes, et attendait visiblement la réponse avec impatience.
- Tyki... Et toi ?
- Aimée.
Nouveau silence. Ils marchaient plutôt lentement, et le garçon s'arrêta pour lui demander si elle voyait sa famille. Elle lui répondit que non. Ils continuèrent leur route.
- Tu es tellement grand ! Tu as quel âge ?
- Quinze ans. Et toi tu dois avoir, quoi, dix ans ?
- Bientôt onze. Dans un mois.
- Tu es plutôt grande pour ton âge.
- Tu trouves ? Je sais pas... en tout cas, ma sœur dit que le suis pas assez pour porter des talons. Mais j'aimerais bien en porter, tu comprends ?
Il pouffa. Lui qui se sentait mal à l'aise au début, il la trouvait finalement assez drôle cette gamine.
- Je suis sûr que tu pourras bientôt en mettre. Lui répondit-il.
- C'est vrai ? Oui, si un grand comme toi le dit, c'est que c'est forcément vrai !
Ils se stoppèrent devant une vieille enseigne aux murs craquelant. Le garçon fronça les sourcils et réussit à lire « commissariat ».
- Si tes parents ne te trouvent pas, ils viendront forcément ici.
Il hésita, puis se décida à entrer. L'intérieur était très peu éclairé, et seules quelques tables bancales faisaient offices de bureaux. Une femme aux longs cheveux noirs et aux yeux vert luisant se précipita vers eux, et saisit l'oreille de la petite fille avec violence. Elle émit un cri de douleur, qui fut toutefois étouffé par les hurlements de l'inconnue.
- Où est-ce que tu te cachais, idiote ?! T'as fait une balade ou quoi ?! Tu sais depuis combien de temps on t'attend ?! Tu n'es donc que capable de nous causer des ennuis ?!
L'enfant s'était remise à pleurer.
- Je suis désolée... je suis désolée...
- Tu as intérêt à l'être ! Tu as gâché nos vacances !
Elle la lâcha et l'attrapa par le col. Tyki, quant à lui, n'osait pas intervenir. Il se sentait horriblement désolé pour elle, et souhaitait vraiment l'aider. Bientôt, un homme et deux enfants les rejoignirent.
- Bon, on va pouvoir y aller maintenant. Lâcha la femme.
Tous acquiescèrent et se dirigèrent vers la sortie, en l'ignorant complètement. La petite fille se retourna tout de même et lui offrit son plus beau sourire.
- Merci, Tyki.
Elle disparut. Une larme lui échappa.
- Désolé, Aimée.
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Last Stardust || Inspiration D.Gray Man
Romance"J'ai chaud. J'ouvre les yeux. Je me trouve dans une grande salle de bain épurée, dont la buée provoquée par la chaleur du bain dans lequel je suis allongée brouille ma vue. Je sens un corps derrière le mien, et bientôt deux bras viennent m'enlacer...