Je me sentais soulagée de l'avoir tuée. C'était comme un cap franchi duquel je ne pouvais plus revenir en arrière et j'aimais cette image de l'horreur. Un passage qu'on franchissait au gré de ses envies, au gré de ses regrets. Si je ne pouvais l'avoir, lui, je voulais que vivent en eux le souvenir d'une femme qui était son égale.
C'était bon de savoir où tout cela allait finir et de connaître la fin de la pièce avant qu'elle ne se joue. J'étais spectatrice d'un chaos que j'avais créé mais j'avais hâte que le rideau tombe enfin pour me permettre de le retrouver.
Désormais, les démons me fuyaient tous dès que j'approchais d'une de leur tanière et leurs yeux luisants devenaient méfiants à chaque fois que mes lèvres s'entrouvraient. C'était un sentiment nouveau, presque agréable, de sentir que j'étais finalement celle que je voulais être : un ange plus corrompu encore que lui.
Je ne voulais pas qu'il soit le méchant de cette histoire alors j'endossais le rôle à sa place en fermant la porte à tout ce que je ressentais d'étranger en moi. Peut-être qu'au fond je me voilais la face et que j'étais devenue l'horrible personnage de l'histoire à l'instant même où mon secret avait été révélé mais c'était plus simple de voir mes récentes décisions comme un sacrifice pour lui.
À mes yeux, je n'avais jamais été maîtresse de moi avant et cet instant marquait la rupture entre l'influence de Dieu sur mes actions et celles que je faisais en pleine connaissance de cause. J'avais libéré Ève car je ne savais pas comment cadenasser mes pouvoirs mais j'avais libéré Amaris pour qu'elle m'aide à sauver l'âme de Lucifer.
Je me dépêchai de finir la missive que je rédigeais avant de reposer le stylo en argent sur la table et de me relever. Je m'étirai les bras et replaçai mes courtes mèches derrière mes oreilles avant de jeter un coup d'œil par la baie vitrée. Même de loin, je perçus l'agitation qui remuait les profondeurs infernales depuis mon petit spectacle sur la place publique. Dans le reflet de la vitre, je vis les yeux d'une étrangère et le sourire d'une femme qui n'avait plus grand-chose d'humain. Mes ailes se déployèrent sans que je réagisse et le rappel fut douloureux quand les plumes blanches ondoyèrent contre ma robe pourpre.
Je disais adieu à tout pour lui et il n'était même pas là pour voir mes larmes couler.
L'amour à sens unique faisait mal mais l'amour partagé brisait votre cœur en millier de morceaux acérés, en millions de miettes qui vous lacéraient de l'intérieur. Aimer, en fait, était plus douloureux que détester.
Je secouai la tête pour reprendre mes esprits parce que me voir pleurer me rendait pathétique et que je détestais cette part de moi. Je me pressai de tirer les rideaux de velours puis fis demi-tour et claquai la porte du bureau derrière moi. Je grimpai les marches en vitesse, pressée de retrouver la chaleur de mon lit et la douceur de l'alcool dans ma gorge. Le monde était plus beau quand je me voilai la face.
Je poussai la porte et la première chose que je vis fut le piano complètement saccagé, dont les bouts déchiquetés traînaient à droite et à gauche de la pièce. Les cordes s'emmêlaient et des morceaux de partition recouvraient le sol à la manière d'un tapis.
— Putain, soupirai-je.
Tous les soirs, c'était le même rituel où les souvenirs de ma fureur revenaient sans demander l'autorisation et enflammaient mon cœur d'une façon terrible. C'était peut-être mieux ainsi. Se débarrasser de tout ce qui aurait pu me faire penser à lui et l'oublier ensuite avec un cocktail trop fort. Je contournai les débris sans un regard pour le plancher et me dirigeai droit vers le bar et l'impressionnante collection de bouteilles qui s'y cachait.
Un bruit de porte attira mon attention et je fis volte-face pour apercevoir la porte d'entrée s'ouvrir lentement. Une petite main aux ongles noirs tels des griffes osa passer la porte, suivie de près par une tête de femme qui ne me disait rien. Elle resta prostrée derrière le battant et sa main griffue tapota la porte en un signe de panique évident. Cela faisait longtemps que personne n'était venu ici.
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LE PÉCHÉ INFERNAL | Romance
Roman d'amourIls étaient anges de lumière avant de devenir réceptacles de l'abysse. Pourtant, quand deux âmes sont déjà trop brisées pour vivre, il est impossible de réparer toutes les blessures, d'éclipser les ténèbres et de faire taire le chaos du cœur. Gabrie...