01 | GABRIELLE

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Au Paradis, la vie était d'un ennui profond.

Assise dans l'herbe verdoyante du plus grand parc d'Eden, je n'arrivais pas à me convaincre que tresser des couronnes de fleurs allait m'aider à devenir enfin un ange accompli. Il me suffisait de lever les yeux pour profiter du plus beau ciel jamais créé mais mon esprit aimait rêver à plus que l'infinité d'immeubles de verre et de verdure qui formait ce que les mortels appelaient communément le Paradis. Eden. La ville des âmes pures.

Les babillages incessants de Syrielle m'aidaient à supporter la lassitude de ma tâche. Elle se plaisait à me raconter à quoi ressemblait les derniers arrivés et, faisant la conversation seule, elle ne se rendait pas compte de mon inattention, de mes pensées que d'autres auraient pu juger indignes de ma formation.

J'avais eu la chance d'être de celles qui était vouée à devenir un ange à part entière, capable de se rendre sur Terre et d'interagir avec les humains encore bien vivants. Les âmes déjà mortes étaient toutes très appréciables mais elle avait la fâcheuse tendance d'être toujours trop reconnaissantes. Il en devenait impossible de se balader dans les rues sans avoir une foule de mains qui s'accrochaient à vos chevilles pour vous forcer à étreindre des corps qui n'en étaient plus vraiment.

Je ne voulais pas qu'on me remercie.

Mais je voulais désespérément aller sur Terre.

Alors je tressais mes fleurs en couronne comme me l'avait demandé l'archange en charge de ma formation. Si l'intérêt me semblait dérisoire, je savais d'expérience qu'il n'était pas bien vu de contredire un fils du Créateur. À chaque fois que j'osais tenter l'ironie avec Aménadiel, nous attirions les regards désapprobateurs de ses frères et sœurs.

— Tu crois vraiment qu'il y a peu de risque d'être tirée au sort ? me demanda Syrielle avec une certaine appréhension dans la voix.

Je n'entendis même pas sa question. Mes pensées et toute mon attention venait de se tourner vers le nouvel arrivant, l'homme qui se promenait au loin, dans un champ de fleurs, les cheveux au vent et un grand sourire sur les lèvres. Dans le soleil constamment éclatant d'Eden, il faisait honneur à son surnom. Le fils préféré.

— Gabrielle ?

Mais à mes yeux, il était plus qu'un simple archange pour lequel je vouais un amour plus ou moins secret. Il était l'homme le plus pur que je n'avais jamais rencontré et pour ça, je l'admirais plus que je n'aurais voulu l'admettre. Avant de l'aimer, je voulais surtout être comme lui. Puis, les sentiments étaient nés sans que je m'en rende compte.

— Gabrielle ?

C'est terrifiant pour un être comme moi qui pensait avoir tout vu de se sentir lié à quelqu'un sans l'avoir choisi. La vie ici est monotone, parfois trop lisse et douce, mais je n'aurais voulu l'échanger pour rien au monde. J'étais chez moi, ici.

— GABRIELLE !

Je basculai sur le dos quand Syrielle se jeta sur moi comme un loup affamé. Prise de court par ma propre réaction, elle chuta avec moi et elle finit allongée sur mon ventre, ses magnifiques cheveux blonds déployés dans les marguerites. J'explosai de rire devant sa mine déconfite et la manière dont elle tentait d'enlever les brins d'herbe de ses mèches.

— Arrête de rire, t'es pas mieux, grommela-t-elle.

Mon sourire redoubla devant ses sourcils froncés et je n'esquissai pas un mouvement pour me relever. Le tapis d'herbe sous ma tête était confortable, le soleil caressait ma peau avec délicatesse et mes yeux se perdaient dans l'immensité de ce ciel d'un bleu éclatant que rien ne venait jamais troubler.

Syrielle s'approcha de moi et dégagea une mèche noire de mon front dans un geste presque maternel. Son air faussement contrarié n'était pas très convaincant et elle l'abandonna vite devant mes yeux rieurs. Je tendis une main vers elle pour qu'elle m'aide à me redresser et elle le fit sans rechigner.

J'époussetai les manches de ma robe blanche tandis que je sentais sur moi ses deux pupilles d'un bleu presque blanc. Syrielle était d'une gentillesse débordante si bien qu'elle se sentait souvent investie de la mission de ramener chaque âme égarée à la raison. Je ne faisais pas exception à la règle.

— Fais-moi la leçon tout de suite, qu'on en finisse vite.

Sans même la regarder, je savais qu'elle était en train de mordiller sa lèvre pour réfléchir à la manière de formuler sa remontrance sans me blesser. Le temps de réflexion dura moins longtemps que je ne l'aurais prédit :

— Tu ne peux pas penser à lui de cette façon. C'est mal, Gabrielle.

Elle avait donc surpris mon regard. Après tout, je devais reconnaître que la discrétion n'avait jamais été mon fort.

— Et de quelle façon je pensais à lui à ton avis ? l'interrogeai-je avec un ton qui se voulait enjôleur.

Elle rougit immédiatement. Syrielle était d'une candeur adorable qui faisait d'elle l'incarnation parfaite de ce que devait être un véritable ange. Douceur. Altruisme. Générosité. Pureté. Et bien sûr, dévotion sans faille.

— Ne me force pas à répéter que les archanges ne peuvent pas aimer les anges.

— Tu te répètes justement, répondis-je avec une moue taquine.

Elle frappa gentiment mon bras et je m'écartai avec une mine ridicule, main devant la bouche et yeux exorbités. Elle ne parvint pas à retenir le petit rire qui lui échappa.

— Arrête tes bêtises. Je ne veux pas que tu souffres, c'est tout.

Son ton avait changé et me laissait entrevoir à quel point notre lien était fort. Elle tenait à moi presque autant que je tenais à elle et, alors que je m'approchais pour la prendre dans mes bras, je me rendis compte qu'au final elle était encore plus un « chez-moi » qu'Eden.

— Ne t'inquiète pas pour moi, Syri. Je sais prendre soin de moi.

Mon collier qui reposait sur ma clavicule se fit plus lourd en réponse. Si j'étais un ange plus à cheval sur la discipline, j'aurais peut-être eu des regrets à lui mentir aussi effrontément. 

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant