Le jour fatidique était arrivé et j'étais forcé de constater ma défaite. Mon père avait gagné parce que j'avais baissé les armes devant le charme de cette ange aussi fourbe qu'un démon. Et toutes nos manigances n'avaient finalement rien pu y faire.
Je possédais une partie de son secret mais je craignais de ne jamais avoir la force de découvrir l'ombre derrière la lumière qu'avait faite Elvan. J'allais lier ma vie à Gabrielle et je n'arrivais pas à trouver ça écœurant, je n'arrivais pas à être en colère ou à Lui en vouloir. Entre nous, c'était comme un lien invisible qui m'attirait sans relâche vers elle, prétextant la chaleur de ses bras pour mieux dissimuler que je voulais juste la voir sourire. Elle incarnait tout ce que je n'avais plus ressenti depuis ma déchéance et elle me faisait penser à l'ancien Lucifer, celui qui vivait sans craindre la chute qui l'attendait pourtant.
Dans ses yeux, je ne me voyais plus comme un monstre. Mais dans ses iris, je me découvrais objet de colère et de haine. Si moi je la désirais, si moi j'avais besoin d'elle pour guérir, elle, au contraire, ne me vouait qu'une rancœur sans nom qui était le présage de bien des maux.
— Lucifer ! craqua Yéléna. Que fait-on ?
Elle était entrée en trombe dans mon salon, m'empêchant de la repousser à la porte d'entrée, et sa voix stridente me sortit de ma torpeur contre mon gré. Le contenu de mon gobelet tangua dangereusement mais parvint à se maintenir dans son enveloppe de verre. J'intimai au démon qui était en train de faire l'ourlet de mon pantalon de partir. Il s'exécuta immédiatement tandis que je descendais tranquillement de la petite estrade qu'il avait installée, remettant au passage les manches de ma veste en place.
— De quoi tu parles ? lui répondis-je, exaspéré.
Je ne lui fis pas le plaisir de la regarder et lui montrai explicitement que son interruption m'ennuyait au plus haut point. Voir mon pantalon qui tombait mal sur mes chevilles et attendre mes boutons de manchettes étaient des sujets bien plus préoccupants que le pseudo empressement de la démone.
Elle s'accouda au piano sans vérifier que sa veste en cuir ne raye pas le magnifique instrument et je lui décrochai un regard noir auquel elle répondit par une horrible grimace. Elle ne se décala pas et, dans mon esprit, passa en boucle l'image de son sourire quand je lui montrerai la manière dont je lui ferai regretter son orgueil.
— De Gabrielle.
Je balayai d'un geste de la main sa remarque et repris entre mes doigts mon précieux verre que j'avais rempli d'un whisky hors de prix, mis en fût à l'époque de la reine Victoria.
— Laisse-moi carte blanche Lucifer ! Une heure suffira à tout empêcher, se précipita-t-elle vers moi en implorant ma bénédiction.
Je lui jetai un coup d'œil par-dessus le rebord de ma boisson et ce que je lis sur son visage m'irrita bien plus que je n'aurais préféré l'admettre. Je croyais avoir déjà dit que Gabrielle était à moi mais Yéléna la voulait pour elle toute seule et se moquait des règles tant qu'elle arrivait à ses fins.
Sauf que j'étais prêt à tout pour garder la belle ange pour moi.
— C'est trop tard, Yéléna. Nous avons tenté de la faire fuir et nous n'avons pas réussi. Ça s'arrête là.
— Bien sûr que non !
Elle me regarda comme si j'étais devenu fou avant d'attraper mon verre et de l'éclater sur le sol, si soudainement que je n'eus pas le temps de l'arrêter.
— Arrête de boire et réagis, bordel !
Ma main attrapa son cou avant la fin de sa phrase, la soulevant du sol de quelques centimètres. Je sentis mes yeux s'enflammer et mon geste eut le mérite de faire taire sa bouche méprisable. Je commençais haïr cette femme qui m'avait servi si loyalement des siècles durant, parce qu'elle n'avait rien vu et que je comprenais à présent que tout était pourtant visible.
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LE PÉCHÉ INFERNAL | Romance
Roman d'amourIls étaient anges de lumière avant de devenir réceptacles de l'abysse. Pourtant, quand deux âmes sont déjà trop brisées pour vivre, il est impossible de réparer toutes les blessures, d'éclipser les ténèbres et de faire taire le chaos du cœur. Gabrie...