— Maître ?
Je faisais semblant de ne pas entendre sa voix horripilante mais il s'efforçait de pousser ma patience à bout. Dans mon esprit, il n'y avait plus que l'attente impatiente d'avoir son nom. Je fixai le vide, confortablement assis dans un des canapés en cuir, savourant le calme avant la tempête.
Je me sentais prêt et j'avais terriblement envie de jouer avec elle. C'était un prétexte parfait pour défier mon père sans m'attirer les foudres de l'Univers tout entier. En arrière-plan de ces pensées pour le moins appréciables, jouait l'un de mes morceaux préférés de Mahler. Les rideaux plissaient sous la brise légère qui traversait les larges portes fenêtres entrouvertes.
Tout était absolument parfait.
— Maître ?
— Quoi ? aboyai-je, exaspéré par ses appels incessants.
Habadon se tassa sur lui-même et resta prostré devant la porte d'entrée qui donnait sur les escaliers sans fin permettant de rejoindre la rue. Il se balança d'un pied sur l'autre comme s'il hésitait à reprendre la parole face à mes yeux qui, je n'en doutais pas un seul instant, venaient de luire.
— C'est que..., tenta-t-il malgré mon regard qui brûlait toujours.
Je reposai mon verre dans un geste assez sec pour le faire sursauter. En me levant, je pris soin de ne jamais le lâcher des yeux. Le spectacle de ces démons censés incarnés la cruauté mais qui se ridiculisaient au premier regard courroucé m'amusait toujours.
— Habadon, clamai-je. N'y passons pas toute l'heure.
Il pâlit mais hocha néanmoins la tête. Je m'approchai de lui, jusqu'à que je puisse saisir son menton de mes ongles. Il n'osa pas prononcer le moindre mot et je pris un plaisir fou à me venger de l'ennui qu'il me donnait toujours. Sa tête de démon terrifié était tout simplement exquise. C'était un vrai régal de le voir si apeuré.
— Le tirage est fini, Lucifer.
Concentré sur la panique qui saisissait Habadon, je n'avais pas entendu Yéléna entrer par la fenêtre. Je lâchai son frère sans cérémonie et, las de tous ces visiteurs, me dirigeai vers le bar pour me servir quelque chose de plus fort qu'un simple whisky.
Yéléna et Hasmodée qui l'accompagnait également, firent comme chez eux et s'installèrent dans les fauteuils de mon salon sans prendre la peine d'attendre que je les rejoigne. Arrivé à leur hauteur, je leur lançai un regard ennuyé auquel ils ne semblèrent pas prêter attention. Dans leur posture, il y avait quelque chose qui traduisait le mécontentement.
Je restai debout le temps que l'un se décide à reprendre la parole. Hasmodée fut le premier à rompre son mutisme pour tourner son horrible visage vers moi.
— Elle est différente de ce que nous imaginions.
Je penchai la tête sur le côté et tordis mes lèvres en un petit sourire amusé. C'était moi qui était censé partagé ma vie avec la nouvelle venue mais c'étaient eux qui semblaient les plus contrariés.
— Pas de petites robes blanches ? ironisai-je.
Je finis par m'asseoir, sentant bien que la conversation risquait d'être longue, et croisai mes jambes sans quitter du regard les deux démons bien trop silencieux. Je n'entendais plus Habadon qui avait dû fuir à la première occasion.
— Tu ne risques plus de rire longtemps, me mit en garde Yéléna qui semblait sincèrement en colère.
Comme à son habitude, elle portait ses dagues favorites aux jambes et ses pantalons de cuir ne laissaient planer aucun mystère quand à ce qu'il y avait en-dessous. La vue était intéressante mais je n'avais pas la tête à ça.
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LE PÉCHÉ INFERNAL | Romance
RomanceIls étaient anges de lumière avant de devenir réceptacles de l'abysse. Pourtant, quand deux âmes sont déjà trop brisées pour vivre, il est impossible de réparer toutes les blessures, d'éclipser les ténèbres et de faire taire le chaos du cœur. Gabrie...