LE PÉCHÉ INFERNAL | Romance

15 | GABRIELLE

Les jours défilaient et la colère ne faisait qu'enfler encore et encore. Nos combats avec Lucifer étaient devenus des combats silencieux où nous nous jaugions tous deux avant de porter le premier coup. C'était une trêve sans merci. Il partait toujours tôt et je savais qu'il préparait ma fin dans le secret de son bureau, entouré de ses fidèles démons. De mon côté, je passais mes heures de solitude à apprendre comment rendre mes armes de fortune mortelles.

Je m'entraînais pour une guerre que je ne connaissais pas encore. L'entraînement que je m'infligeais portait ses fruits et j'étais maintenant capable de viser les parties les plus fragiles du corps sans avoir une lame de couteau vacillante.

J'avais cassé un beau vase en verre qui ne servait à rien sur l'une des étagères et avais caché les éclats tranchants un peu partout dans la maison. Ils étaient ma solution de secours, une dernière sécurité si tout le reste se révélait inutile. Savoir que je pouvais blesser me donnait l'illusion d'une agréable sécurité que je m'efforçais de repousser. Il n'y avait de plus dangereux que de se croire à l'abri et de baisser la garde. Ça, je l'avais appris à mes dépens.

C'était parce que je m'y attendais que je ne fus pas vraiment surprise d'entendre des pas différents de ceux de Lucifer se promener dans le salon. Je me doutais bien qu'il enverrait quelqu'un avant que la paix tacite ne me laisse le temps de voir venir son petit plan sournois.

— Je suis venue pour toi, Gabrielle, alors ne te cache pas, m'appela la voix de l'intruse.

Je ne répondis pas immédiatement, profitant d'être invisible depuis le salon pour analyser la situation avant de descendre. La voix féminine qui avait brisé le silence me disait vaguement quelque chose mais je n'aurais su mettre un nom sur l'émissaire de Lucifer.

Je vérifiai que ma lame était à sa place, sur ma cuisse, et respirai un bon coup pour me donner la force de me jeter dans la gueule du lion en pleine connaissance de cause. Charon m'avait volé la possibilité de me cacher sous le masque de l'ange gentillette mais j'avais encore en réserve le visage de celle qui n'avait peur de rien, qui ne craignait pas et ne craindra jamais les menaces d'un diable trop puéril pour venir lui-même prononcer ses sentences.

La première chose que j'aperçus furent ses longues jambes moulées dans un pantalon de cuir, auxquelles deux poignards luisants étaient accrochés. Avant même de relever les yeux sur son visage, je savais désormais que c'était Yéléna qui se tenait face à moi, le bras droit de mon bourreau et la plus cruelle de tous les démons. Sa réputation la précédait et il était évident qu'elle en avait parfaitement conscience.

Sa dévouée et parfaite servante.

Je restai sur la dernière marche du petit escalier et laissai mon regard glisser sur elle. Elle m'observa de la même manière mais dans ses yeux à elle, il n'y avait rien d'autre que la promesse muette de la violence à venir, du sang qui allait couler. Je ne voulais pas trembler devant elle mais il était difficile de soutenir son inspection sans vaciller. Elle était terrifiante et l'éclat pourpre qui se reflétait dans ses dagues n'arrangeait rien. Pourtant, le Créateur avait été très clair : c'était être dominée ou dominer. Et je refusais de me laisser marcher dessus sans m'être battu jusqu'à mon dernier souffle.

Je descendis l'ultime marche et avançai dans la vaste pièce, d'une démarche ennuyée et d'un regard blasé. Je m'accoudai au piano avec nonchalance et entrepris de prendre la parole en première pour imposer mes questions et percer à jour ses intentions au plus vite.

— À qui ai-je l'honneur ?

Elle devina sans peine que je connaissais déjà la réponse. Elle ne répondit d'abord rien, laissant un léger blanc s'installer entre nous. Elle cherchait à me déstabiliser et je ne voulais pas lui faire le plaisir de céder. Avec Lucifer, ce genre de moment se finissait toujours en sous-entendus lubriques mais je sentais bien qu'avec Yéléna, la partie ne serait pas aussi facile.