09 | GABRIELLE

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— Qu'as-tu offert à Charon ? Je suis curieux.

Je fis semblant de ne pas avoir entendu la question de Lucifer, espérant naïvement que mon silence me laisserait un sursis nécessaire pour appréhender ce lieu de ténèbres.

C'était d'abord le manque de lumière qui m'avait dérangé. À Eden, tout n'était que soleil et journée sans fin alors qu'ici la nuit était souveraine et les abysses restaient rivés à son trône. La ville aux buildings immenses était plongée dans une nuit perpétuelle et il avait été complexe de cacher que je ne voyais rien en passant les portes de cette chapelle aux allures de purgatoire.

Puis, il y avait eu ce club à l'ambiance sensuelle qui m'avait plongé dans une confusion totale. Je n'aurais jamais cru qu'une telle liberté des désirs était possible. J'avais appris à cacher ce que je ressentais, à ne jamais approcher et quiconque et on me montrait finalement que la luxure ne ressemblait pas à un péché. Il y avait une certaine poésie dans les corps qui se découvraient sans interdit aucun.

Néanmoins, si je devais être honnête, j'étais forcée de reconnaître que rien de tout ça n'égalait la stupeur ressentie à ma rencontre avec le diable en personne. Le plus difficile à accepter, c'était qu'il ressemblait à un homme et non à un monstre.

Je passai une main désinvolte sur le dossier du canapé au centre de la pièce. Sa maison ressemblait à son club, les démons alanguis en moins. Tout n'était que meuble luxueux et beauté épurée. J'essayais de mettre le plus de distance possible entre Lucifer et moi mais je n'arrivais pas à semer la sensation de ses prunelles sur moi.

— Je n'aime pas me répéter, siffla-t-il comme une mise en garde face à mon mutisme prolongé.

Je n'avais pas envie de répondre à sa question que j'avais parfaitement entendue. Je dégageai un rideau sombre d'une baie vitrée pour tenter d'apercevoir l'horizon. Mais à perte de vue, ce n'était que la désolation de tours toujours plus hautes, toujours plus sombres.

Je ne voulais pas révéler ce que Charon m'avait demandé en échange de ma traversée. Il avait voulu mon collier pour me faire traverser les eaux du Styx mais je n'avais pu m'y résoudre. J'avais dû lui offrir le masque de bonté que je m'étais confectionné à Eden pour qu'il continue de naviguer sur les marais de l'Achéron. Je ne regrettais pas mon choix mais ce masque était comme une armure pour laquelle j'avais tout sacrifié.

Maintenant, je me retrouvais dépouillée de tout, vulnérable à toute tentative de décryptage et mes secrets semblaient mis à nu depuis que je n'avais plus de cuirasse sous laquelle les dissimuler.

Lucifer s'approcha de moi et il fut soudain si près que je parvins à distinguer son parfum qui flottait dans l'air. Je ne pouvais plus reculer, piégée entre la fenêtre fermée et le coin du grand salon aux airs de manoir. Même sans le voir, je sentis le moment précis où il franchit le dernier mètre qui nous séparait et soudain il leva une main pour l'approcher de mes cheveux.

— Ne me touche pas, crachai-je en le bousculant pour m'enfuir.

Je fis volte-face et plantai mes yeux assombris par la colère dans les siens qui ne faisaient que traduire un amusement réel. Je détestais ces airs de gentleman qui ne servait qu'à camoufler son horrible arrogance.

Il ne releva pas ma colère et fit mine de ne rien ressentir de la haine que j'insufflai à mon regard. Il s'écarta de moi et retourna en direction de ce bar qui prenait un pan entier de mur, avant d'embraser la pièce d'un geste du bras ;

— Bienvenue chez toi, clama-t-il. Ta maison est ma maison comme disent ces stupides humains.

Il était d'un orgueil démesuré qui ne seyait pas à son allure élégante. De loin, on s'attendait à rencontrer un homme charmant au charisme envoûtant. De près, on se rendait compte que l'illusion ne pouvait pas tenir. Certes il était beau mais cela ne faisait que rendre sa vanité plus détestable encore. Cette maison n'était pas ma maison et ne la serait jamais.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant