14 | LUCIFER

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Elle était complètement folle.

Je savais qu'elle n'avait pas froid aux yeux mais je ne la pensais pas imprudente au point de sortir de la maison sans tenir compte du danger qui l'entourait.

Elle n'était là que depuis un jour et pensait déjà qu'elle était hors de danger puisque j'avais accepté son pacte stupide. Si elle avait su que les démons pariaient en secret sur celui qui arriverait à se débarrasser d'elle le premier, elle n'aurait même pas osé poser un orteil en dehors du loft.

Elle se pensait peut-être invincible, intouchable avec son statut de futur reine mais c'était justement ce statut qui faisait d'elle la cible de la colère des démons. Ils n'aimaient pas être gouvernés et je pouvais en témoigner : la route pour asseoir sa domination ici était longue et semée d'embûches.

Habadon m'avait vu arriver avant Gabrielle et avait fait le choix judicieux d'arrêter de parler. Je traversai la salle avec une hâte non dissimulée parce qu'il était hors de question que je laisse quelqu'un s'approcher de mon ange préférée.

Dos à moi, elle ne se leva pas à mon arrivée et se contenta de fixer le mur du fond, témoignant ainsi son animosité à mon égard. Habadon, au contraire, sauta sur ses deux jambes d'une longueur irréelle et s'inclina profondément quand je m'approchai de lui avec ce regard rouge qu'il ne connaissait que trop bien.

— Sors d'ici, ordonnai-je d'un ton froid.

— Oui, maître.

Il resta incliné encore une seconde ou deux et finit par relever son buste, sans pour autant avoir la bêtise de me regarder. Il passa à ma hauteur avec servilité, la tête rentrée dans ses épaules, et je le retins avant qu'il n'atteigne le bas des quelques marches qui séparaient le coin VIP du reste du club. Gabrielle n'avait pas entamé le moindre geste pour me regarder.

Je me penchai à l'oreille du démon qui, immobile comme un cadavre, savait déjà que mon ton serait sans appel :

— Si un de vous ose toucher à un seul de ses cheveux, je vous promets que je vous démembre bras et jambe et que j'offre vos corps remplis de merde à votre mère. Est-ce que c'est clair, Habadon ?

Je ne l'entendais même plus respirer. Une veine noire pulsait sous la peau blanchâtre de son cou et traduisait son malaise. C'était fascinant de voir la manière dont il perdait ses moyens devant moi.

— Oui, mon roi, chuchota-t-il d'une voix éteinte. Pardon, mon roi.

— Je serais celui qui la détruira alors que personne n'essaye de me voler ma victoire. Fais passer le message.

Je relâchai son bras d'un geste brusque et il ne se fit pas prier pour s'enfuir aussi vite que ses longues jambes le lui permettaient. Il avait intérêt à rapidement faire circuler la nouvelle : Gabrielle était à moi et à personne d'autre.

Je contournai son fauteuil pour me diriger vers celui qu'Habadon venait de quitter. Elle fit semblant de ne pas me voir et garda le silence, imaginant sûrement que son indifférence allait me déplaire.

Je m'assis en déboutonnant ma veste noire qui avait remplacée celle froissée que j'avais plus tôt et je dévisageai son profil sans gêne parce que j'étais persuadé qu'elle sentait mon regard sur elle. Ses yeux étaient emplis d'une détermination sans faille que je m'attendais pas à trouver si tôt en elle. Elle était décidément pleine de surprises pour être capable de se construire un sang-froid pareil en si peu de temps.

— Un verre ?

C'était ma mission de la pousser à bout, de l'obliger à se confronter à la seule vérité qui existait. Eden n'était plus chez elle et l'Enfer ne le serait jamais non plus. Au fond, je n'étais qu'un bon samaritain qui pensait à son bonheur en priorité parce qu'on vivait mal dans les rêves illusoires de l'espérance.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant