— Pas assez longtemps à mon goût.
J'attrapai ma boisson des mains du serveur et l'avalai cul sec, espérant peut-être que cela rendrait le moment qui allait suivre moins pénible. Je n'avais même pas besoin de me retourner pour deviner qui était l'intrus. J'aurais reconnu sa voix entre mille.
Je reposai d'un geste brusque mon verre sur la table du bar et sortis une cigarette de ma poche avant. La nicotine me libéra de la première épine de colère qui m'avait poignardé le cœur à l'entente de sa voix. J'avais attendu si longtemps qu'il revienne et voilà qu'il osait se montrer confiant et sérieux. Quelle putain de connerie.
— Tu ne me demandes même pas comment je suis arrivé là ?
Et toi petit frère, tu ne me demandes pas pardon ?
Je tirai une nouvelle taffe, passai ma main dans mes cheveux pour me donner l'air plus calme que je ne l'étais puis me retournai pour lui faire face. Mes yeux se fixèrent immédiatement aux siens et je sus alors, qu'au fond, il comprenait parfaitement la rage qu'il faisait brûler dans mes iris.
Je le haïssais et il me haïssait en retour. C'en était presque amusant tant nous nous étions aimés un jour. Deux frères que l'ambition avait séparé, deux frères qui s'étaient trahis pour quelque chose qui n'avait jamais comblé la déception ressentie à la séparation. Deux frères qui s'étaient battus pour l'amour d'un père qui s'en moquait.
Finalement, je rompis le contact parce que je ne supportai plus de revoir Samaël dans la façon dont son regard me scrutait. Peut-être qu'il ne se souvenait pas de la force de son sourire le jour où Père m'avait banni. Sans doute qu'il ne se rappelait pas qu'il aurait plutôt dû ramper à mes pieds et implorer ma clémence pour la douleur qu'il m'avait fait ressentir.
Sa silhouette était plus imposante que dans mon souvenir. Je me remémorai un petit garçon frêle qui rechignait à s'imposer, préférant se cacher derrière moi à chaque problème. Ce n'était plus le même homme aujourd'hui. Il portait une espèce de toge blanche qui était loin de passer inaperçue dans ce club branché de la côte californienne. Les hommes en costumes trois pièces le regardaient étrangement et les femmes en robe de cocktail colorées se moquaient discrètement de lui. Je finis mon inspection avec un petit sourire moqueur aux lèvres. Même s'il était plus fort, il était toujours aussi stupide.
— Arrête de sourire comme un con, Lucifer.
— Arrête de t'habiller comme un con, Aménadiel.
J'eus le temps d'apercevoir la réaction fugace qu'il eut quand son nom sortit de ma bouche. Bien sûr qu'il se rappelait de tout et qu'il comprenait à quel point ma colère était proche d'imploser. Accoudé au bar, j'amenai une nouvelle fois ma clope à mes lèvres et laissai la fumée recouvrir son visage de traître d'un voile qui le dérobait à mes yeux rougeoyants.
Il serra les poings devant ma provocation et entrechoqua si fort ses dents que j'étais prêt à parier que ses molaires s'étaient décrochées. Il était si facile à exaspérer que je ne m'amusais pas assez.
— Qu'est-ce que tu me veux, petit frère ? Me parler de ton papa chéri ?
Il arrêta net son petit manège et me dévisagea comme si j'étais devenu fou. Je dégageai la mèche noire qui me tombait sur le front et finis mon verre d'une traite, profitant du fait que j'étais en position évidente de supériorité. Je n'étais pas devenu fou, non. J'avais seulement appris à devenir un démon au regard trop calme pour être rassurant. Pour survivre, il avait fallu devenir quelque chose d'autre que le garçon simple qui s'était fait voler sa vie par son putain de frère plein de convoitise.
— Loin de là. Il ne sait pas que je suis ici, avoua-t-il
Je penchai la tête et éclatai d'un petit rire froid qui le fit hausser un sourcil. L'alcool n'était pas encore assez fort pour inhiber mes sens et m'empêcher de déclencher une nouvelle guerre avec Eden.
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LE PÉCHÉ INFERNAL | Romance
RomansaIls étaient anges de lumière avant de devenir réceptacles de l'abysse. Pourtant, quand deux âmes sont déjà trop brisées pour vivre, il est impossible de réparer toutes les blessures, d'éclipser les ténèbres et de faire taire le chaos du cœur. Gabrie...