42 | LUCIFER

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Parfois, être celui qui abandonnait faisait plus de mal qu'être celui qu'on avait abandonné. Parfois, être celui qui partait était plus courageux qu'être celui qui restait enfermé dans une illusion vouée à s'étioler.

Mon cerveau pouvait concevoir que c'était égoïste de la tenir comme seule responsable mais mon cœur se sentait trop trahi pour parvenir à pardonner. Dans quelques années, je serais peut-être capable de voir au-delà de ce voile rouge colérique qui avait recouvert mes yeux au moment où elle tentait de me retenir par ses beaux mensonges.

— Tu l'as toujours su, n'est-ce pas ?

Sur le balcon d'un hôtel dont j'ignorai le nom, une femme dans mon lit dont j'ignorais le nom, je ne faisais pourtant que penser à celle dont je n'arrivais irrémédiablement pas à oublier le nom.

— Tu n'es qu'un sale menteur.

Il m'entendait mais jamais il ne daignerait me répondre parce qu'il savait au fond de lui que j'avais raison. Il n'était pas du genre à reconnaître ses erreurs mais moi, je venais d'apprendre que les miennes n'étaient en fait pas de ma faute. C'était facile de les prendre pour des lâches maintenant que je n'avais plus ce poids dans ma poitrine.

C'était bien plus difficile d'oublier cette épine qui n'avait pas quitté mon cœur en la voyant s'effondrer à mes pieds. J'avais voulu la soumettre mais le prix à payer était trop douloureux. Ça aurait été plus simple de ne jamais tomber amoureux d'elle.

Je n'attendis pas de ressentir encore ce manque dans le creux de mes entrailles pour finir ma troisième bouteille de la soirée en espérant naïvement que l'alcool me ferait oublier que j'étais lié à elle pour l'éternité. Ce vide en moi était condamné à persister parce que je ne m'imaginais pas capable de la regarder à nouveau comme je l'avais fait.

J'avais confondu le désespoir avec le désir et j'en payais désormais les conséquences. Il savait tout, avait tout prévu dans les moindre détails parce qu'elle était là sa vengeance vis-à-vis de ce que nous étions.

Mais vous savez ce qu'on comprend avec le temps ? On se permet de regarder au-delà des apparences et l'évidence se présente à vous dans une simplicité déconcertante. Le monstre, le véritable monstre, ce n'est pas celui qui est monstrueux mais bien le créateur qui n'a pas eu le courage de détruire son abomination avant qu'il ne soit trop tard.

J'étais né de sa fureur mais c'était la mienne qui devenait monstrueuse. J'étais né de sa fureur mais c'était la mienne qui était une erreur. J'étais né de sa putain de fureur mais c'était moi qui étais incapable de contenir mes pulsions.

De nous tous, le plus égoïste était ce père absent qui se prétendait souverain mais qui, au final, n'était qu'un pauvre homme incapable de faire face à ses erreurs. Il nous jetait dans l'arène comme des bêtes en espérant que, dans notre colère, nous en oublierions que c'était lui qui avait toujours tiré les ficelles.

Si mon cœur l'avait depuis longtemps oublié, mon être, lui, s'en souviendrait toujours. Parce que mon être ne pouvait pas accepter de ne pas l'avoir, elle, à mes côtés : il me fallait un autre coupable à désigner.




— Debout, grognai-je en repoussant la couette du corps de l'inconnue qui avait partagé mon lit durant la nuit.

Je passai ma main dans mes cheveux, exaspéré. J'avais honte de mes agissements mais le temps de quelques secondes, j'avais cru pouvoir trouver le réconfort dans des bras étrangers. Il me fallait un antidote au souvenir suffocant de ses lèvres alors je m'étais perdu sur d'autres bouches pour tenter de l'effacer.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant