J'évitais soigneusement Lucifer si bien que dans la semaine qui suivit je n'eus pas à jouer l'amoureuse transie dans ses bras chaleureux. J'espérais en silence que la distance creusait chez lui le manque et renforçait le lien qui faisait semblant de nous unir.
Je me levais à l'aube, passais ma journée à voyager entre l'Antre et les Chambres que les démons essayaient tant bien que mal de me faire détester et ne rentrais que tard le soir, quand j'étais à peu près certaine que Lucifer n'était pas éveillé ou revenu. C'était le jeu du chat et de la souris mais j'étais la seule à participer, à me cacher du chasseur qui voulait ma peau.
L'appréhension quant au couronnement qui approchait occupait l'autre partie de mon esprit et arrivait à me maintenir alerte des nuits durant, persuadée de ne pas voir venir le piège qui m'attendrait le jour où mon règne serait consacré. Je m'attendais à tout mais je me connaissais assez pour savoir que ma résistance avait ses limites. Faires semblant que la torture ne m'atteignait pas était déjà assez dur alors je me voyais mal devoir affronter un défi plus terrible encore.
J'aurais dû me douter que le piège arriverait plus tôt que prévu.
Ma réussite face à Lucifer avait réussi à me faire oublier le sinistre plan mis en place pour m'obliger à fuir. J'étais devenue moins attentive, moins prudente et les mises en garde s'étaient estompées avec les jours écoulés. Je m'étais cru invincible parce que Lucifer allait tomber dans mes filets et que le titre de reine serait bientôt le mien alors le diable, en adversaire qui se respectait, avait parfaitement compris mon état de négligence était parfait pour attaquer avant que ma propre offensive ai porté ses fruits.
Ils avaient fait en sorte que rien ne puisse me mettre la puce à l'oreille. Hastaroth était venu me chercher comme quelque fois et m'avait accompagné dans les interminables escaliers, sans toutefois se risquer à me faire la conversation. Le démon, pour ne pas déroger à ses habitudes, s'était contenté de me suivre et de m'escorter vers ma destination du jour. Je ne me repérais pas encore assez bien dans le dédale des allées sombres pour comprendre que la direction que nous prenions ne ressemblait pas à celles habituelles. Hastaroth m'envoyait vers le Purgatoire et moi, telle l'imbécile que j'étais, je ne cessais de me répéter que ça ne serait qu'une énième journée comme les autres.
Habadon et Hastaroth étaient de ceux qui m'accompagnaient le plus dans ces journées d'initiation où, sous mon regard indéchiffrable, ils s'amusaient à torturer les âmes damnées. Je n'avais pas de peine pour les fantômes qui hurlaient sous mes yeux car je savais qu'ils méritaient leur châtiment mais observer leurs corps se tordre de douleur et leurs yeux pleurer des torrents de larmes avait quelque chose de morbide.
C'était une incartade dans les eaux du Mal, eaux desquelles j'apprenais silencieusement à me tenir loin. Je ne bougeais pas, ne commentais jamais le supplice qui se déroulait devant moi mais au fond de mon cœur, je me promettais de ne jamais devenir comme eux.
— Où allons-nous, Hastaroth ? essayai-je de demander au démon mutique qui guidait mes pas.
Il ne répondit pas et se contenta de me doubler pour mener la marche à un rythme plus soutenu. Le silence lui ressemblait trop pour que je soupçonne qu'il me conduisait dans un cauchemar qui me hanterait trop longtemps pour que j'en revienne indemne.
Le démon s'arrêta devant une porte qui ressemblait à toutes celles que j'avais déjà vues, à la différence près qu'ici, aucun hurlement ne perçait la barrière des murs. Le lieu était d'une tranquillité inopinée, dangereuse et dans l'air semblait planer le présage d'une douce sauvagerie. C'était le prestige des Enfers, l'élixir des Hommes les plus mauvais dont une simple goutte suffisait à vous faire perdre foi en l'humanité. C'était ce que la Création avait construit de pire, l'ombre incontrôlable derrière la lumière étincelante.
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LE PÉCHÉ INFERNAL | Romance
RomanceIls étaient anges de lumière avant de devenir réceptacles de l'abysse. Pourtant, quand deux âmes sont déjà trop brisées pour vivre, il est impossible de réparer toutes les blessures, d'éclipser les ténèbres et de faire taire le chaos du cœur. Gabrie...