12 | LUCIFER

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L'erreur de tous les humains était de ne jamais accorder l'importance nécessaire à leurs mots lorsqu'ils concluaient un pacte avec le diable en personne ou comme mon bel ange aimait à le dire, avec Samaël, le seul déchu plus généreux encore que son père.

Je ne me maîtrisais pas quand la belle ange était dans les parages mais j'aimais celui que j'étais à ses côtés. La rage dans ses yeux me donnait de l'importance et ses lèvres sensuelles qui se tordaient pour m'insulter avaient réussi à se frayer un chemin jusque dans mes rêves.

C'était comme si elle faisait tout pour que je cède à mes désirs. Gabrielle me poussait à bout et j'adorais ça. Si elle avait pu lire mes pensées lors de notre joute verbale, elle se serait enfuie en courant sans que je puisse la rattraper.

Pour autant, je n'étais pas naïf et je savais bien que tout ceci n'était que sa manière à elle de remplir la mission confiée à coup sûr par mon père. Elle voulait me séduire et j'étais prêt à me laisser faire car j'attendais impatiemment de voir le moment précis où elle révèlerait enfin son jeu.

Mon père était indéniablement doué pour choisir ses espionnes.

Je m'étais enfermé dans mon bureau, dans l'un des étages inférieurs de ma tour personnelle et m'obligeais à mettre bout à bout les pièces du puzzle. Je voulais comprendre ce qu'elle manigançait avant d'être pris au dépourvu. Il n'aurait pas été judicieux de lui demander directement la signification de sa requête car elle aurait tout de suite su que je cherchais à deviner ses intentions.

J'étais un joueur de l'ombre et je comptais bien lui faire payer le prix de ses secrets.

Ce que je ne saisissais toujours pas, c'était son étonnante résistance à mon pouvoir. J'aimais faire plier les volontés, pénétrer les vils souvenirs des hommes les plus purs et voilà qu'elle me refusait l'accès à son esprit par je ne savais quel stratagème divin.

Je sortis quelques dossiers d'une armoire en acajou et les jetai sur ma table de travail, au-dessus de la pile de rapports que m'avaient transmis les démons affectés sur Terre. Je desserrai le nœud de ma cravate froissée et repoussai mes cheveux en arrière de mon front. Il me manquait un bon verre de whisky pour être au meilleur de mes capacités mais j'étais capable de faire sans quand la situation l'exigeait.

J'entrepris de feuilleter les dossiers marqués d'une croix renversés, sans accorder la moindre attention à ceux qui en étaient dépourvus. Le problème avec les mots de la langue humaine, c'était qu'ils étaient très généraux et ne pouvait retranscrire les pensées profondes que de façon simple et banale.

Le mot « humain » ne faisait pas exception à la règle. En Enfer, les torturés n'étaient plus vraiment ce que nous pouvions appeler des Hommes mais plutôt des âmes perdues qui n'avaient pas su se protéger des flammes ardentes du Mal. Il n'y avait pas d'humains ici, rien que des corps illusoires qui avaient tout perdus de leur humanité.

Toutefois, je voulais le meilleur pour mon ange.

J'avais besoin du plus horrible des détenus ou tout du moins, de celui dont la torture était la plus atroce possible. J'avais été gentil et aimable en lui faisant la conversation, en lui laissant une nuit pour se remettre des changements mais il était grand temps de passer à la vitesse supérieure.

Il fallait qu'elle parte avant que je ne me décide à la tuer dans son sommeil et à pendre son cadavre devant la porte du Paradis. Il était nécessaire qu'elle s'enfuie avant que je n'attrape sa gorge si fine et n'écrase mes lèvres affamées sur les siennes.

J'avais beau avoir sous les yeux l'élixir le plus corrompu des damnés, les tortures qui promettaient d'être les plus sanglantes mais rien ne parvenait à me décider. Je sentais déjà que Gabrielle n'était pas du genre à s'émouvoir pour de simples histoires de meurtres ou de tueries. Il me fallait quelque chose de plus authentique, de plus fort, qui la perdrait à tous les coups. Je voulais qu'elle crie de terreur jusqu'à ce que je sois repu de sa souffrance.

Rageusement, j'envoyai valser mes dossiers infructueux à l'autre extrémité de mon bureau et basculai en arrière dans mon fauteuil en cuir italien. J'avais besoin de temps pour réfléchir, pour élaborer un plan infaillible mais je manquais cruellement de ressources.

C'était une course contre la montre car Gabrielle semblait redoutable. Si je lui laissais trop de temps pour évaluer le danger, elle flairerait le piège et alors je finirais par perdre à mon propre jeu. Ça, je ne pouvais pas l'accepter.

— Appelle Yéléna, ordonnai-je au démon qui gardait ma porte.

Je n'avais pas besoin de vérifier pour savoir que le démon était parti dès l'instant où j'avais formulé ma requête. J'avais besoin du point de vue de mon bras droit afin de savoir si l'idée qui venait de germer dans mon esprit était réalisable.

Il y avait plusieurs choses qui m'interpellaient chez l'intruse qui habitait désormais chez moi. Certes, elle n'avait rien du physique ou de la personnalité des anges que j'avais connu dans ma jeunesse mais il y avait des informations plus étranges encore. D'abord ses ailes blanches ou ses yeux noirs comme la nuit, mais surtout ce pendentif autour de son cou qu'elle agrippait comme un talisman. Ce pendentif qu'elle pensait que personne ne remarquait.

Je comptais tout découvrir d'elle parce que c'était presque vital de savoir qui elle était, de comprendre son personnage pour réussir à fissurer son masque fait d'assurance et de défi.

Elle m'avait contraint à conclure un pacte pour protéger ses arrières mais à l'égard de la guerre qui allait commencer, nous savions aussi bien l'un que l'autre qu'aucun de nous deux ne pourrait tenir sa promesse. 

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant