27 | GABRIELLE

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Je pouvais supporter la peur mais la colère, elle, était trop agressive pour que je puisse passer outre. J'avais passé trois jours à ressasser les événements de ce fameux jour qui marquait un point de non-retour dans la relation que j'entretenais avec Lucifer.

J'étais capable de pardonner l'arrogance et d'excuser la méchanceté mais il m'était impossible d'accepter la manière dont il me traitait. Alors, j'avais explosé de colère dans ma chambre, maudissant chaque putain de meuble qui lui appartenait, crachant sur tous les putains de mots qu'il avait osé prononcer depuis mon arrivée.

J'étais devenue brûlante de colère, comme une bête enragée qui ne faisait que se languir du moment où le glas de la vengeance finirait par sonner. Chaque nuit, mes cauchemars se peuplaient de membres arrachés et chaque matin, à mon réveil, ma fureur en était renforcée. C'était un cercle vicieux, celui d'Ouroboros se mordant la queue, et je ne faisais rien d'autre que penser à cet instant précis où Lucifer comprendrait que la bataille ne pouvait pas se gagner sans perte de chaque côté.

La peur était le fléau des Hommes bons mais moi, j'étais une de ses trop anciennes connaissances pour qu'elle arrive à me maintenir dans ses griffes bien longtemps. J'aurais aimé dire que je n'avais sans doute jamais rien vu d'aussi terrifiant que cet homme poursuivi par des cadavres, qui s'était arraché la tête devant moi mais au fond, je savais que j'avais déjà connu un Enfer plus sombre encore.

Lucifer avait perdu sans le savoir. Je n'avais pas besoin de le voir pour imaginer son sourire victorieux face à mon isolement mais plus encore, je ne faisais que rêver de la mine qu'il finirait par arborer le jour où il comprendrait que c'était la colère et non la terreur qui avait retenu mes mots trois jours durant.

Je n'avais pas abandonné le projet de faire tomber Lucifer amoureux de moi mais je gardais en tête que c'était une mission ambitieuse car le regard du diable était comme un poison capable de retourner mon objectif contre moi-même. C'était à double tranchant et j'étais forcée de reconnaître que la lame orientée vers mon propre cœur était peut-être plus tranchante que celle que j'osais tourner vers lui.

J'étais en colère contre lui mais plus encore contre moi-même car je n'arrivais pas à renier le désir que j'éprouvais toujours pour lui. J'étais brûlante de colère mais je me consumais d'envie en me souvenant de chacun de ses gestes, de chacun de ses mots et de toutes ces fois où nous nous étions trouvés si proches l'un de l'autre.

Dans un sens, sa cruauté me plaisait

— Rien n'a changé, Gabrielle. Tout va bien.

Je me parlais à moi-même, face à cette glace que je n'arrivais pas à regarder. Durant ces trois jours, j'avais refusé de me reconnaître dans le moindre miroir parce que je craignais que le pire ne soit advenu. Mais voilà que ma colère avait fini par se calmer, à me laisser un répit dans la traque fiévreuse de la victoire et je m'étais retrouvée dans cette salle de bain, tête baissée face au grand miroir au-dessus du lavabo.

La peur était le fléau des hommes bons et l'entrave des monstres. Et moi, j'avais toujours su être de ceux attachés au mur par les chaînes de la terreur. J'avais tout fait pour ne pas sombrer de nouveau, tout donner et tout abandonner mais la vérité était là. Je devais relever le menton et l'affronter sans broncher car de toute façon, il était trop tard pour changer. La colère était déjà en moi, s'insinuant dans mes veines, noyant mon cœur de son doux poison.

Je fis face à mon reflet. Puis, j'éclatai en sanglots.

Le noir profond avait perdu de sa noirceur, remplacé par un vert sombre au creux de l'iris. Le noir n'était plus noir et la passé devenait présent. Je m'écoulai contre le lavabo, incapable de maîtriser les tremblements de mon corps. Mes bras ne soutenèrent plus mon poids et mon collier devint si lourd qu'il m'asphyxia presque. Je tirai sur le médaillon de toutes mes forces mais la sensation ne passa pas. Je m'étais promis de ne jamais revoir mes yeux verts et je faiblissais déjà parce que je n'étais pas foutue de contrôler ma haine quand il s'agissait de lui.

La colère était un lac sans fond et si je sombrais, c'était la Mort qui m'attendait au bout du chemin.

Quand Hasmodée entra dans le salon, j'avais depuis longtemps maîtrisé ma panique et camouflé ma réalité derrière un sourire froid mais trop fragile pour durer bien longtemps. J'étais prête à revenir dans le monde des vivants, à mentir à quiconque me demanderait si les trois derniers jours avaient été source de repos.

J'étais prête à être la Gabrielle que j'avais toujours été : une menteuse hors pair et une traîtresse sans vergogne.

Le démon ne m'aperçut pas tout de suite et j'eus tout le loisir de détailler son visage avant qu'il ne me trouve. Je décelai dans la manière désagréable qu'il avait de plisser les lèvres qu'il ne me portait pas dans son cœur et qu'il aurait données beaucoup pour ne pas être là aujourd'hui. On se ressemblait beaucoup.

— Besoin d'aide ?

Il sursauta au son de ma voix et fit volte-face vers le fauteuil dans lequel j'étais allongé. J'avais relevé la tête au-dessus de l'accoudoir pour qu'il puisse me voir et ses yeux vides se plongèrent dans les miens, sans rien remarquer du changement chez moi et mes promesses sanglantes.

— Mon maître m'envoie.

J'avais hâte moi aussi de porter un tel titre et de contraindre les autres à ma traiter avec respect. Je savais que le couronnement approchait même si la date exacte ne m'avait jamais été communiquée. J'allais devenir reine et plus rien ne m'empêcherait alors de rendre coup pour coup.

— Il est trop fainéant pour venir lui-même ?

Il cilla mais ne s'autorisa pas à me reprendre. Lui aussi savait bien que, dans quelques jours, j'aurais le pouvoir de le réduire en miettes si l'envie me prenait. Ils auraient aimé que la Chambre du Purgatoire ait raison de mon courage mais manque de chance, j'étais plus forte que je ne le montrais.

Et j'avais soif de pouvoir pour étancher ma colère.

— Il faudrait que vous choisissiez une robe et que je vous explique tout le protocole, reprit-il en décidant de ne pas tenir compte de mon intervention.

J'allais être une reine terrifiante que personne ne pourrait jamais oublier. J'allais leur faire regretter à tous de s'être montré si avide de mes faiblesses. J'allais faire de Lucifer un pantin que le désir rendrait manipulable. J'allais devenir le monstre que je m'étais toujours efforcée de cacher dans les tréfonds de mon âme.

— Si vous vous trompez dans la procédure lors du couronnement, vous pouvez mourir.

Je relevai les yeux vers lui et j'espérai sincèrement qu'il irait répéter à tous qu'au lieu de la terreur, c'était la lueur farouche du défi qui brûlait dans mes prunelles.

Mourir n'était pas aussi risqué que céder aux charmes de Lucifer. Je me connaissais trop bien pour continuer à me mentir à moi-même. Je reniais mes promesses une à une, d'abord celle que je m'étais faite à Eden et maintenant celle qui m'interdisait de laisser Lucifer s'immiscer dans mon cœur.

Je le désirais presque autant que je le détestais.

— Je vois que j'ai toute votre attention, rajouta Hasmodée. Si vous voulez bien, nous allons commencer par l'organisation du pacte du sang.

Putain de tirage.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant