LE PÉCHÉ INFERNAL | Romance

16 | LUCIFER

Comme à son habitude, Hastaroth se tenait devant l'entrée du repaire des démons, au-delà du Devilish. Parfaitement immobile en attendant mon arrivée, il semblait déjà perdu dans les plans que nous allions devoir mener sur Terre, sans Yéléna qui avait d'autres obligations plus importantes encore.

Il me salua et nous entrâmes rapidement à l'intérieur de la vaste grotte, en quête de l'information qu'il nous manquait pour mener à bien notre mission du jour. Il faisait encore plus chaud ici que partout ailleurs en Enfer mais le temps annihilait les sens et nous avait tous rendu insensible à la chaleur étouffante.

Chaque démon était occupé à sa propre tâche, tantôt assis sur l'un des lits qui s'étendaient par centaines jusqu'au plafond, parfois préférant tourner en rond et montrer les dents à un frère trop envahissant. C'était une cohue sans nom de monstres tous plus cruels les uns que les autres. Hastaroth sur mes talons, je traversai la pièce sans avoir besoin de rappeler à chacun son rôle du jour : déjà, une file d'une bonne vingtaine de démons se formait pour se rendre au Lac ou dans l'une de ces tours de verre qui se perdaient entre les montagnes sans fin.

Je cherchai le visage d'Amaris parmi la foule de ses frères et sœurs mais la vieille démone se faisait discrète et refusait de se montrer. Pourtant, elle avait intérêt à se manifester rapidement si elle voulait conserver son privilège de se rendre sur Terre sans m'en informer au préalable. Le pire, c'est qu'elle m'avait forcément entendu arriver ; elle préférait tout simplement flairer le piège dans l'ombre et se révéler ensuite.

C'était une espionne hors pair mais elle était bien trop imprévisible pour ne pas être dangereuse. Je lui avais certes offert sa liberté mais en retour, elle me devait sa loyauté. Elle le savait mais se complaisait à jouer avec les règles.

— Où est ta sœur ? questionnai-je Hastaroth en me retournant pour le dévisager.

Il s'apprêta à répondre quand une voix émoussée par le temps lui coupa la parole.

— Je suis là, Lucifer. Ne t'impatiente pas.

Être la conseillère de Caligula sous l'empire romain n'avait pas épargné la démone. Défigurée, Amaris avait tout perdu de sa beauté sombre au profit d'une laideur terrifiante. Elle n'avait plus de bouche, rien qu'une mâchoire en os blanc qui saillait sous les restes de peau basanée de ses joues. Elle ressemblait trait pour trait à ce que les enfants aimaient appeler monstre.

Elle avança à grande peine vers nous qui l'attendions sans manifester notre empressement. Amaris semblait encore jeune mais elle était une des premières enfants de Lilith. Elle avait tout connu, du vide à la naissance des premiers humains, des fous qui se disaient apôtres aux cruels qui pensaient pouvoir détruire le monde. Les pires criminels que la Terre avait pu abriter s'étaient confrontés à Amaris qui les avaient traqués jusqu'au bout du monde.

Pourtant, c'était Yéléna, sa jeune sœur, qui avait récolté les lauriers en héritant de l'immeuble le plus sombre de tous les Enfers. On l'appelait le Purgatoire, un lieu où chaque marche, chaque porte, chaque mur ne faisait que charrier l'odeur de la mort. Yéléna les torturait mais c'était son aînée qui les avait emprisonnés entre ces murs sombres desquels on ne ressortait jamais.

On ne mourrait qu'une fois, mais ceux qui avaient connu Amaris ne pouvaient pourtant pas être d'accord.

— As-tu surveillé les allées et venues des anges ? la pressai-je tandis qu'elle s'asseyait sur le lit le plus proche d'Hastaroth et moi.

Elle soupira en s'installant, essoufflée par son effort et pris le temps d'arranger ses boucles crépues avant de lever la tête et de me répondre. Hastaroth ne salua pas sa sœur et je sentis à la manière dont il restait rigide qu'il n'avait pas encore digéré leur querelle durant le règne des Habsbourg et la prise de position qu'elle avait tenté de le forcer à prendre.