20 | LUCIFER

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Les cinq jours qui suivirent furent partagés entre les discussions secrètes avec Amaris et les instants de doute quant à ce que j'avais compris de Gabrielle.

Je l'avais vu dans ses yeux sombres le matin où elle avait récupéré son collier : elle était loin d'être insensible à mon charme. Alors, l'idée avait germé dans la foulée, une espèce de carte joker à sortir en cas de difficulté. Si la terrifier échouait, je savais que je pouvais la séduire puis la briser en mille morceaux. Le plan de mon père se retournerait contre lui parce que l'attirance entre nous était réciproque et que ça, il n'avait pas été foutu de le prévoir.

Pourtant, je n'avais pas la force d'abandonner totalement mes autres projets et de mettre celui-là à exécution. Je connaissais la souffrance d'un cœur brisé et je rechignais à l'imposer à Gabrielle qui, au fond, n'était rien d'autre qu'un pion qu'on baladait sur l'échiquier. Je voulais qu'elle souffre mais pas d'une manière aussi dramatique. La voir s'effondrer de frayeur était amplement suffisant pour satisfaire mon plaisir. De même - je le savais sans vouloir me l'avouer - c'était un jeu dans lequel je pouvais moi aussi finir par me brûler les ailes.

Pour oublier cette évidence que seul mon esprit refusait d'admettre, je m'étais perdu corps et âme dans la recherche du damné parfait pour effrayer ma belle Gabrielle. Je voulais y aller en douceur, lui présenter les plus cruels au fur et à mesure pour qu'à chaque fois elle pense que le supplice ne pouvait être pire. Le pacte n'était rien face à la perspective de la peur que j'allais distiller dans ses prunelles envoûtantes.

J'avais écumé les damnés du Purgatoire en vain car aucune torture ne me semblait assez violente pour mon ange. Je voulais qu'elle s'évanouisse de terreur et j'avais vu à la rage qui déchirait ses traits qu'elle était prête à en démordre bien plus que je n'avais pu l'escompter les premiers jours.

Elle refuserait d'abdiquer sans s'être battu et c'était pour ça que je ne pouvais me contenter de lui présenter le premier criminel venu. Il me fallait du grand spectacle, quelque chose capable de la faire perdre ses moyens et d'anéantir ce masque de courage qu'elle pensait invincible. J'allais lui montrer que l'Enfer n'était pas un lieu de mensonge et que chaque vérité finissait toujours par éclater.

Une vérité fourbe, torve, sinueuse qui se frayait un chemin dans votre sang pour faire imploser votre cœur de l'intérieur. On ne résiste pas à la vérité, on ploie sous son poids et on ne s'en relève qu'au prix de la vérité des autres. Un secret contre un autre, une peur en échange d'une autre. Ma vérité avait été effacée par celle de Gabrielle, celle de son désir à peine caché et de son sourire transpercé par la luxure. Elle était magnifique quand elle me regardait de ses yeux assombris et devenait sublime à chaque seconde où elle se laissait porter par ses sens chamboulés.

Pourtant, elle ne serait jamais aussi belle qu'implorante de pitié à mes pieds.

Amaris se doutait de la nature de mes motivations et avait donc tardé à me donner les informations que je cherchais. Elle aimait que la violence ne soit motivée par rien d'autre qu'une colère dépourvue d'artifice, que le mal soit une finalité et non un moyen. Avec un peu de persuasion, elle avait cependant consenti à me donner quelques informations pour servir la cause de mes fantasmes. Je voulais le plus monstrueux des hommes, pas le plus cruel ou le plus violent, mais celui dont la culpabilité était telle que la torture serait un aller sans retour dans les méandres de l'abomination.

Gabrielle méritait le meilleur.

Je m'étais habillé en conséquence de mon voyage. J'avais abandonné les costumes de tailleurs luxueux pour un col roulé noir surmonté d'un épais et long manteau gris qui fouettait le sol à chacun de mes pas. J'avais l'air d'un autre homme et, dans le reflet de la glace, j'aurais presque pu croire que j'étais humain.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant