— J'en reviens pas de l'apprendre comme ça ! râlai-je. Tu aurais dû me dire franchement que Nathaniel s'était transformé en dealer de seconde zone !
— Qu'est-ce que tu aurais fait ? répliqua Rosalya. Tu aurais fouiné, comme d'habitude !
Lundi matin, j'avais ouvert le Cosy Bear Café à sept heures et trois heures après, Rosalya était venue chercher un cappuccino et me faire un retour de la soirée. Elle s'excusa d'être partie de cette façon mais je la rassurai sur la présence de Chani. Par contre, toujours sur les nerfs d'avoir découvert le nouveau passe-temps de Nathaniel, je l'avais directement assiégée de remarques et de questions. Je ne pouvais pas concevoir que le sage lycéen qui m'avait accueillie avec bienveillance à Amoris, avait pu devenir un trafiquant. J'avais besoin de réponses à mes interrogations, comprendre pourquoi et comment cela avait été possible, quels avaient été les éléments déclencheurs de ce soudain revirement.
— Mais comment a-t-il pu devenir dealeur...
Mon amie n'avait toujours pas pu prendre une gorgée de sa boisson tellement je la harcelais. Heureusement pour nous, le café était vide et ni Hyun, ni Clémence était présent.
— Vous n'avez rien pu faire ? Je veux dire... le laisser seul ?
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise Milla ? Je pensais qu'il était notre ami, que c'était acquis. Mais on avait beau l'inviter, il ne venait pas. On lui envoyait des messages mais il ne répondait pas. Je n'allais pas le prendre par la main. Il est grand et il fait ses choix. J'espère juste que tu ne feras pas les mauvais choix en t'approchant de lui !
L'étudiante en psychologie fit une pause pour boire son cappuccino et calmer son mécontentement. De mon côté, sa mise au point calma le mien. Je pris un chiffon et nettoya machinalement le comptoir, toujours frustrée.
— Tu as pu voir Castiel d'ailleurs ? reprit-elle, curieuse.
— Oh, m'en parle pas. Il m'a accosté et il m'a incendié bien avant que je puisse dire quelque chose... Il était sacrément remonté.
Le visage de mon amie se teinta de tristesse. Elle savait que Castiel était un très bon ami au lycée et le voir agir comme ça... elle devait trouver ça injuste.
— Je pense qu'il est temps que tout le monde sache pourquoi tu es partie. Ils sont en colère et ils ne comprennent pas. Nous on sait avec Alex, mais Castiel, Priya, les autres...
— Je verrai, répondis-je d'un haussement d'épaule distrait. Je pense que j'ai besoin d'un coup de pied aux fesses pour me pousser à le faire.
— L'expression est bien choisie.
Le sourire amusé de Rosalya disparut derrière son gobelet qu'elle emporta pour se rendre en cours.
La matinée se poursuivit et approcha 14 heures et mon cours d'Histoire contemporain. Or, Clémence était restée dans son bureau, je ne voulais pas la déranger mais il y avait encore des clients au comptoir que je ne pouvais pas non plus abandonner.
Heureusement, Hyun mon sauveur, apparut dans mon dos. Il était passé par l'entrée de la ruelle et s'était équipé de son uniforme. Sa bonne humeur fit s'envoler mon stress et je retrouvai le sourire.
— Salut Milla, tu vas bien ? s'enquit-il.
— Beaucoup mieux que je te vois. Je dois filer, sinon je serais en retard ! me hâtai-je.
— Attends, je voulais m'excuser d'être parti samedi soir. Morgan a attrapé une migraine et il n'avait pas les clés de la chambre.
— T'inquiète, Chani était là et puis je suis une grande fille, le rassurai-je.
— Tu es sûre ? J'ai voulu t'envoyer un message après mais j'ai pas osé parce que je ne voulais pas te réveiller.
Le visage de mon collègue était vraiment embêté et son attention me toucha.
— Vraiment Hyun, ne t'en fais pas. Et tu ne dois pas hésiter à m'envoyer un message, je ne t'en voudrais pas.
Il hocha la tête, un sourire apparut sur son visage. Je lui touchai le bras et partis à toute vitesse en lui lançant un « bon courage » à la volée.
Je me pressai à rejoindre le campus, courant sur la moitié du chemin. Je devais en plus de ça, reprendre mes affaires dans ma chambre. J'arrivai dans le hall du bâtiment, le coeur battant et la mèche collée sur mon froid humide. L'espace était vide et je crus devoir un instant, rentrer dans l'amphithéâtre après tout le monde, leur regard sur moi.
— Mlle Armand ! Grâce à vous, je ne suis pas en retard.
C'était Mr Zaïdi qui arrivait d'un pas rapide, sa sacoche en cuir à la main.
— Dépêchez-vous, le prof n'est pas commode ! plaisanta-je, détendue.
Il rit et posa sa main sur la poignée de la porte.
— D'ailleurs, il faudrait que nous nous voyons pour votre mémoire. Je vous enverrai un mail pour programmer ça. D'accord ?
— Oui, très bien...
On entra à deux ans l'amphithéâtre et je sentis en effet tous les regard sur nous. Les yeux de Mélody trouvèrent les miens et son sourire figé était en demi-teinte. Trouvant une place près de Chani, j'accourus pour m'y cacher.
— Bonjour à tous, salua le professeur. Pour commencer, je vais vous attribuer un devoir que vous allez me rendre dans deux semaines.
Un murmure de désapprobation parcourut l'assemblée d'étudiants et Zaïdi eut un sourire amusé de cette réaction. Il sortit de sa sacoche un paquet d'enveloppes qu'il distribua dans les rangs.
— Chaque enveloppe est nominative.
— Mais Monsieur, ce ne sont pas des sujets sur l'art contemporain, remarqua le premier étudiant qui avait décacheté son enveloppe.
L'enseignant arriva à notre hauteur et distribua les sujets à Chani et à moi. Ma voisine ouvrit la sienne en premier : « Architecture des cathédrales ». Elle semblait inspirée. Ce fut mon tour « Symbole de la peinture hollandaise du 16ème siècle ». J'étais beaucoup moins enthousiaste.
— C'est le but de l'exercice. L'art contemporain découle de siècles d'arts des autres périodes. Je veux que vous me fassiez un lien entre vos sujets et l'art contemporain : un artiste, une oeuvre, un courant... Pas besoin d'encenser votre rédaction, je veux un point de vue.
Mon esprit semblait incapable de trouver des d'idées pour combler le fossé entre l'art hollandais et l'art contemporain.
Après quelques protestations et mises au clair, Monsieur Zaidi reprit le cours là où il l'avait laissé la semaine suivante.
S'en suivi un cours sur les techniques de restauration et un autre sur les civilisations amérindiennes avant que la journée ne se termine. J'avais le cerveau qui débordait d'informations en sortant du bâtiment et tous mes camarades semblaient dans le même état que moi. Chani lâcha un bâillement qui sortait du coeur, un autre s'étira le dos en compote d'être assis sur des sièges inconfortables.
— J'en peux plus, soupira mon amie. J'ai envie de m'écrouler dans mon lit avec un pot de glace devant un série...
— Quoi ? Depuis quand tu rentres dans les clichés ! m'offusquai-je. Je pensais que tu voudrais aller chasser les trolls dans le jardin public.
Chani se mit à rire et remise, elle me tira la langue dans un geste enfantin.
— Je vais aller acheter de la glace, tu m'accompagnes ?
— Avec plaisir, j'ai besoin de prendre l'air !
Nous partîmes vers l'extérieur du campus. Il était presque 19 heures et le soir finissait de s'étendre au dessus de nos têtes. Nous avançames en silence, en mode zombie, jusqu'à la supérette du centre-ville.
— Je t'attends dehors, la prévins-je tandis que Chani pénétrait dans l'établissement.
Il y avait un peu de monde, principalement des étudiants qui, comme mon amie, avaient besoin de petits réconforts.
Le nez sur mon téléphone, un homme passa devant moi et mon regard fut attiré par son visage que je n'avais pourtant, qu'entrevu.
Je reconnus la trogne aux cheveux ras et décolorés avec qui Nathaniel dealait samedi soir lors du concert de Castiel. L'impression qu'il dégageait restée froide et mauvaise du type louche. J'étais tiraillée entre attendre Chani et saisir l'opportunité pour en apprendre plus sur le complice de Nathaniel et par conséquent, en apprendre plus sur la situation de mon ex-petit-ami. Les mots de Rosalya du matin-même résonnaient encore dans mon esprit et je jurai. Elle avait terriblement raison.
Je pianotai un message d'excuse à Chani et emboitai le pas à l'inconnu.
Il marchait vite, les mains dans les poches, si bien que je devais courir à plusieurs reprises pour ne pas le perdre de vue. Il traversait vers le centre-ville en passant par la rue commerçante principale où siégeait le magasin de Leigh. Il disparaissait et réapparaissait suivant les lampadaires sous lesquels il avançait. Sa route se poursuivit jusqu'au parc presque vide maintenant qu'il faisait noir. Je faillis courir à sa suite mais il s'arrêta au premier banc sous couvert des arbres, au pied du seul lampadaire qui ne fonctionnait pas. J'avais bifurqué sur le parking de la piscine qui faisait face au parc, derrière un SUV, d'où il ne pouvait pas me voir.
Je le vis sortir un paquet de cigarettes, en allumer une qu'il lança presque immédiatement au moment où un autre homme franchissait la grille du parc. Le collègue de Nathaniel quitta le même banc que sur lequel le nouvel arrivant s'assit.
Ce dernier portait des lunettes et des cheveux noirs et courts. Ils n'échangèrent aucun mots mais j'avais repéré l'enveloppe marron que le premier avait abandonné au profit du second.
J'en profitai pour photographier la scène, même si le type louche était de dos et que, celui que je supposais être un client, était difficilement reconnaissable à cause du manque de lumière.
Le tout me dura pas plus de quinze seconde puis ma cible initiale disparut dans le parc. Paniquée à l'idée de le perdre, je me lançai à nouveau à la poursuite du jeune homme tout en adoptant une allure normale en passant devant celui toujours assis sur le banc. L'enveloppe que j'avais cru voir avait elle aussi disparue et en passant devant lui, je jetai un regard en coin. Il devait avoir entre trente et trente-cinq ans, et mis à part ses lunettes, il n'y avait rien de particulier.
Oubliant le client au profit de son dealer, je traversai le parc rapidement et hésitai à l'embranchement entre deux allées. J'avais une chance sur deux et je pris à gauche sans aucun indice m'aidant à choisir.
La chance était avec moi, je le retrouvai à la sortie ouest, devant un passage piéton qu'il emprunta. Presque en face, il pénétra dans un immeuble vétuste.
Au pied dudit bâtiment, je pris le temps de détailler les noms sur l'interphone, les cases étaient presque toute vide à l'exception d'une grand-mère. L'autre information que je glanais, était apportée par une affichette placardée sur la porte : un avis d'expulsion dans le but de reconstruire une nouvelle résidence de haut standing.
Ainsi, l'immeuble était presque vide déjà, le lieu parfait pour abriter des dealeurs ?
J'hésitai à monter pour avoir plus d'informations encore. Ma curiosité l'emporta et j'étais déjà arrivée si loin... Le hall d'entrée était éclairé par intermittence, par des ampoules aux fils dénudés qui clignotait, les portes des boîtes-aux-lettres étaient en majorité défoncées et l'ascenseur ne fonctionnait plus. Mes pas m'emmenèrent à monter les étages mais tout était calme et rien ne me permettait d'avoir plus d'informations sur le nom de l'individu, le numéro de son appartement ou son activité.
Tout de même, je décidai de poursuivre mon ascension jusqu'au dernier étage mais au moment où j'allais grimper la dernière volée de marches, une porte claqua au dessus de moi et des pas descendirent à mes trousses. J'hésitai à quitter l'immeuble ou à me cacher mais, le temps que j'y réfléchisse, je ne pouvais déjà plus fuir. Et, au vu de l'organisation de l'immeuble, je ne pouvais pas non plus me cacher sans que celui qui descende ne tombe sur moi.
Paniquée je me mis devant une porte d'appartement au hasard, fouillant dans mon sac, comme si je cherchai mes clés. La personne à la démarche légère s'arrêta sur le pallier, je lui tournai le dos, les mains dans mon sac, l'air décontracté.
Ça aurait pu fonctionner...
— Milla ?
C'était la voix de Nathaniel. Quelle était la probabilité que je tombe sur mon ex-petit-ami ? Me pinçant les lèvres, je me retournai, prise en faute, embarrassée.
— Qu'est-ce que tu fais là ? questionna-t-il rudement, le regard sombre.
— Je... viens voir une amie de la fac qui vit ici, mentis-je.
— Qu'est-ce que tu fais ici ! répéta-t-il, loin d'être naïf. Tu m'as suivi ?
— Pas toi, ton pote avec qui tu étais samedi soir, avouai-je enfin prise en porte à faux.
Je sentis la tension monter chez Nathaniel. Son regard se durcit comme les traits de son visage. Je ne l'avais jamais vraiment vu en colère. Cela semblait être une émotion qu'il ne ressentait pas à l'époque du lycée. Sauf que, même s'il la ressentait très souvent, il était capable de ne pas le faire montrer. La première et seule fois que j'avais entrevu cette rage qu'il gardait en lui, c'était face à son père.
Alors voir ainsi ses sourcils froncés, sa bouche se tordre et son regard mauvais... Je ne savais plus où me mettre et gênée, je rompis le silence établi.
— Donc c'est vrai ce qu'on dit, tu trafiques ? admis-je à contre-coeur.
— Ça ne te regarde pas.
— Tu sais, ta soeur est inquiète aussi.
— Elle sait bien qu'elle ne doit pas se mêler de mes affaires et je te conseille de faire de même !
— Tu me menaces ? ricanai-je. C'est une blague...
— Fous-moi la paix Milla !
Il se dirigea vers la suite des escaliers mais je n'en avais pas fini avec lui. Je voulais lui dire ce que je pensais de ce nouveau Nathaniel.
— Tu as beau avoir changé de look, de t'équiper ridiculement de piercings et de bagues mais ta quincaillerie c'est de l'esbrouffe. Je te connais.
— Non, tu ne me connais pas, répondit-il en revenant vers moi, un doigt pointé dans ma direction. Quand tu es partie, j'ai dû me trouver un autre hobbie. T'as fais ta vie de ton côté, et j'ai fais la mienne. Point barre.
Son regard doré luisait de colère et elle était retombée sur moi comme une montagne. Il se détourna et quitta l'immeuble, non sans claquer la porte derrière lui. L'adrénaline coulait dans mes veines à cause de la situation mais autre chose venait de s'insinuer dans mon esprit. Sa dernière phrase de Nathaniel suggérait que c'était à cause de mon départ qu'il s'était orienté vers une autre direction. Était-ce vraiment le cas ? Est-ce ma faute si mon petit-ami de l'époque était devenu ce type au regard cruel ?
Je quittai l'immeuble à mon tour et je repris le chemin dans le sens inverse pour rejoindre le campus. Chani m'avait répondu qu'elle était rentrée aussi et que sa glace était délicieuse. Je me sentais épuisée, je n'avais qu'une hâte, dormir.
Dans la chambre, Yeleen me jeta un coup d'oeil de travers mais si elle avait envie de me questionner sur mon état renfrogné, elle ne le fit pas.
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[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]Trauma
FanfictionMilla revient à Saint-Amour après trois ans d'absence. Elle retrouve Rosalya, Alexy et quelques autres amis du lycée. Par contre, elle ne pensait jamais revoir Nathaniel, ni même lui dire pourquoi elle avait été obligée de partir à l'époque.