— C'est bon, le DJ a lancé les années 80, on peut aller débarrasser les assiettes.
L'équipe de serveuses, composée de trois femmes dont moi, sortit des cuisines, chargée d'un chariot pour aller récupérer les assiettes et jeter ce que les invités n'avaient pas mangé. C'était le moment que j'appréciais le moins, voir tout ce gaspillage en pensant à notre frigo vide...
Mes collègues faisaient des allers et retours entre les tables et le chariot, elles vidaient les restes dans le sac poubelle, empilaient les assiettes et mettaient à tremper les couverts dans un bac d'eau : les petites mains invisibles qui oeuvraient dans la salle plongée dans la semi-obscurité et les tubes des années 80. Seuls les spots et les projecteurs diffusaient des lumières vives qui semblaient danser sur la musique rejetée par les puissantes enceintes. Les mariés et leurs invités profitaient de la soirée, indifférents à l'équipe qui s'échinait. Je ne leur en tenais pas rigueur, c'était justement le but du jeu : nous faire oublier pour que les clients s'amusent pleinement, faire en sorte que tout roule comme sur des roulettes, du moment où ils arrivent, jusqu'à leur départ.
De mon côté, je ramassais les cadavres de bouteilles vides : eau, soda, vin, bières. Ça, contrairement aux assiettes, c'était toujours vide.
Après avoir débarrassé le plat principal, on prépara le buffet de fromages et on attendit le signal de la belle-mère du marié pour l'installer.
Nous disposions d'une demi-heure au moins avant de reprendre du service. Il était 23 heures déjà, je commençai à fatiguer mais ma nuit était loin d'être terminée. La salle était louée jusqu'à 7 heures du matin et elle devait être rendue nickel. Les tables, les chaises allaient devoir étre rangées, le sol nettoyé, la vaisselle lavée, comme les cuisines.
Mes collègues sortirent pour leur pause clope et Fabrice, le chef traiteur, faisait les comptes des restes.
— Est-ce que je peux ? lui glissai-je discrètement.
Il leva les yeux vers moi puis vers les issues qui menaient à la salle ou à l'extérieur.
Après s'être assuré que nous étions seuls pour quelques instants, il hocha la tête sans dire un mot. Rapidement, je sortis de mon sac un tupperware et j'ouvris les réfrigérateurs : pommes de terre noisette, tranches de rôti, tomates à la provençale et roulade de haricots verts.
Il y avait pas mal de restes et même si les marié reprenaient des restes pour le lendemain, ils ne remarqueront rien si je me limitais. Fabrice acceptait que je me serve, à défaut de fouiller les poubelles... Il m'avait déjà surprise une fois, je lui avais fait part de nos grosses difficultés financières et bien que très rigoureux et distant de ses employés, il avait accepté que je me serve un peu et si et seulement si cela restait entre nous.
Puis, une fois ma gamelle garnie, je pris l'air.
Assise sur un banc qui agrémentait le petit parc de la salle, je fermai les yeux. Si je pouvais dormir, ne serait-ce que quelques minutes, cela m'aiderait à finir la soirée...
Des pas étouffés par l'herbe me firent ouvrir les yeux, l'un des invités du mariage venait de sortir et s'approcha de moi.
Les lumières provenant de l'intérieur furent suffisantes pour me permettre d'estimer son âge, proche du mien, et distinguer qu'il était élégamment vêtu d'un costume et d'un noeud papillon qu'il défit.
— Les années 80, très peu pour moi, soupira-t-il d'un air las.
Décontenancée, je ne savais pas quoi répondre, il était rare que les invités se mêlent au personnel, non pas par snobisme mais parce Fabrice était pointilleux sur ce point, pas de copinage avec les clients.
— Je m'appelle Julius, reprit-il avec un sourire avenant.
— Milla.
— Enchanté Milla ! Tu passes une bonne soirée ?
— Eh bien, je travaille alors... répondis-je en jetant un coup d'oeil au-dessus de mon épaule.
Julius était un beau garçon, grand, il paraissait athlétique. Il avait la mâchoire carrée, des cheveux bruns et des yeux verts. Tout chez lui respirait une sorte d'assurance attractive.
— Et toi ? repris-je en retour.
— Je suis le seul de mon âge, tous mes cousins et cousines sont plus jeunes donc entre les années 80 et le babysitting... Je préfère prendre l'air.
J'émis un petit rire qui le mit en confiance à continuer.
— Tu fais ça souvent, de travailler pour un traiteur ?
— Dès que je peux, ça me permet de gagner un peu d'argent en parallèle de mes études.
— Ah ouais ? Tu fais quoi ?
— J'ai commencé une licence d'Histoire de l'Art à Beaulieu-la-vallée.
— Quelle coincidence. J'y suis aussi, en deuxième année de licence d'Economie. Je ne savais pas qu'il y avait un parcours Histoire de l'Art.
— Ils viennent de l'ouvrir. On est la première promotion.
— Vous êtes des cobayes en fait ! comprit-il.
— C'est ça...
Je ricanai en pensant aux bourdes qu'il y avaient déjà eues.
On continua de parler pendant une vingtaine de minutes jusqu'à ce que le devoir m'appelle. Entre deux pauses, Julius venait discuter et je trouvais cela agréable. On parlait de la fac, du lycée. Je lui mentis en lui racontant que nous avions déménagé pour le travail de ma mère. Il m'expliqua que ses parents habitaient un peu plus loin et qu'il avait un appartement près du campus. Je lui avouais avoir eu un petit-ami lorsqu'il se renseigna subtilement sur ce point.
Nathaniel me manquait beaucoup, bien que je l'avais vu une semaine durant les dernières vacances, mais cela, je n'en parlais pas.
En dehors de mes amis de lycée avec qui je gardais contact, je ne m'étais pas faite de nouvelles connaissances. Julius était sympa et deviendra peut-être le premier.
Le reste de la soirée se déroula normalement. La famille de l'étudiant en économie quitta la salle vers les 3 heures du matin. Au moment de se quitter, il me souhaita une bonne soirée et espérait qu'on allait se recroiser à la fac. Je le vis hésiter une dernière seconde avant de partir mais finalement il se décida à regret.
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[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]Trauma
FanfictionMilla revient à Saint-Amour après trois ans d'absence. Elle retrouve Rosalya, Alexy et quelques autres amis du lycée. Par contre, elle ne pensait jamais revoir Nathaniel, ni même lui dire pourquoi elle avait été obligée de partir à l'époque.