Chapitre Vingt-Cinq - Œuvrer délicatement

182 9 1
                                    


Je mis plusieurs secondes avant d'émerger de mon sommeil pour comprendre que la sonnerie de mon téléphone ne résonnait pas que dans mon rêve. A tâtons, je décrochai et collai l'appareil à mon oreille.

— Oui allô ? fis-je d'une voix pâteuse.
— Bonjour Milla, c'est Rayan.
— Ah, bonjour Rayan. Merci de me rappeler !

La voix de mon professeur me fit sortir des limbes du sommeil et d'un coup d'oeil, je vis qu'il était 15 heures environ. Ne vivant que la nuit depuis quelques jours, mon cycle était légèrement perturbé.

— Tu as pu regarder ce que je t'ai envoyé hier ? repris-je.
— Oui, par rapport à ça... J'ai un peu de mal à comprendre. Je ne te vois plus en cours, je pensais que tu avais quitté la fac et tu ne travailles plus au Cosy Bear Café. Alors ton mail me rend perplexe.

Je tiquai. J'avais déserté le campus et le café, sans compter que j'avais dit à tous que j'avais abandonné mon année. Alors, ce revirement de situation pouvait paraître étrange, surtout à ma manière d'avoir soudainement demandé à Rayan de m'aider à finir mon mémoire.

— J'ai finalement décidé de m'accrocher. Des amis me passent les contenus des cours, je lis beaucoup...
— J'ai bien peur que ce ne soit pas suffisant si tu n'assistes pas aux cours. Et je t'avoue que je crains aussi pour ton mémoire.
— Ah ? Ça ne va pas ? C'est la troisième partie qui pose souci ? Je peux encore détailler...
— C'est vrai que cette partie est beaucoup moins travaillée que les autres, elle est très superficiellement traitée mais il y a des fautes de frappe, ça manque de relecture. Il y a des erreurs dans les noms d'artiste, dans les dates. Je les ai corrigées mais Gérard lui, ne va pas te louper.

Je me mordillai la lèvre, honteuse de ce retour misérable. Il était vrai que, depuis l'histoire avec Nathaniel, je m'étais très peu penchée sur mon mémoire et j'avais bâcler la dernière partie pour être dans les temps. Le résultat était bien en deçà de mes attentes.

— Qu'est-ce qui se passe Milla ? Je m'inquiète pour toi...
— Je suis désolée, soufflai-je, émue de ses considérations. Est-ce que tu penses que tu arriverais à convaincre M. Lebarde d'être à nouveau mon directeur de mémoire l'année prochaine si je redouble.
— Tu envisages vraiment de redoubler ? s'étonna Rayan, circonspect. Les sélections sont déjà difficiles pour ceux qui ont un dossier en béton mais si tu redoubles parce que tu n'as pas su gérer ton année... Ça ne passera pas. Vraiment, je te conseille de te ressaisir.
— Je le ferais. Merci pour ton appel. Au revoir.

Je raccrochai abruptement au nez de mon professeur et ami. Je n'avais ni besoin, ni envie d'entendre ce genre de discours de remontrances. J'imaginais assez bien ma mère en faire de même, si seulement elle était au courant de la situation actuelle. Si je persistais ainsi, je risquais fortement de foutre en l'air mon année et mon avenir. Mais tout ça me semblait tellement futile par rapport au sort encore moins enviable de Nathaniel.

D'un soupir, je rejetai mon téléphone au loin, envahie par les idées sombres d'échec. Pourtant, je ne chômais pas depuis dix jours où je suivais Jason pour découvrir tous ces secrets et j'étais en passe de réussir.

Sur la table basse, des photos que j'avais prises des différentes adresses où le flic/chef des Argonautes se rendait régulièrement, cela pouvait être des planques, des lieux de rendez-vous avec des dealers ou des fournisseurs ou simplement sa boulangerie du coin, mais j'avais tout noté. Il était toutefois impossible pour moi d'aller plus loin dans mes investigations sans me mettre en danger. Au même instant, la clef dans la serrure me fit lever la tête. Castiel pénétra dans le loft, sa guitare dans son étui porté à l'épaule.

— Alors, qu'est-ce que tu as trouvé ? questionna-t-il en s'effondrant à côté de moi.
— Je pense avoir trouvé comment il blanchit son argent, avouai-je quoique peu enthousiaste.
— Vraiment ?
— Oui. Toutes les semaines, il va rendre visite à sa mère dans une résidence et il y croise son frère aîné.
— Un baron de la drogue qui est proche de sa famille, constata le chanteur. C'est presque un cliché. Mais je ne vois pas où ça nous mène.
— Son frère tient un restaurant et un service traiteur, lui expliquai-je en sélectionnant quelques photos parmi les clichés. Sauf que toute l'affaire était sur le point de s'écrouler il y a trois ans par manque de financement. Maintenant, c'est une affaire florissante qui a un chiffre d'affaire croissant depuis que les Horses ont déserté Saint-Amour.

Selon mon hypothèse, Jason donnait l'argent à son frère qui l'utilisait pour acheter une partie de sa marchandise ou payer quelques employés au black. En retour, Jason touchait un pourcentage qui correspondait à ce qu'il avait investi, comme actionnaire officiel sur le papier. Sans être experte en comptabilité illégale, j'imaginais que cela devait fonctionner à peu près de cette manière.

— Je vois. Ça te dit d'aller au resto ce soir ? me proposa Castiel un sourire narquois aux lèvres.
— Quoi, tu veux aller sur place ?
— Ouais, j'en ai marre de faire livrer du chinois ou du thaï. La bonne gastronomie française me manque.
— Ok, mais tu payes parce que je suis fauchée, je te signale.
— Tu sais que vous me revenez cher toi et ton petit-ami.
— J'espère que tu acceptes de me faire crédit alors ?

Castiel ricana et posa son regard sur son étui de guitare.

— Oh, j'ai failli oublier.

Il se leva et sortit un dossier qu'il me tendit.

— J'ai demandé à mon avocat de faire les recherches dont tu m'avais parlées.

Curieuse, je sortis les documents que je survolais.

— Le commissaire Margotier ? Il est fiable ?
— Il a travaillé pendant dix ans au GIGN avant de devenir commissaire de police puis commissaire divisionnaire depuis cinq ans. Chef d'inspection général et contrôleur général, son dossier ne rapporte aucune plainte, aucune tache. Il est irréprochable.

Je hochai la tête. Après avoir constaté que la police de Saint-Amour n'était pas aussi blanche qu'escomptée, j'avais un peu peur de vouloir dénoncer le lieutenant Thomas à n'importe qui. Il y avait un risque que l'affaire tombe à l'eau mais aussi de me voir mise en danger, ainsi que Castiel.

— Très bien, allons voir le frère de Jason, concédai-je. Et après, je donne tous les éléments que j'ai à ce commissaire.
— Ce dossier, c'est de la bombe Milla. Tu verras que Nathaniel va être blanchi. On a prouvé le complot.
— Je l'espère...

**

— Tu es sur que Jason ne vient jamais ici ? questionna Castiel en claquant la portière de la voiture.
— Je ne pense pas. Je l'ai suivi une dizaine de jours et il n'est jamais venu ici Il rencontrait son frère chez leur mère.
— Et si on tombe sur lui, qu'est-ce qu'on fait ?

Je ne lui répondis pas, grimaçant à l'idée que cela arrive. Après, on ne faisait qu'un tour, on ne prenait qu'un plat. Si tout se passait bien, en une heure, une heure et demi, tout serait fini.

On fut accueilli par une jeune femme d'une vingtaine d'années, brune, jolie quoiqu'un peu blasée. Elle nous conduisit à une table pour deux et nous présenta la carte. Nos yeux courraient sur tous les éléments du restaurant : la décoration, la vaisselle, la carte des vins. De réguliers échanges de regards avec mon complice nous confirmaient que rien n'allait nous échapper. Malheureusement, nous aurions préféré jeter un oeil sur les comptes financiers que dans les assiettes. Tout était très bon de surcroit et rien ne laissait présager que la famille Thomas blanchissait l'argent de la drogue à travers ce restaurant. Peut-être m'étais-je trompée ou bien la façade était parfaite.

— T'inquiète pas, me rassura Castiel. On sait tous les deux que ce mec est le chef des Argonautes. On en a la preuve. Pour le reste, ça sera aux flics de faire leur boulot. Toi et Nath' avaient fait le plus gros en récoltant toutes ces infos.
— T'as raison. Demain, j'irais remettre le dossier au commissaire. J'espère que ça suffira.
— Ça risque de prendre un peu de temps mais oui, ça va aller.

Je ne savais pas si Castiel faisait tout pour me réconforter ou s'il le pensait réellement. Je ne voyais ps ce qu'on pouvait faire de plus à présent.

— Je vais tout donner à l'avocat, au moins, on est sur que ça ne tombera pas dans les oubliettes.
— Ok, bon, partons. On n'a plus rien à faire ici.

Le chanteur de Crowstorm hocha la tête et partit en avant pour régler la note. A l'extérieur, il voulut profiter des températures agréables pour fumer une clope pendant que j'étais sur mon téléphone.

A cet instant, une voiture se gara sur l'une des places réservées aux employés et je reconnus tout de suite la silhouette grande et sombre du lieutenant Grégoire Thomas, son frère à ses côtés. De panique, je n'eus qu'une seule idée pour me cacher. J'attrapai la veste de Castiel que j'attirai à moi comme une brusque envie de contact. Le chanteur fut désarçonné. Il trébucha à moitié, plaqua sa main près de ma tête contre le mur derrière moi. Grimpant sur la pointe des pieds, je vins plaquer mes lèvres sur le coin de sa bouche pendant de longues secondes durant lesquelles les frères Thomas passèrent à côté de nous pour entrer dans l'établissement. Ils n'avaient pas dû faire attention à un couple d'amoureux qui avait passé le début de leur soirée à manger au restaurant. Je me détachai de Castiel après que Jason et son frère aient disparu de mon camp de vision. Mon ami me fixait de son regard gris pénétrant, surpris et embarrassé.

— Désolée, je ne savais pas quoi faire...
— Non, hum c'est pas grave.

Ses joues étaient aussi rouges que ses cheveux et soudain, je réalisai ce que j'avais fait et je m'empourprai à mon tour.

— Bon, euh, ça reste entre nous, OK ?
— Ouais, je préfère oublier ça... T'es un peu comme une soeur ou je sais pas.
— T'as raison, Rentrons.

Dans la voiture, on resta silencieux à méditer ce qui s'était passé. On se connaissait depuis le lycée et notre relation était comme chien et chat, à se chercher même si on s'appréciait mais est-ce que ça aurait pu aboutir à quelque chose d'autre s'il n'y avait pas eu Nathaniel ? On ne le saura jamais et ce n'était pas maintenant qu'on le saura.

**

J'attendais devant le commissariat de Saint-Amour, un peu à l'écart en train de guetter les allées et venues. Le dossier que j'avais sous le bras pesait lourd de toutes les photos et photocopies du carnet de Nathaniel. Les originaux étaient précisément gardés en sécurité à l'appartement de Castiel. Une enveloppe similaire avait été transmise à l'avocat de Nathaniel et une troisième en prévision pour tout balancer aux médias si rien ne bougeait d'ici quelques semaines. Il était déjà assez tard puisque la nuit était tombée mais le chef du commissariat n'était pas un rentre-tôt et j'étais prête à rester ici toute la nuit s'il le fallait pour lui remettre ce dossier.

Enfin, un homme en costume trois pièces d'une cinquantaine d'années, malette à la main, cheveux coupés en brosse, sortit du bâtiment. Je reconnus l'homme que j'attendais, le commissaire divisionnaire Margotier. La boule au ventre, je pris mon courage à deux mains pour sortir de la voiture et aller à sa rencontre.

J'espérais qu'il ne prenne pas peur où qu'il ne me considère pas comme une illuminée.
Je marchai derrière lui, calquant mon allure à sa foulée. Il fouilla dans son manteau pour trouver les clefs de sa voiture près de laquelle, il s'était arrêté.

— Bonsoir, excusez-moi, l'interpella-je.

Le commissaire se retourna vivement vers moi, mécontent et sur ses gardes.

— Commissaire Margotier, je suis désolée de vous aborder de cette manière, m'excusai-je encore. Je souhaiterais vous donner ceci.

Je lui tendis l'enveloppe contenant toutes les informations sur Jason et les Argonautes. Le flic posa un regard méfiant sur le dossier mais ne fit aucun geste pour le prendre.

— Il y a un homme innocent en prison et il y a au moins un flic ripou dans vos rangs, tentai-je de le convaincre. S'il vous plait, jetez-y un coup d'oeil. Ça pourrait mettre un terme au trafic des Argonautes.

A l'évocation du nom du plus grand réseau de drogue de Saint-Amour et au delà, le commissaire tiqua. Il semblait reconsidérer l'enveloppe.

— Qu'est-ce qu'il y a dans cette enveloppe ?
— Des noms, des descriptions, des photos, des preuves. S'il vous plait. On est dans le même camp.

Sans savoir s'il allait finalement prendre ce que je lui tendais, je posai le dossier sur le toit de sa voiture. Après un dernier regard suppliant, je reculai de quelques pas pour pour finalement disparaitre. Arrivée pres de la voiture de Castiel, je jetai un œil au dessus de mon épaule. Le commissaire était en train de survoler les documents et j'eus un regain d'espoir. Si nous ne nous étions pas trompés sur son compte, alors lui ferait tout pour disculper Nathaniel, faire cesser pour de bon le réseau et arrêter Jason.

— Tiens Milla, qu'est-ce que tu fais là ?

Je me retournai vivement, surprise par la voix grave et posée qui m'avait interpellée. C'était le lieutenant Thomas/Jason qui me dominait entièrement. Son regard noisette aiguisé et son absence de sourire me paralysaient de peur un instant. Le chef des Argonautes, le plus insaisissable des parrains de la drogue se tenait devant moi.

— Je pensais que tu avais quitté Saint-Amour, on m'a dit que tu ne travaillais plus au Cosy Bear Café.
— Euh, oui. Je- j'étais revenue pour régler les dernières affaires.

J'avais longtemps réfléchi à ce que j'aurais fait si je me retrouvais un jour en présence de Jason : lui avouer que je savais tout ou bien mentir. J'avais conclu qu'il vallait mieux mentir pour conserver les apparences, au moins tant que rien n'était joué.

— Qu'est-ce que tu fais ici, au commissariat ?
— J'étais juste venue prendre des nouvelles de mon ex-petit-ami. Et vous, qu'est-ce que vous faites là ? Je ne savais pas qu'ils faisaient du café au lait de soja dans le coin.

J'eus un sourire un peu forcé pour tenter d'échapper au poids suspicieux de son regard noir. Après une seconde de malaise supplémentaire, Jason eut un rictus amusé.

— Non, je suis juste de passage. Bonne soirée Milla.

Il tourna les talons et fit demi-tour.

— Bonne soirée Thomas.

En prononçant son nom de famille que je n'étais pas censée connaître, il se retourna vivement. Je soutiens son regard un court instant avant de remonter dans la voiture, le coeur battant. Ça m'avait échappé ou presque. Peut-être qu'inconsciemment, je voulais quand même qu'il sache qu'il avait fait une erreur à vouloir se vanter auprès de Nathaniel. En agissant ainsi, je prenais un risque alors que j'avais pourtant juré à Castiel de ne pas faire de vague. Un peu tremblante, je démarrai la voiture tout en zieutant le flic dans le rétroviseur intérieur. Il dardait sur moi un regard sombre qui se teinta d'un reflet menaçant.

Je rentrai précipitamment en espérant que Castiel soit là mais ce ne fut pas le cas. Craignant que Jason m'ait suivie jusqu'ici, je tirai les rideaux et tentai de joindre le chanteur qui répondit instantanément.

— Milla, ça va ?

Je lui expliquai rapidement la dernière demi-heure et mes craintes concernant l'erreur que j'avais commise et ses conséquences.

— Ok , t'inquiète pas. J'ai fini ici, je rentre.

Moins de trente minutes plus tard, Castiel était là et j'en étais rassurée. Avec assurance, il calma mes craintes.

— Tiens, j'ai pris les clefs au studio. Notre label a une petite maison sur la côte. C'est un endroit un peu exclusif et on est très peu à savoir où il est. Prends tes affaires et va te cacher la-bas en attendant que ça se tasse.
— Tu viens avec moi ? le suppliai-je angoissée à l'idée de me retrouver seule.
— Je peux pas pour l'instant mais je passerai les week-end si tu veux. Ça te permettra de travailler sur ton mémoire et tes révisions. Là-bas au moins, tu seras en sécurité.

L'idée d'être éloignée de Saint-Amour, de Castiel et du coeur de l'histoire m'effrayait autant qu'elle me réconfortait. J'avais besoin de prendre mes distances, je risquais de devenir parano avec toutes ses menaces et mon esprits qui brodaient autour d'elle.

— Je partirai demain.
— Non, je vais t'y conduire maintenant. Prépare ta valise.

[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]TraumaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant