— Tu vas me manquer...
— Oui, toi aussi, mais je ne pars que deux jours. Tu ne verras même pas que je suis parti...
— Ça m'étonnerait, s'attrista Milla.
Nathaniel prit le visage de sa petite-amie entre ses mains et l'embrassa lentement. Cela faisait un mois qu'ils sortaient ensemble et l'ex-étudiant était vraiment devenu accro. Les deux tourtereaux se voyaient tous les jours, à l'appartement et parfois même Nathaniel allait au Cosy Bear Café quand Milla y travaillait. Elle dormait presque toutes les nuits chez lui comme pour rattraper le temps qu'ils avaient perdu.
Sauf que là, les Argonautes se réunissaient pour une sorte de congrès des dealers sur une période de deux jours. C'était le moyen de resserrer les liens entre les différents membres mais aussi, suite à la nouvelle organisation du réseau, de présenter les projets de développement. D'un oeil extérieur, ça pouvait presque passer pour quelque chose de "normal" au sein d'une entreprise lambda.
Nathaniel allait en profiter pour céder sa place, quitte à retomber en bas de l'échelle, à défaut de claquer la porte. S'il savait se faire oublier, il pourrait peut-être quitter le réseau plus facilement. Sinon, il utiliserait les informations dont il disposait pour faire pression sur Jason. Or, il préférait éviter d'en arriver à cet extrême car il savait que le réseau se défendrait.
Il garda toutefois ses inquiétudes pour lui et raccompagna Milla jusqu'au pied de l'immeuble où ils se quittèrent. Puis, en début d'après-midi, Nathaniel prit sa voiture et roula presque deux heures en suivant les instructions du GPS jusqu'à se perdre dans la campagne. Chris lui avait rapidement parlé d'un nouveau fournisseur à rencontrer avant de retrouver tous les membres. Ils s'étaient donné rendez-vous dans un endroit isolé où Chris l'attendait déjà. Nathaniel suivit son compère en voiture jusqu'à leur destination. Il sentait son collègue nerveux, l'affaire devait être importante pour prendre tant de précautions.
Finalement, la polo blanche de Nathaniel pénétra dans un corps de ferme et suivit la voiture de Chris jusqu'à un emplacement derrière un hangar. Ils sortirent de la voiture et Nathaniel remarqua la mine soucieuse de son collègue.
— C'est un gros fournisseur et Jason veut absolument traiter avec lui.
— Alors pourquoi il n'est pas là pour le faire lui-même ?
— Arrête avec ça, il nous fait confiance. J'ai besoin de toi là...
— OK, voyons ça.
Il avisa un homme d'une quarantaine d'années marcher vers eux. Il portait une combinaison de travail agricole à double fermeture éclair et des bottes. Il était charpenté, taillé pour un travail physique. Il avança vers eux en tendant une main que Chris serra.
— Chris, se présenta-t-il.
— Damien.
— Nath'.
Ils n'échangèrent que les prénoms et Damien les emmena au fond du hangar où des bovins ruminaient du foin au chaud. Là, il repoussa un ballot de paille et Nathaniel vit la marchandise, du cannabis sous forme de résine. Il devait y avoir presque une quarantaine de kilos à vue d'oeil. Chris lâcha un sifflement impressioné et Damien craqua un paquet pour lui donner un échantillon.
— Où est-ce que vous obtenez autant de quantité ?
— De l'autre côté de la frontière...
Nathaniel observait Damien, il était volontairement imprécis, il haussait les épaules sans trop en dire. D'un coup d'oeil au complexe agricole, il remarqua de nombreux tracteurs et machines spécialisées.
— Combien tu en veux ? questionna Chris.
— 100 pour ce que tu tiens dans ta main.
Ils regardèrent la quantité et Nathaniel haussa les sourcils.
— C'est trop cher, ça va jamais partir...
— La qualité est meilleure que ce qu'il y a sur le marché et on prend tous les risques pour la transporter.
— 60, proposa Nathaniel.
— Non, 90 max.
Chris faisait la grimace mais l'ex-étudiant en lettres savait que ce n'était que le début d'une négociation qu'il pouvait gagner. Il fallait juste le convaincre.
— Le risque ne justifie pas le prix. A mon avis, tu fais passer 50 kilos facile dans un chargement de céréales, de légumes ou de bétail. Je vois mal les flics vous demander de vider votre coffre. Vous avez des passe-droit. A vue d'oeil, ça, ce n'est qu'une petite quantité et vous fournissez beaucoup plus de monde...
Damien eut une moue et Nathaniel sut qu'il avait mis le doigt sur la faille.
— On part sur 60 pendant trois mois et on augmente à 70 après.
Le fournisseur grogna.
— Mais en retour, il faudra écouler 50 kilos en deux mois.
— En trois mois. Si on écoule le stock lentement, on va créer une demande et on va pouvoir jouer sur les prix, contra Nathaniel.
— OK, on voit pour trois mois et je revois avec votre boss pour la suite.
Après les derniers détails d'ordre pratique, les Argonautes rejoignirent leur voiture. Chris affubla son collègue d'une tape dans le dos.
— T'as géré, gros ! On va se faire un paquet de pognon avec ça ! Du premier choix !
— Ouais, tu vois que tu peux me faire confiance...
Le ton de Nathaniel était chargé de reproches, notamment dû au récent fait que Chris l'avait suivi une dizaine de jours plus tôt.
— D'ailleurs, faudrait qu'on parle, relança Nathaniel.
— Plus tard, on va être à la bourre, les autres nous attendent ! On va fêter ça !
Chris semblait trop enthousiaste et, même s'il avait marqué des points, Nathaniel savait que l'humeur de son compère pouvait rapidement évoluer et pas toujours à son avantage.
Tous les Argonautes s'étaient réunis dans un café privatisé pour l'occasion. Il y avait les trois lieutenants avec Nathaniel, Chris et Fab, mais aussi une dizaine de sergents et un échantillon des meilleurs revendeurs de Saint-Amour. L'ancien étudiant en lettres s'étonna d'y retrouver Benoit Frémot qui, après leur explication, avait filé un bon coton, au point de se voir récompensé.
Sur place, Chris et Nathaniel saluèrent tout le monde. Puis le bras droit des Argonautes débuta un petit discours pour annoncer les changements d'organisation et les plans d'expansion souhaités par Jason. Tous approuvèrent. Nathaniel prit une bière par convenance mais n'en but qu'une gorgée et il se posta près d'une table de billard.
Chris enchaîna sur le nouveau fournisseur vu le matin même mais sans trop entrer dans les détails. Parlant ainsi, Nathaniel trouva Chris presque charismatique. C'était un gars qui aimait le son de sa voix mais aussi l'attention qu'il provoquait. L'ex-étudiant savait que son collègue était ambitieux et qu'il ferait tout pour monter les échelons. Il n'ignorait pas que Chris rêvait de diriger son propre réseau ou bien une branche des Argonautes, voire de gouverner à la place de Jason. Il était assez fou et violent pour y parvenir mais pas assez malin pour tenir sur le long terme.
— Demain, on discutera de l'avancée de certains d'entre vous et de la répartition des quartiers par sergent. En attendant ce soir, lâchez-vous, c'est le boss qui offre !
Il y eut un vacarme en guise d'applaudissements et Chris fendit la foule comme le messie. Des filles avaient été invitées et le bar fonctionnait à merveille. Nathaniel disputait une partie de billard avec trois autres membres quand il fut accosté par Chris d'une tape vigoureuse à l'épaule. Il avait une bière à la main mais l'ex-étudiant voyait bien qu'il n'avait pas beaucoup consommé. Son regard était clairvoyant.
— Tu voulais me parler tout à l'heure ?
Nathaniel sentit une boule naître dans son estomac à l'idée d'avoir cette conversation franchement pas agréable. Il hocha la tête et les deux hommes quittèrent le café pour se poser à la terrasse. Deux revendeurs discutaient et, d'un geste de la main, Chris les renvoya pour avoir un peu plus d'intimité. Il s'affala sur une chaise et entreprit d'allumer une cigarette. Par réflexe, il tendit le paquet à Nathaniel qui déclina.
— Alors je t'écoute, l'invita-t-il d'un ton pédant.
— J'aimerais quitter le réseau...
L'Argonaute ne semblait pas du tout surpris de sa déclaration.
— C'est à cause d'une fille, c'est ça ? La serveuse ?
— Laisse-la en dehors de ça... J'ai bossé pour Jason pendant trois ans, j'ai laissé tomber mes études, j'ai tout sacrifié pour vous, argumenta Nathaniel. J'ai participé à l'expansion du réseau... Vous me devez bien ça ...
— On ne te doit rien du tout ! Qu'est-ce qui me dit que t'iras pas nous balancer ?
— J'ai rien à y gagner ! Si je vais voir les flics, je vais aussi tomber ! Je veux juste retrouver ma vie d'avant...
Chris restait songeur en le regardant, la décision de Nathaniel l'embêtait beaucoup et ce dernier espérait que leur amitié pourrait l'aider.
— De toi à moi, Jason m'a dit qu'il avait l'intention de renouveller les équipes, lâcha Chris.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— J'en sais rien... Mais je t'apprécie alors je vais essayer de le convaincre.
— Merci...
Reconnaissant, Nathaniel lui serra la main.
— Bon, laisse-moi. Je dois passer un coup de fil.
L'ex-étudiant hocha la tête et retourna à l'intérieur du café. Il ne savait pas s'il devait être soulagé ou inquiet. Le fait que Chris soit de son coté était un avantage mais il ne connaissait pas les plans de Jason et ça, ça l'emmerdait. Il finit sa partie de billard et vit Chris revenir à son tour et s'approcher de lui.
— Jason a besoin de moi à Saint-Amour, informa-t-il à l'oreille de Nathaniel.
— Tu as besoin de moi ?
— Non, il veut que tu restes ici et que tu répartisses les différents secteurs aux gars. Je serai de retour demain matin. Toutes les chambres de l'étage sont réservées mais restez discrets quand même. Je compte sur toi.
— Pas de souci, salut.
Après un dernier signe de tête, Chris quitta le café et Nathaniel resta avec une mauvaise impression.
**
Le jeudi se terminait toujours avec mon service au Cosy Bear Café et, comme à plusieurs reprises, Rayan était présent pour prendre un snack salé et me tenir compagnie. J'avais appris un peu plus tôt dans la semaine que j'avais réussi mes examens donc j'étais vraiment très enthousiaste. Tout roulait comme sur des roulettes !
— Le mois prochain, j'avais l'intention d'emmener la promo de Master au cinéma. Ils rediffusent un chef d'oeuvre des années 30 et j'aimerais bien qu'on étudie le procédé de colorisation. Tu penses que ça peut plaire ?
— Un cours dans une salle de ciné et pas dans un amphi ? Tu plaisantes, ça serait vraiment cool !
Il voulut ajouter quelque chose mais la clochette du café sonna, coupant mon professeur et moi dans notre conversation. Je reconnus le café au lait de soja aux cheveux noirs et aux grosses montures de lunette. Il s'installa au comptoir, juste à côté de Rayan en émettant un soupir las.
— Bonsoir. Qu'est-ce que je vous sers ? Un café au lait de soja ?
— Oh, je pense que j'aurais besoin de quelque chose de plus fort. Deux doigts de Whisky s'il te plaît, Milla.
J'étais un peu moins habituée à servir de l'alcool mais je lui tendis son verre au contenu ambré avec deux glaçons. Rayan était silencieux à lui jeter des coups d'oeil.
— Dure journée ? lui lançai-je pour faire la conversation.
— M'en parle pas...
L'homme d'une trentaine d'années soupira en tournant son verre entre ses doigts. J'échangeai un regard désolé à Rayan qui eut un sourire embarrassé. Ce dernier déposa un billet sur le comptoir et s'excusa de partir, se sentant de trop. Je lui adressai un hochement de tête et il quitta le café. Il devait être presque 20 heures et ce client serait sûrement le dernier alors j'entrepris de vider les poubelles et nettoyer la machine à café.
— Alors, qu'est-ce qui se passe ? relançai-je ensuite. Des problèmes au travail ?
— Si on veut... Je dois prendre des décisions difficiles pour le bien de mon entreprise.
Le client pointa sur moi un regard noir et perçant.
— J'ai peur que ce soit mal compris par mes collaborateurs mais je n'ai pas vraiment le choix...
Je m'accoudai face à lui en réfléchissant.
— Je ne connais pas votre secteur d'activité mais je pense qu'en expliquant bien les choses, les gens peuvent comprendre et peut-être que la pilule passera mieux.
L'homme en face de moi hocha la tête, un léger sourire aux lèvres.
— Tu as raison, Milla. Merci de tes conseils.
— Au fait, je ne vous ai jamais demandé comment vous vous appelez.
— Grégoire, enfin Greg.
Il but son verre d'un trait et déglutit en faisant la grimace.
— Bon, je vais aller régler ça... se décida-t-il en sortant son téléphone de sa poche. Bonne soirée, Milla.
— Bonne soirée.
Je le suivis jusqu'à la porte pour la fermer derrière lui puis je tirai les stores et éteignis les lumières de la salle. Il me restait encore des bricoles à finaliser puis je quittai le café. J'aurais bien voulu que Rayan me raccompagne et qu'il me parle de son idée de projet mais qu'à cela ne tienne, ce soir, je rentrerai seule et dans le noir.
Malgré les mois qui avaient passé depuis que je travaillais au Cosy Bear Café, je n'étais toujours pas rassurée par cette ruelle et ça même si je savais que mon imagination me jouait des tours.
Et pourtant ce soir, mes craintes allaient s'avérer fondées. Une silhouette sur ma gauche apparut d'un renforcement d'entrée et je reconnus Chris, le collègue de Nathaniel.
J'eus un sursaut mais je me forçai à baisser les yeux et reprendre ma route. Après tout, je n'étais pas censée le connaître. Je voulus le dépasser mais il se posta devant moi, m'empêchant d'avancer. Je fis un pas pour forcer le passage mais Chris saisit vivement mon bras.
— Milla, c'est ça ? Tu me remets ?
— Ah, mais... lâche-moi... soufflai-je, saisie de peur.
— Fais pas ta maligne. Ta petite romance avec Nath' vient foutre la merde chez nous !
— Laissez-le partir...
— Non ! C'est foutu pour lui alors oublie-le !
La colère vint surpasser mes peurs et je me dégageai de l'emprise de Chris tout en lui lançant un regard noir.
— Il est hors de question que je le quitte. Tu ne vas pas m'y forcer !
— Tu crois ?
Il était presque content que je résiste, je pouvais voir une lueur malsaine dans son regard torve.
— J'espérais bien que tu dises ça. J'ai pour ordre de te convaincre, peu importent les moyens...
Une nouvelle vague de peur m'envahit, je voulus prendre la fuite mais Chris fut plus rapide, il m'attrapa par l'épaule et je sentis ses doigts se refermer sur ma gorge pour m'empêcher de crier. Je me débattais tant bien que mal et sentais mes ongles lui griffer la peau mais un poing puissant vint s'écraser dans mon ventre et je me trouvais au sol en train de reprendre mon souffle. Mon corps tremblait, je n'avais plus de force pour me redresser. Je levai le bras hésitant, autant pour me défendre que pour le supplier d'arrêter. Il s'accroupit à ma hauteur, saisit une poignée de mes cheveux pour me forcer à lui faire face. Je lâchai une plainte gémissante et ma main vint lui griffer le visage. Il grogna et, comme représailles, je sentis ma pommette rencontrer son poing. Mon sang battait à mes tempes et son goût métallique inonda ma bouche. Il me tenait toujours les cheveux et je pouvais entendre son souffle menaçant à mon oreille.
— Tu ferais mieux de suivre mon conseil, sinon je reviendrais et imagine aussi ce que je peux faire à ton mec...
Il rejeta ma tête sur le côté, se releva et disparut dans l'ombre qui l'avait menée à moi.
Choquée, nauséeuse, je vis mon sac plus loin qui trônait au beau milieu de la ruelle et qui avait perdu son contenu durant l'agression. Mes jambes tremblantes chancelèrent quand je voulus me redresser. Je m'appuyai contre le mur pour me maintenir mais, sentant mon ventre se tordre, je me retournai pour vomir le peu que j'avais dans l'estomac. La peur de revoir Chris revenir me donna des ailes et je réussis enfin à me ressaisir suffisamment pour récupérer mes affaires et à rejoindre en urgence le Campus. La chambre était plongée dans le noir, Yeleen était déjà couchée mais je n'en étais pas sûre. Je voulais juste me sentir en sécurité, enfermée dans la salle de bain et, là encore, j'avais peur que l'Argonaute n'apparaisse de derrière le rideau de douche.
Un sentiment de panique m'envahit, je n'arrivais pas à reprendre mon souffle, des sanglots mouraient dans ma gorge et mon estomac se nouait d'angoisse. La lumière apparut dans de l'autre côté de la porte et Yeleen toqua, inquiétée par ma précipitation.
— Eh, ça va ?
— Euh, oui oui, mentis-je en contrôlant le ton de ma voix. Je devais faire pipi, tu peux te coucher t'inquiète...
— OK.
Yeleen n'insista pas et la lumière sous la porte s'éteignit.
**
De nouveaux coups retentirent, cette fois plus violemment, comme les cris de ma colocataire.
— Bon Mila ! J'ai besoin de la salle de bain ! On a cours ce matin je te signale !
— Je suis malade...
Allongée à même le sol de la salle de bain, enserrant encore mon sac contre moi, je me redressai. J'avais réussi à m'endormir quelques heures mais réveillée plusieurs fois, prise d'angoisse et de pleurs.
— J'en ai rien à foutre ! Si tu sors pas de là, je vais chercher le RA !
Résignée, je me levais, courbaturée d'avoir passé la nuit au sol et mon corps douloureux à plusieurs endroits. J'avais mal aux côtes quand je respirais, ma pommette et mon cou étaient aussi douloureux et je pouvais toujours sentir le goût métallique du sang dans ma bouche. Je baissai la tête en sortant de la chambre, pensant pouvoir me dérober mais Yeleen lâcha un hoquet de surprise en me voyant et vu sa réaction, ça devait être pire que ce que je croyais.
— Mais qu'est-ce qui t'est arrivé ?
Confrontée à la réalité de mon agression, je me mis à pleurer à nouveau mais aucun mot ne put sortir. Désarmée, Yeleen voulut prévenir le Responsable Administratif mais je le lui interdis. J'acceptai toutefois qu'elle aille chercher Alexy qui créchait généralement dans la chambre de Morgan et de Hyun. Ils revinrent à deux et me découvrirent prostrée sur mon lit. Même si Yeleen avait voulu rester, elle était au moins rassurée par la présence de mon meilleur ami et elle quitta la chambre. Alexy était effaré et il dut retenir ses propres larmes. Dans ses bras, je mis plusieurs minutes à lui expliquer les événements de la veille, la rencontre de Chris et ce qu'il m'avait dit.
— Milla... tu te rends compte des proportions que ça prend cette histoire ? Tu dois aller porter plainte.
— Non...
— Milla, tu ne peux pas les laisser faire, tu as été agressée, à cause des histoires de Nathaniel.
— C'est justement parce qu'il veut les quitter. Ils cherchent à l'intimider à travers moi. Et je n'irai pas voir la police, je ne veux pas lui attirer plus de problèmes encore...
Je me libérai de l'étreinte d'Alexy et me levai pour retirer mon manteau et mon pull dans lequel je mijotais.
— Laisse-moi au moins te conduire à l'infirmerie...
Je lui lançai un regard, je voyais bien ses yeux humides et son air plus qu'inquiet. Je hochai la tête pour lui signifier mon accord.
— Je vais prendre une douche avant.
Il acquiesça et je m'enfermai à nouveau dans la salle de bain. Pour la première fois, je vis mon reflet dans le miroir et j'en fus marquée. Mes cheveux étaient ébouriffés et mes yeux gonflés de mes pleurs et noircis par mon mascara qui avait coulé. La peau de mon cou était rouge et je pouvais presque voir la marque des doigts de Chris, comme un serpent qui s'enroulait autour de sa proie. L'imaginer à nouveau ainsi, prêt à serrer... J'eus un violent frisson. Ma pommette était ouverte sur deux centimètres et du sang tachait mes vêtements. Les chairs étaient mauves et continuaient à foncer et à enfler. Mes doigts appuyèrent dessus et je grimaçai.
Après le triste état des lieux de mon visage, j'entrepris de retirer le reste de mes vêtements. En m'abaissant pour retirer mes chaussettes, la douleur de mes côtes se manifesta. J'avais aussi un hématome large et rose qui s'étendait sur le côté gauche de mon ventre.
Je restais longtemps sous la douche, prise dans le scénario de mon agression et ses conséquences. Je ne voulais pas quitter Nathaniel mais j'avais peur à présent, lui aussi risquait sa vie pour notre histoire. Je ne pouvais m'empêcher de penser que tout ça, c'était de ma faute. Que mon départ de Saint-Amour après le lycée avait poussé Nathaniel vers les Argonautes et que mon retour n'avait fait que précipiter les choses...
Ce fut Alexy qui, après vingt minutes pendant lesquelles l'eau continuait de couler, me ramena à moi. J'enfilai quelque chose de propre avant que l'étudiant en sociologie m'amène à l'infirmerie du Campus. Face à l'infirmier, je n'avais pas dit un mot malgré ses questions. Je faisais la sourde oreille en niant pourtant l'évidence d'une agression. Il m'avait gentiment donné des numéros d'urgence pour les femmes battues et je lui avais promis en échange de revenir vers lui si j'en ressentais le besoin.
Dans le couloir, Alexy faisait toujours les cent pas et son regard mauve se fit triste en me voyant ainsi rafistolée. Il en eut les larmes aux yeux et vint me prendre dans ses bras.
— Tu penses que je pourrais dormir chez tes parents cette nuit ? lui demandai-je. Je dois appeler Clémence pour lui dire que je ne viendrais pas quelques jours. Et Chani pour mes cours...
— Laisse-moi t'aider...
— N'en parle pas à Rosalya s'il te plaît, elle va paniquer.
— C'est normal qu'elle panique, on a peur pour toi.
— Je sais mais je l'aime et je ne pourrais pas l'abandonner à nouveau.
— Tu dois prendre soin de toi Milla !
— Et si c'était Morgan ? lui rétorquai-je.
— Morgan ne ferait rien qui puisse me faire souffrir autant... S'il te plaît, prends tes distances.
Je ne consentis pas franchement mais j'eus un hochement de tête vain.
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[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]Trauma
FanficMilla revient à Saint-Amour après trois ans d'absence. Elle retrouve Rosalya, Alexy et quelques autres amis du lycée. Par contre, elle ne pensait jamais revoir Nathaniel, ni même lui dire pourquoi elle avait été obligée de partir à l'époque.