J'attendais, les yeux braqués sur lui comme si son expression me permettait de deviner ses pensées. Je n'étais pas très à l'aise, non parce que Rayan jugeait mon travail mais surtout parce que je le retrouvais en cachette chez lui alors que nous avions tous les deux été punis pour des liens d'amitié qui ne devraient pas exister entre un enseignant et un élève. J'avais demandé son avis sur les modifications que j'avais apportées après l'entrevue catastrophique de M. Lebarde. J'avais tenté d'y ajouter des suggestions, de bidouiller quelques hypothèses de travail supplémentaires mais j'étais perdue et démoralisée.
— Ses propositions sont intéressantes et elle pourraient vraiment donner une plus-value à ton travail, avoua finalement mon professeur. Mais je le trouve très exigeant, ça tiendrait plus à un travail au niveau d'une thèse.
— Donc, je fais quoi ?
— Essaie de développer cette partie-là, conseilla Rayan. Je vais te donner des pistes...
Mon ancien directeur de mémoire se leva et se dirigea vers son bureau où je le perdis de vue. L'appartement était d'une déco sobre mais moderne avec des matériaux nobles, des tableaux et des oeuvres design. Il avait une bibliothèque sur-mesure qui habillait un mur entier, une cheminée à l'éthanol et très peu de photo. C'était vraiment à son image, élégant et agréable.
Il revint dans le salon avec deux livres, un très petit et une anthologie lourde et volumineuse.
— A part orienter tes lectures et tes recherches, je ne peux pas faire plus mais je pense que ça peut t'aider.
— C'est déjà très gentil de m'aider...
— Tu vas t'en sortir, m'encouragea-t-il.
— Oui, je sais.
— Et concernant ta note aux partiels... tu peux être rassurée, pour ma partie en tout cas.
Rayan eut un sourire mystérieux mais qui ne laissait rien échapper de l'information essentielle : j'avais au moins réussi un partiel.
Soulagée, je quittai son appartement pour rejoindre le Cosy Bear Café.
Sur place, Clémence servait plusieurs clients à une table et Hyun remplissait un plateau de commande. Il faisait frais dehors mais un grand soleil blanc illuminait l'intréieur du café. Une averse de neige, la première de l'année, avait maculé les trottoirs de la ville. Avec ça et la fin des examens, le début d'un nouveau semestre, le café était rempli et les commandes de boissons chaudes et de pain d'épice faisaient planer un air d'hiver. C'était très agréable. Depuis mon rendez-vous du matin avec Rayan, je me sentais soulagée, presque heureuse. Mon mémoire avançait lentement mais sûrement, mes partiels étaient en bonne voie et j'avais un petit-ami depuis deux semaines.
C'était vraiment le pied en tout cas. La première semaine, en raison des partiels, je n'avais pas pu être avec Nathaniel autant que je le voulais mais il ne m'en tenait pas rigueur et venait me chercher après chaque examen pour manger ensemble ou pour simplement m'encourager. Avec le recul, comment mon esprit avait-il accepté le fait de me séparer de lui ?
Je me changeai dans les vestiaires et enfilai ma tenue réglementaire. En sortant des cuisines, je tombai nez-à-nez avec Rosalya qui discutait avec Hyun. Je fis de grands yeux et eus envie de faire demi-tour sur le champ. Mais ça aurait été inutile, Rosalya m'y aurait suivie, que Clémence soit là ne l'aurait pas arrêtée.
— Salut...
— Salut ! Tu n'aurais pas quelque chose à me dire par hasard ? répliqua-t-ele rudement.
— Je sors avec Nathaniel... baragouinai-je dans mon tablier.
— Pardon ?
— Je sors avec Nathaniel ! avouai-je franchement.
— Et pourquoi je ne l'apprends que maintenant ? Et de Morgan en plus !
— Je suis désolée... j'avais un peu peur de ta réaction. Je sais que tu n'aimais pas trop l'idée que je me rapproche de lui...
Un client s'assit au comptoir juste à côté de Rosalya, commanda un café au lait de soja et sortit un journal qu'il déplia. Le visage de mon amie s'était adouci.
— Ça ne voulait pas dire que vous ne deviez plus être ensemble. Je voulais juste pas que tu te remettes avec lui pour les mauvais raisons...
— Qui seraient ?
— La culpabilité de l'avoir quitté, expliqua Rosalya. Je voulais que tu constates par toi-même qu'il avait changé et qu'il n'avait pas de bonnes fréquentations.
Je quittai le comptoir pour ramener une commande tout en jetant des coups d'oeil à Clémence.
— D'ailleurs, comment ça se passe de ce côté-là ? reprit mon amie.
— De quoi tu parles ?
— Tu ne vas pas me dire que tu cautionnes son... choix de carrière ? précisa-t-elle tout bas vis-à-vis de son voisin.
— Bien sûr que non ! Mais pour l'instant, on n'en est pas là... On cherche encore nos marques et après on verra.
— J'espère que vous ne jouez pas à un jeu dangereux...
Clémence revint vers le comptoir en me lançant un regard suspicieux et je m'empressai de vider le lave-vaisselle pour me faire oublier.
— S'il tient à toi, il fera ce qu'il faut et si tu tiens à toi, tu feras aussi ce qu'il faut pour te protéger.
— Oui maman ours...
Mon amie se mit à rire et regarda l'heure. Elle devait rejoindre la faculté et quitta le café, son voisin au journal et au café au lait de soja aussi.
Le Cosy Bear Café se vida de ses clients et de ses employés. Huyn finissait à 17 heures et Clémence, qui détestait faire la fermeture, m'avait abandonnée à la tâche. Je commençai à vider le lave-vaisselle et à ranger la cuisine quand j'entendis quelques coups contre la porte de derrière, celle des fournisseurs. En l'ouvrant, je tombai nez-à-nez avec les cheveux blonds et les yeux dorés de Nathaniel qui entra.
— Mais qu'est-ce que tu fais là ?
— Je ne suis pas venu pour prendre un café, minauda Nathaniel en enserrant ma taille.
Ses lèvres trouvèrent mon cou en me faisant frissonner de plaisir.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je m'ennuie, je m'ennuie de toi...
Il me poussa contre le plan de travail, colla son bassin au mien et ses doigts coquins trouvèrent la peau de mes hanches. Je les sentais pressés mais je ne pouvais pas me laisser aller ainsi à mon travail.
— Non attends, pas ici ! le repoussai-je délicatement.
— Rha je sais mais je deviens fou à attendre. Tu me manques trop.
Je me laissais aller à ses baisers et progressivement, je lâchai des yeux le hublot qui donnait sur la salle. Un client pouvait arriver à chaque instant mais il restait au moins la clochette pour m'avertir. Mais si Clémence débarquait par l'entrée des fournisseurs, je pouvais rendre mon tablier sur-le-champ...
Les lèvres de Nathaniel s'aventuraient toujours et je sentais mon ventre se dilater d'envie. Se chauffer comme ça, dans les cuisines du café, ça avait un petit côté interdit et ça nous excitait mais j'avais dans la bouche un goût de déception. Je posai mes mains sur celles de mon petit-ami pour les retirer de sous-mes vêtements.
— Peut-être qu' être prise en deux-deux suffisait pour les autres mais pour notre nouvelle premiere fois, j'espère un peu plus de considération.
Ma réplique eut l'effet escompté de refroidir les ardeurs de Nathaniel qui se détacha de moi comme s'il venait de recevoir un coup.
— Pourquoi tu me dis ça...
— Pardon, c'est juste que je ne m'attendais pas à ce que tu viennes comme ça, que ça se passe comme ça...
— Je pensais que tu serais contente de me voir...
— C'est pas ça...
On resta tous les deux en ruminant l'événement avec frustration. Au même moment, la cloche de la salle retentit et la masse de cheveux rouges de Castiel apparut. Je le vis chercher des yeux un signe de présence humaine.
— Pas lui... râla Nathaniel dans mon dos.
Sans lui répondre, je sortis de la cuisine, mon petit-ami sur les talons.
— Salut, lançai-je au chanteur après avoir raclé ma gorge.
— Je dérange ? questionna-t-il en posant alternativement ses iris argentés sur Nathaniel et moi. Je ne savais pas que vous rejouiez vos tendres années de lycée.
— On se voit plus tard, me glissa Nathaniel sans lui répondre.
Sa main caressa mon dos mais il ne m'embrassa pas et repartit sous les derniers flocons qui tombaient sur Saint-Amour.
— Je te sers quoi ? demandai-je à Castiel qui s'installa au comptoir.
— Un café, commanda-t-il. Alors si je m'attendais à ça...
Le sourire en coin du leader de Crowstorm suggérait plutôt le fait qu'il ait anticipé bien avant nous la formation de notre couple. Dix minutes plus tôt, son sourire aurait fait écho au mien mais avec ce qu'il venait de se passer à l'instant, je déchantais un peu.
— Y'a déjà de l'eau dans le gaz ?
— On cherche encore nos marques j'imagine, minimisai-je.
— Et concernant son... activité parallèle ?
— Il attend un peu mais j'imagine que, si ça marche entre nous, il quittera les Argonautes.
Je posai la tasse de café noir devant Castiel qui afficha une mine perplexe.
— On ne quitte pas un réseau comme on quitte une association sportive. Ça risque de ne pas se faire en douceur.
— Je m'en fais pas pour ça.
Le chanteur me regarda en secouant la tête, incrédule de la naïveté dont il me pensait faire preuve.
— Milla, tu devrais vraiment faire attention et lui aussi. Ce genre de types, ça ne rigole pas, OK ?
— Alors quoi ? Je l'abandonne encore une fois ?
— J'ai pas dit ça mais...
— Arrête Castiel, t'as jamais tenu une relation sérieuse plus de trois minutes alors me donne pas de conseils tu veux...
Je me retournai pour astiquer la machine à café dans un geste d'humeur. J'entendis les pieds du tabouret racler le sol puis la porte du café s'ouvrit et se fermer, accompagnée par le bruit de la clochette. Il était parti et je me mis à jurer.
**
Nathaniel quitta son appartement avec un poids au coeur. Deux jours qu'il n'avait pas eu de nouvelle de Milla. Lui-même avait attendu 24 heures avant de lui envoyer un message auquel elle n'avait pas répondu et il se sentait con. Il avait peut-être merdé de vouloir la chauffer dans les cuisines de son lieu de travail mais il avait le sentiment de revivre et il voulait être avec elle pour ressentir ensemble son élan de vie. Sauf que là, Milla ne lui répondait pas et il se demandait pourquoi... Est-ce que cela signifiait déjà la fin de quelque chose alors que ça ne faisait que deux semaines qu'ils sortaient ensemble ? Il fallait qu'il sache, qu'il se confronte à elle, à leur couple, quitte à voir ses espoirs brisés... Ce ne serait pas la première fois.
Les mains dans les poches, son nez dans le col de sa grosse veste verte, il tentait de conserver le peu de chaleur que le froid de janvier volait. Le soleil était tombé sur Saint-Amour et les lumières artificielles des lampadaires offraient une luminosité faible et triste à l'image de son humeur. L'esprit plongé dans ses pensées, Nathaniel eut l'impression à plusieurs reprises d'entendre des pas derrière lui mais, d'un coup d'œil au dessus de son épaule, il ne vit aucun signe de vie. Toutefois, la mauvaise impression d'être suivi ne le quittait pas et son instinct le poussait à en avoir le coeur net. Les recoins du parc offraient de nombreuses cachettes et l'obscurité jouait en sa faveur. Il tourna à plusieurs reprises et se dissimula derrière le lierre d'une arche. Une silhouette s'arrêta à un mètre de lui, il respirait vite comme s'il venait de courir et son regard balayait le parc. Malgré la capuche qui recouvrait son crâne, Nathaniel reconnut immédiatement la silhouette de Chris. Mauvais, il sortit de l'ombre et acosta son collègue qui se retourna vivement.
— Je peux savoir ce que tu es en train de foutre là ? questionna l'ancien étudiant d'un ton acide.
— Je fais un footing, répondit chris Chris sans même chercher à porter de crédit à son mensonge.
— Pouquoi tu me suis ? renchérit Nathaniel.
— Le boss m'a juste demandé de garder un oeil sur toi. Il veut être sûr que ta mise à distance du réseau ne cache pas quelque chose...
— Comme quoi ?
— Où tu vas à cette heure ? renchérit le bras droit des Argonautes.
— Ça ne te regarde pas !
— J'espère que tu ne vas pas voir les flics, lâcha enfin Chris au summum de sa menace.
— T'es taré ! J'irai pas trahir le réseau !
— Si tu le dis...
— Je t'interdis de me suivre et encore plus de te mêler de ma vie privée !
En disant cela, Nathaniel fit un pas vers son collègue, le dominant d'une demi-tête mais son regard noir et intimidant ne fit pas d'effet sur Chris qui lui répondit effrontement :
— Ok, je te crois, mais fais attention à toi et n'oublie pas que tu nous appartiens...
Le dealer recula de quelques pas, sans lâcher Nathaniel des yeux puis quitta le parc à petites foulées. L'ancien étudiant en lettres resta pantois pendant quelques instants avant que le froid ne le fasse frissonner. Il se remit en marche pour rejoindre le Campus. Ses mâchoires étaient crispées et ses poings serrés. Il détestait la trouille qui commençait à germer dans son estomac, cette peur de ne jamais réussir à se défaire de la toile des Argonautes. Il se détendit un peu en entrant dans la résidence, il n'était pas encore prêt à quitter le réseau de toute façon, cela dépendait de Milla... Il repensa à elle, à ce qu'il s'était passé deux jours plus tôt au café et à son silence radio malgré les messages. Comment allait-elle l'accueillir ? Que dirait-elle ?
Nathaniel se mordit la lèvre et toqua à la porte de la chambre de sa petite-amie. L'étudiante ouvrit la porte et parut tout aussi embarrassée que lui de se trouver face à face.
— Salut, débuta Nathaniel.
— Salut... Entre.
Milla s'effaça pour le laisser entrer. Il était bien 20 heures en semaine et sa colocataire était absente. Nathaniel resta crispé, les poings dans ses poches ne faisaient que se serrer et se desserrer.
— Je t'ai envoyé un message, reprit-il.
— Le chargeur de mon téléphone m'a lâchée hier et je n'ai pas encore pu en acheter un autre.
Nathaniel ne doutait pas que c'était la vérité mais avec tous les étudiants dans la résidence, elle aurait pu trouver quelqu'un pour la dépanner...
— Tu aurais pu venir me voir à l'appart...
— J'avoue que je ne sais pas ce que je t'aurais dit.
— Ça ne va pas ?
Nathaniel questionnait moins l'état de Milla que leur jeune couple. Les mots sortaient de sa bouche pâteuse, pesants, comme s'ils appréhendaient une réponse qui ne lui plairait pas. Il avait la désagréable impression de revivre une scène de leur histoire, la scène de leur première rupture.
— Si, ça va...
— Dis-moi...
Il s'approcha de Milla qui lui tourna le dos, ses bras l'entourèrent avec beaucoup d'hésitation et de délicatesse, de peur d'être rejeté. Elle se laissa faire et même se retourna pour l'enlacer à son tour.
— Je suis désolée pour mardi.
— Je me suis laissé emporter. Je ne voulais pas te manquer de respect. Tu n'es pas comme les autres.
— Crois pas que je n'en ai pas envie mais à mon boulot, ce n'était pas le meilleur endroit.
— Je m'en rends compte à présent.
La jeune femme releva la tête vers lui et un petit sourire amusa ses lèvres. Elle poussa sur ses pieds et elle l'embrassa d'un smack léger qui fit retourner son sourire à Nathaniel.
Il se pencha à son tour pour l'embrasser à plusieurs reprises à nouveau requinqué par leur réconciliation. Il caressa sa joue et toutes ses inquiétudes resurgirent.
— J'ai pas envie de te perdre, lui avoua-t-il.
— Pourquoi tu me perdrais ? Cette fois, je ne compte pas partir...
Le jeune homme sourit mais ce n'était pas à ça qu'il faisait allusion. Il ne savait pas dire s'il tombait amoureux une nouvelle fois ou si les sentiments qu'il avait tenté d'enterrer reflorissaient en lui. Tous ses plans étaient chamboulés et il ne savait pas par quel bout entreprendre le chantier de sa vie.
— Est-ce que tu as peur des Argonautes ?
— Je suis coincé mais j'ai quand même une issue de secours.
— De quoi tu parles ?
Nathaniel attira Milla sur le lit et ils s'allongèrent l'un contre l'autre.
— Je n'ai pas vraiment eu le choix d'intégrer les Argonautes. J'étais sans doute une proie facile et je me suis peut-être laissé entraîner trop facilement.
Nathaniel ne cherchait pas à se justifier pour ses actes ou pour ses délits. Il n'avait jamais expliqué à Milla pourquoi et comment il était venu à dealer. Alors, et pour la première fois de sa vie, il lui avoua toute la vérité. Il garda des détails pour lui parce qu'elle n'avait pas besoin de tout savoir mais elle devait comprendre comment il en était arrivé là et aussi qu'il n'avait pas été passif.
— Pendant presque deux ans, j'ai pris un maximum de notes dans un carnet.
— Un carnet ?
— Oui, des noms de personnes, les lieux de stockage, les plaques d'immatriculation, les quantités achetées et même les prix des marchandises.
— Pourquoi tu as arrêté de le remplir ?
Nathaniel haussa les épaules, il ne dévoila pas la raison qui l'avait poussé à arrêter, seulement la conclusion.
— A quoi bon, j'étais devenu comme eux. Je l'ai caché en espérant l'oublier mais maintenant, c'est ma clé pour sortir de ce merdier.
— Et qu'est-ce que tu vas en faire exactement ?
— Je ne sais pas trop encore. Je connais peut-être un flic qui pourrait m'aider.
Les doigts de l'ancien étudiant en lettres jouaient avec les cheveux de Milla, un air songeur. Le lieutenant Thomas pourrait le sortir de là. A moins que menacer Jason puisse suffir, sans les dénoncer. Il ne pensait pas que cela soit possible mais il se trouvait las de réfléchir. Milla dut sentir son humeur et vint se positionner au-dessus de lui. Elle prit son visage en coupe entre ses mains et le força à la regarder droit dans les yeux.
— Peu importe comment tu prévois de faire, je serai avec toi. Je ne t'abandonne pas. Promets-moi juste de faire attention.
— Je te promets.
Un sourire apparut sur ses lèvres de Nathaniel qui disparut aussitôt que Milla posa les siennes dessus. Elle se colla un peu plus à lui et il sentit ses joues s'échauffer, comme son corps et son esprit. Il posa prudemment ses mains dans son dos pour trouver l'ourlet de son pull et y glisser ses doigts en-dessous. Milla ne le repoussa pas et elle entreprit de lui faire retirer sa veste. Nathaniel quitta le contact de sa peau durant quelques secondes pour se délester d'une couche de vêtements et, assoiffé, il y retourna immédiatement après. Rapidement, il se sentit à l'étroit et lorsque sa bouche glissa dans le cou de Milla, il entendit ses soupirs à son oreille. Il voulut soulever son pull pour explorer plus librement sa poitrine et son ventre mais une clé dans la serrure avorta toute tentative et tous désirs. La porte s'ouvrit sur Yeleen, la colocataire de Milla. Même si la jeune femme se retira de sa position, le rouge marquait leurs joues comme l'embarras dans le regard fuyant.
— Salut.
Yeleen comprit bien qu'elle avait interrompu quelque chose mais par politesse et pudeur, elle ne releva pas et agit le plus naturellement possible.
— Je-je vais y aller, reprit Nathaniel en quittant le lit après un instant à retrouver ses esprits.
— Je te raccompagne.
Milla le suivit jusque dans le couloir désert, elle referma la porte de la chambre derrière et s'y adossa en pinçant les lèvres pour s'empêcher de pouffer.
— Ma chambre double, ce n'était pas non plus la meilleure idée, s'amusa-t-elle.
— Tu verras, chez moi, ce n'est pas du tout fréquenté, on sera au calme...
— J'espère bien.
Mutine, Milla s'approcha de Nathaniel qui, avec assurance, enserra sa taille et la colla contre lui. Ils jouaient l'un et l'autre du bout des lèvres.
— On se voit demain ? grogna-t-il d'impatience.
— Oui, je finis à 16 heures.
— Je tournerai en rond toute la journée à t'attendre.
— Ça vaudra le coup, je te promets...
Milla lui murmura quelques mots qui firent plisser les yeux de Nathaniel du frisson de l'envie.
**
Très excitée par cette journée, je m'étais levée de bonne heure et de bonne humeur. Yeleen m'avait bien charriée lorsque Nathaniel était parti la veille au soir. J'avais ri comme une adolescente amoureuse.
J'avais hâte d'être en fin de journée pour passer avec Nathaniel notre première nuit ensemble. Rien que d'y penser, je ressentais un frisson jusqu'à la pointe de mes cheveux. J'allais devoir attendre quatre heures au Cosy Bear Café puis trois heures de cours avant enfin d'aller pouvoir le rejoindre.
Au café, Clémence était présente pour l'ouverture, elle devait aller voir des fournisseurs ce matin et elle serait avec Hyun une partie de l'après-midi. Elle venait de partir quand un client entra et s'installa au comptoir. Il venait depuis environ quinze jours et prenait un café avec du lait de soja. gé d'une trentaine d'années, il avait des cheveux noirs assez courts, un nez droit et une paire de lunettes à épaisse monture noire. A l'effet de ses yeux, on aurait dit des loupes.
— Bonjour Milla, c'est ça ?
— Bonjour, oui c'est bien ça. Comme d'habitude ? lui répondis-je avec entrain.
— Oui, merci, je vai prendre un croissant bicolore à la framboise aussi.
— Tout de suite.
Comme toujours, il était accompagné de son journal du jour qu'il lisait silencieusement. Pourtant, après le rush de 10 heures, il délaissa sa lecture et se sentit d'humeur bavarde.
— Tu es étudiante à Antéros ? questionna-t-il pendant que j'essuyais la vaisselle.
— Euh oui, je suis en Master 1 en Histoire de l'Art.
— Ah, c'est intéressant !
Je fis quelques aller-retour entre la salle et les cuisines pour préparer le snacking du midi. Une fois revenue, le client m'interpella à nouveau.
— Je pense que ton téléphone a vibré.
— Oh, merci.
J'évitais de le prendre à l'intérieur de mon tablier de peur de le cogner ou d'être constamment collée à lui. Il était dans un recoin, près des serviettes et des pailles, caché pour que Clémence ne le trouve pas. C'était un message de Nathaniel et les quelques mots écrits me firent sourire tendrement.
— Ah ça, c'est le message d'un amoureux, commenta encore le client qui zieutait au-dessus de son journal.
— Oui mais ça ne fait pas longtemps qu'on est ensemble, lui répondis-je spontanément.
— J'imagine qu'il faut du tems pour trouver ses marques. Il est aussi étudiant à Antéros ?
— Non, non. Il... est sans emploi fixe pour le moment. Et vous, vous êtes du coin ?
Je ne me sentais pas très à l'aise de parler avec cet homme mais ça faisait aussi partie du job de fidéliser le client. Et ça marchait parce qu'il commanda un deuxième café.
— Je suis dans la vente de produits pharmaceutiques. Ça fait longtemps que vous vous connaissez ? questionna-t-il à nouveau.
Je jetai des coups d'oeil nerveux à la porte d'entrée mais personne ne vint me sauver des questions indiscrètes du client. Je n'avais pas trop le choix de répondre pour ne pas paraître impolie.
— Eh bien, on se connaît depuis le lycée où... on était déjà assez proches, répondis-je en restant volontairement floue. Je suis partie pendant trois ans parce que mon père avait des soucis de santé mais je voulais faire mon Master ici à Antéros et on s'est retrouvés.
Le regard de l'homme au journal se plissa légèrement et je sentis un malaise naissant. Il hocha la tête qui conclut finalement la conversation.
— C'est du sérieux du coup, c'est bien...
Je lui fis un sourire et eus presque du soulagement à le voir vider sa tasse avant de se lever. Il sortit un billet de son porte-feuille.
— Tu peux garder la monnaie. Prends soin de toi, Milla...
— Merci, bonne journée.
Il ne répondit pas et fit sonner la clochette du café en passant la porte. Il persistait en moi une impression de gêne mais je fus incapable d'en dire plus. Après un dernier coup d'oeil à l'homme qui, de l'autre côté de la vitrine, venait de sortir un téléphone qu'il apporta à son oreille, je poursuivis mes tâches habituelles.
La fin de mon service passa à peu près rapidement et ce fut au pas de courses que je retrouvais le Campus et Chani qui m'attendait devant l'amphi. Le cours de M. Lebarde fut encore plus éprouvant que d'habitude alors que je regardais les minutes défiler.
— Pourquoi tu es aussi agitée ? me questionna mon amie avec un sourire.
— De quoi tu parles ?
— Tu remues comme une poupée vaudou qu'on secoue, ajouta-t-elle en se moquant.
— Après le cours, je vais chez Nathaniel.
— Oh, je vois !
M. Lebarde enchaîna sur un autre point et, dans le silence studieux de l'amphi, les touches des claviers résonnèrent bruyamment.
— Tu n'as pas peur que ça coince avec lui à un moment ? reprit Chani en prenant des pincettes.
— Je ne vois pas pourquoi personne ne se réjouit de nous voir heureux... Tout le monde me parle de ce trafic ! C'est une erreur de jeunesse et il va la réparer... Pas de quoi en faire tout un plat ! soupirai-je en levant les yeux au plafond.
Alexy, Rosalya, Castiel et maintenant Chani... Je commençais à en avoir marre que mes amis ne voient que ce côté de notre relation et non pas le fait que nous étions amoureux.
— On veut ton bien, on est tes amis...
— Je sais.
Le cours prit fin et avec seulement quelques mots échangés avec Chani, je rejoignis ma chambre à la résidence. J'y avais préparé un sac et j'en profitai pour me rafraîchir avant de partir.
Il était presque 17 heures quand j'arrivais chez Nathaniel. Il m'ouvrit avec un sourire amusé et me fit entrer. Je remarquais qu'il avait passé la journée à faire du ménage. Même si ce n'était pourtant ni sale ni bordélique.
— Ç'a été ton cours ? questionna Nathaniel en m'embrassant.
— Un peu long, soupirai-je.
Je n'avais pas envie d'évoquer les paroles de Chani ni les remarques de mes autres amis. Je ne voulais pas gâcher la soirée à me torturer l'esprit sur ce point. Je savais que je n'étais pas objective, j'avais sûrement des oeillères concernant Nathaniel mais ce n'était pas non plus une organisation criminelle internationale ! Je ne doutais pas qu'il arriverait à quitter les Argonautes sans trop de problèmes. C'était quelqu'un d'intelligent et de très précautionneux.
— Tu es sûre que ça va toi ? remarqua-t-il.
— Oui, oui, je suis juste un peu fatiguée.
— Tu veux regarder quelque chose ?
— Pourquoi pas.
On se mit d'accord sur un film et on s'installa en face de la télé dans le lit à défaut du canapé. Pas de chance, notre trouvaille cinématographique était vraiment pas terrible et mon ennui augmenta en parallèle de mes envies créées par la proximité avec Nathaniel. Ses doigts, qui jouaient avec mes cheveux, avaient glissé jusqu'à ma clavicule et je pouvais sentir leur frustration autour de la bretelle de mon soutien-gorge. Nathaniel émit un bâillement qui me confirma aussi son état d'esprit.
— C'est moi ou c'est un peu nul... commentai-je au-dessus de la musique d'une énième scène chiante.
— C'est nul... La bande annonce avait l'air intéressante pourtant.
— On arrête ?
— Si tu veux...
Nathaniel éteignit la télé et je pouvais voir qu'il retenait un sourire amusé.
— Est-ce que tu as une idée de ce qu'on pourrait faire maintenant ? questionnai-je en me tournant vers lui.
— Oh... j'ai peut-être bien une idée en tête.
— Vraiment ? Et pourquoi tu ne m'en ferais pas part...
— Si tu souhaites vraiment...
Nathaniel fit jouer ses doigts sur mon épaule pour la dégager de la bretelle de mon soutien-gorge. Une fois mise à nue, il embrassa ma peau.
— Enfin... reprit-il, si ce genre d'activité à deux te tente.
— Je ne me voyais pas débuter ou finir cette soirée autrement que comme ça... lui répondis-je d'un haussement de sourcils.
Il se plaça au-dessus de moi, j'entourai son cou de mes bras et mes lèvres trouvèrent les siennes. Ce fut comme une redécouverte d'un jeu après avoir gagné en expérience. C'était meilleur, plus décomplexé sans être embarrassés de nos doutes et nos complexes adolescents. Nathaniel était toutefois toujours aussi tendre que dans mes souvenirs mais avec en plus de maturité et doté d'un savoir-faire que je pris plaisir à découvrir.
Il était allongé dans le lit, les bras derrière la tête à regarder le plafond, les yeux grands ouverts et les iris brillants sous la lumière de la lampe de chevet. Je tirai à moi la couverture et je m'accoudai sur le côté, ma tête soutenue par la paume de ma main.
— A quoi tu penses ? l'interrogeai-je d'une voix douce.
Nathaniel tourna la tête vers moi comme s'il ne m'avait pas encore vue et il secoua la tête.
— Bof, à tout, à rien...
Je me blottis contre son torse nu et ma tête trouva son pectoral très confortable.
— Mais encore ...?
— Au temps qu'on a perdu à ne pas être ensemble puis après je me dis que, si on était restés ensemble après le lycée, il y aurait eu autre chose qui aurait pu nous séparer pour de bon.
— Ça ne sert à rien de ressasser le passé, ni d'imaginer comment on aurait pu vivre... Le plus important pour moi, c'est d'être ici avec toi et de tout faire pour que rien ne nous sépare à nouveau.
Nathaniel se redressa, ce qui m'obligea à en faire de même. Son regard doré semblait décontenancé par ma remarque et, moi-même, j'étais surprise de sa réaction.
— Tu le penses vraiment ? questionna-t-il.
— Bien sûr... J'ai dû étouffer mes sentiments pour toi à une époque mais je me rends compte qu'ils étaient toujours présents et qu'ils m'empêchent de vivre autrement qu'avec toi.
Nathaniel resta silencieux à me fixer avec ce regard pénétrant. Puis il sourit tendrement et m'entoura de ses bras.
— Je n'en reviens pas d'avoir réussi à oublier à quel point je t'aimais, à quel point je t'aime... murmura-t-il tout aussi décontenancé que moi.
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[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]Trauma
FanficMilla revient à Saint-Amour après trois ans d'absence. Elle retrouve Rosalya, Alexy et quelques autres amis du lycée. Par contre, elle ne pensait jamais revoir Nathaniel, ni même lui dire pourquoi elle avait été obligée de partir à l'époque.