[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]Trauma

Chapitre Vingt-Trois - Rebond

Castiel ruminait sa mauvaise humeur sans prêter attention au morceau instrumental que le groupe écoutait.

— Ah, c'est sympa ça ! s'enthousiasma Gabin.
— Non, c'est de la merde, le coupa Castiel en secouant la tête.

Les trois camarades haussèrent les sourcils mais n'argumentèrent pas. Ils savaient que, quand leur leader était de cette humeur, il valait mieux ne pas renchérir et reprendre le lendemain. Sauf que ça faisait une semaine maintenant que les autres membres de Crowstorm devaient supporter l'heure de Castiel et ça commençait à les agacer superbement.

— Bon, écoute Cas', y'en a marre que tu nous démontes comme ça, se rebiffa Zack. A mon avis, c'est pas nous le problème alors va le régler avec les personnes concernées.

Léo et Gabin jetèrent un regard surpris et reconnaissant au second guitariste du groupe. Ils craignaient parfois les coups de sang de leur chanteur mais ils ne pouvaient pas toujours subir sa colère, surtout qu'elle n'avait aucun rapport avec le groupe.

Castiel pointait sur son ami un regard chauffé à blanc mais ne répondit pas, se sachant en tort.

Depuis son audition au commissariat la semaine précédente, aucune information n'avait filtré dans la presse concernant sa participation à l'agression de Chris. Sa réputation et sa carrière étaient sauves mais sa conscience pesait plus lourd que son soulagement.

— J'me casse.

Il lâcha ces mots dans un soupir, se leva et quitta la pièce en claquant la porte derrière lui, indifférent à ce que pouvaient penser les autres.
Il ruminait les mêmes pensées en boucle. Il avait participé à faire enfermer Nathaniel qui était innocent. Milla le croyait responsable et en plus, il était le seul à connaître la vérité, sauf que voilà, il avait promis de ne rien lui dire pour la protéger.

Il savait qu'il devait faire quelque chose, rester inactif ne ferait que le ronger un peu plus chaque jour. Mais vers qui se tourner ? Ses seuls amis étaient Léo, Zack et Gabin mais il ne se voyait pas les impliquer dans cette histoire. Concernant Alexy et Rosalya, ils devaient penser que Nathaniel était coupable, alors ils ne chercheraient pas à le disculper.

Ses pas, comme ses réflexions, le menèrent au Campus d'Antéros et à la Résidence des étudiants. Il s'attendait déjà à être envoyé sur les roses par Milla mais il ne pouvait pas l'ignorer et ignorer sa souffrance. Toutefois, il fut étonné de tomber sur sa colocataire, dont il avait oublié le nom.

— Salut, je cherche Milla, elle travaille au Cosy Bear Café aujourd'hui ?
— Euh non, elle est partie tout à l'heure.
— Partie ? Où ça ?
— Eh bien, elle est retournée chez ses parents. Elle devrait bientôt prendre son train, lui annonça-t-elle en vérifiant l'heure sur sa montre.
— Merde...

Sans un mot pour elle, Castiel tourna les talons et quitta le campus au pas de course. À la même allure, il rejoignit la gare en espérant que ce ne soit pas trop tard. Si Milla rentrait chez elle, cela voulait dire qu'elle allait tout abandonner : ses études, son boulot, renonçant à son avenir malgré tous les sacrifices qu'elle avait déjà faits pour en arriver là. Et ça aussi, ce serait sa faute.

À l'approche de la gare, Castiel vit la forme longiligne d'un train arriver en voie et il accéléra encore sa course. Sur le quai, une dizaine de personnes était en train d'embarquer et parmi elle, le chanteur repéra les cheveux blonds de son amie.

— Milla ! Milla, attends !

L'étudiante avait déjà déposé sa valise sur le seuil du train et avait un pied sur la marche.

— Qu'est-ce que tu fais là ? T'en as pas assez fait tu crois ?
— Non, attends, ne pars pas comme ça, on doit parler !
— Je n'ai plus rien à te dire. Au revoir Castiel.

Convaincu, ce dernier prit la valise et la sortit de la rame par la force.

— Eh mais qu'est-ce que tu fais ?! s'exclama Milla fâchée.

Un coup de sifflet retentit et le contrôleur approchait dans leur direction, sentant l'embrouille.

— C'est urgent, il faut qu'on parle...
— Mais et mon train...
— Je te rembourserai ton ticket, je t'en payerai un autre si vraiment tu veux rentrer mais avant on doit parler. S'il te plaît.

Castiel ne sut dire si c'était la proposition financière ou le ton suppliant de sa réplique mais finalement, Milla céda. Elle descendit du train et suivit Castiel qui gardait sa lourde valise en otage.

— On va chez moi, on sera mieux, décida-t-il.

**

C'était la première fois que je mettais les pieds dans l'appartement de Castiel. C'était loin de ressembler à la maison pavillonnaire où il vivait avec ses parents à l'époque du lycée. C'état un grand loft tout ouvert avec des meubles bas, des verrières et une déco design industrielle et rock. Crowstorm devait être beaucoup plus rentable que ce que j'imaginais. Et grand bien m'en fasse.
J'avais trouvé une place sur un fauteuil, ma valise dans l'entrée, prête à repartir si la conversation était stérile ou pire, désolante. Castiel revint avec deux canettes de soda et m'en tendit une.

— Comment tu te sens ?
— Pourquoi on est là ?
— Comment tu te sens ? relança-t-il.
— Aussi bien qu'on puisse l'imaginer. J'avais le choix de monter dans le train ou de m'allonger sur les rails, répondis-je cynique. Mais mes parents ont déjà vécu assez de malheur.

Ma réplique avait laissé Castiel muet mais pas indifférent. Je voyais le tourment dans son regard et son visage creusé. Le fait d'avoir participé à l'arrestation de Nathaniel devait peser sur sa conscience.

— J'ai-J'ai promis à Nathaniel de tout faire pour te protéger.
— Avant ou après que tu lui aies dit que tu l'avais trahi ?
— Milla, arrête !

Enervée, je me levai prête à repartir mais Castiel m'en empêcha.

— Putain, je suis sérieux ! Les Argonautes ont fait tomber Nath' et toi aussi tu es en danger !
— De quoi tu parles ?

Castiel me regarda de ses yeux argentés et perçants qui me firent détourner la tête. Je me rassis et lui laissai la possibilité de s'expliquer.

— J'ai pu voir Nathaniel avant qu'il ne soit transféré. Il m'a dit toute la vérité. Mais si je te raconte tout, je sais que tu vas tenter de le libérer et ça risque de t'attirer de gros ennuis.
— Je suis assez grande pour me protéger, targuai-je arrogante.
— Non, cest faux et tu le sais, tu l'as déjà vécu. Ces types ont tué Chris et ont mis ça sur le dos de Nathaniel. Ils agissent sans aucune impunité. Tu pourrais avoir un accident ou ils pourraient faire passer ta mort pour un suicide...

Je savais qu'il avait raison, la visite de Chris dans la ruelle me laissait encore un souvenir terrifiant et ce n'était juste une simple mise en garde.

— Mais si on ne fait rien, Nathaniel va tomber pour un crime qu'il n'a pas commis, reprit le chanteur.
— Si c'est ça, il est aussi en danger en prison...
— J'ai pas pu avoir d'infos mais je pense que je peux demander à mon avocat de le représenter.
— Mais Nath' n'a pas les moyens de payer.
— Je le ferai, assura Castiel.

Je hochai la tête, reconnaissante de ce geste. Le chanteur était le seul qui pouvait financer un tel coût mais il n'était pas obligé...

— Qu'est-ce qu'il t'a dit d'autre ?
— Il a parlé directement avec Jason.
— Vraiment ?
— Oui, c'est le flic qu'il devait voir pour dénoncer le réseau...

J'en restai sidérée. Jason était flic. C'était pour ça qu'il avait si facile de faire tomber Nathaniel.

— J'en reviens pas... Il n'avait aucune chance depuis le début, réalisai-je.

Il eut un silence dans l'appartement, nous méditions tous les deux ses informations, ce qu'elles entrainaient pour Nathaniel comme pour nous.

— On va devoir jouer serrer. Je ne sais même pas pour quoi commencer...
— Ma priorité, c'est ta protection, avoua Castiel. Tu resteras ici jusqu'à ce que tout soit réglé. Il faut que tout le monde pense que tu es retournée chez tes parents. Rosa, Alexy et tous les autres.

Je serrai les dents, il avait raison mais j'avais des examens dans deux mois et la perspective d'abandonner mes études n'était plus au programme. Je savais que Chani pourrait me passer ses cours même si ça risquait de ne pas suffrir. Concernant mon mémoire, Monsieur Lebarde n'était pas porté sur l'informatique, ça risquait de poser plus de souci. Concernant Alexy et Rosalya, il était inutile de les inquiéter à l'approche des examens. Ils étaient sûrement plus rassurés de me croire chez mes parents.
Rester enfermée 24 heures sur 24 chez Castiel par contre...

— Mais et toi, ça ne te dérange pas que je reste ?
— Bof non, répondit-il en haussant les épaules. Par contre, pas moyen que tu prennes le lit, le canap' est assez confortable.
— Pas de souci, asquieçai-je en souriant.
— Bon, sinon par quoi on commence ? reprit le chanteur.
— Essaie de voir ton avocat et de mon côté, je pense chercher son fameux carnet.
— Tu sais où il est ? Ou bien où il peut être ?
— Non, j'en ai aucune idée... avouai-je finalement.

Castiel resta muet un instant, les sourcils froncés à l'évocation d'un souvenir.

— Il m'avait dit une fois « Ça a commencé avec elle » en parlant de toi, je ne sais pas si ça t'aide...
— Ça a commencé avec moi ? Il faudrait que je puisse avoir accès à son appartement pour commencer.
— Ambre doit avoir une clef de chez lui.
— Comment la récupérer ? Elle est partie pendant un mois.
— Je... connais assez bien l'une de ses coloc, Hannah.

En évitant mon regard, Castiel se gratta l'arrière du crâne, supposant qu'ils avaient passé quelques moments intimes ensemble. Ça ne m'intéressait pas de le savoir, mais au moins, cela pouvait régler un premier problème.

— Quand tu comptes lui rendre visite ?
— Je lui envoie un message mais après avoir appelé mon avocat.

Castiel sortait déjà son téléphone pour s'éclipser vers la cuisine quand je l'interpelai une dernière fois.

— Cas'... Merci.


Le chanteur me renvoya un rictus, entre le sourire et la grimace et disparut pour joindre son avocat.

**

L'immeuble de Nathaniel était calme. Une dizaine de jours après le meurtre de Chris, on n'aurait pu croire qu'un tel crime avait été commis. Les scellés sur la porte de l'appartement avaient été retirés et l'accès était libre.

Grâce à la clef dérobée par Castiel chez Ambre la veille, je pus entrer sans difficulté. Le logement était sens dessus dessous. Le matelas portait encore des stigmates noirs sang séché et toutes les affaires avaient été retournés à la recherche d'éléments compromettants. Je ne savais pas par où commencer...
Retrouvant un peu de courage malgré le capharnaum, j'entrepris de ramasser tous les livres éparpillés au sol, un à un, je les ouvris et feuilletai rapidement mais je ne trouvai rien.
Suivirent les armoires, les vêtements et mêmes jusqu'au fond des chaussures, entre les piles de draps et de serviettes dans la salle de bain. L'ordinateur avait été embarqué, le bureau savamment retourné.

Puis un doute m'envahit, pire, une sourde terreur : Et si Jason/le lieutenant Grégoire Thomas était déjà passé par là ? Et s'il avait trouvé le carnet avant moi ? Nathaniel avait été mis à l'isolement pour sa sécurit et l'avocat de Castiel avait tout fait pour obtenir des mesures de sécurité supplémentaires mais le grand méchant de l'histoire était flic. Il devait avec plus d'un tour dans son sac et il possédait des passe-droits que d'autres n'avaient pas...

Je calmai mon angoisse, il y avait peu de chance que Nathaniel ait caché le carnet ici, chez sa soeur ou ses parents pour ne pas les impliquer.
Mon regard se posa sur quelques photos dans une boîte, elle même retournée dans un tiroir ouvert.

Me penchant dessus, je découvris une photo récente de nous et dont je me souvins, à la fête foraine. Je fus touchée de voir qu'il l'avait imprimée. En fouillant, j'en trouvai d'autres, plus anciennes qui dataient du lycée. Lui n'avait rien jeté, il avait préféré tout mettre de coté et je ressentis un peu de culpabilité d'avoir tout brûlé de mon côté. Je les observai une à une un sourire tendre aux lèvres, de la plus récente à la plus ancienne. La première photo qu'on avait faite était le lendemain de notre mise en couple dans la cour du lycée. C'était là que tout avait commencé, nous étions si jeunes. Je rangeai tous les clichés dans la boîte puis dans le tiroir que je refermai. Prise d'un doute, je ressortis la boîte et repris la dernière photo. Là où tout avait commencé... Le lycée.
Nathaniel avait caché son carnet au lycée !

**

— Bonjour Milla !
— Salut Nina, tu vas bien ?

La lycéenne me fit la bise et m'invita à passer la grille du lycée. Elle restait la même jeune fille blonde et enthousiaste de mon souvenir. Je l'avais revue à plusieurs occasions lorsqu'elle venait boire un smoothie au Cosy Bear Café avec quelques amis du lycée. Je la trouvais plus mature mais toujours avec cette touche de folie joyeuse qui la caractérisait.

— J'ai pas bien compris ton message, me fit-elle alors que nous pénétrons dans le bureau des délégués.

Je mis quelques secondes à lui répondre. Les lieux me plongeaient dans mes souvenirs d'adolescente et l'ancienne vision d'Amoris laissait place à la nouvelle. L'établissement avait subi un rafraîchissement et une modernisation quelques années plus tôt. Même si la déco avait changé, les éléments incontournables du lycée eux, restaient les mêmes.

— Milla ? Ohé ?
— Oui, oui, pardon. Je cherche quelque chose au sein de l'établissement.
— Et qu'est-ce que c'est ?
— Je ne sais pas... me désolai-je.

Je vis le visage de Nina se froncer de circonspection et mon oeil fut attiré par une édition vieillissante de Harry Potter.

— C'est comme un Horcrux. Je sais que c'est un carnet et je suis persuadée qu'il est cachée ici mais je n'en sais pas plus.
— Hm, je vois. Dans un lycée ? Bonne cachette.

Nina vérifia l'heure sur son téléphone et fit la moue.

— J'ai une heure à te consacrer, après je reprends les cours. En tant que délégué, j'ai quelques libertés mais je n'ai pas le droit de te lâcher.
— Pas de souci.
— Par où on commence ?
— Eh bien pourquoi pas par ici ? Nathaniel était délégué.

Nina se figea à l'évocation du prénom de mon petit ami.

— Tu es dans le camp de Voldemort ou de Harry ?
— Plutôt Sirius Black. Arrêtons la comparaison, tu veux ? Nath' est innocent et ce carnet peut m'aider à le prouver.

La lycéenne resta sceptique mais elle accepta toutefois de me laisser fouiller son bureau. Ma première hypothèse releva infructueuse. On enchaina avec son ancien casier dans le couloir principal puis le vestiaire du gymnase. C'était là que j'avais découvert fortuitement son secret : la maltraitance de son père.

— Rien, rien, rien.

Je commençai à désespérer et rien d'autre ne me venait en tête.

— Je suis désolée Milla, tu peux revenir demain aprèm si tu veux, j'ai une heure de trou à 14 heures.
— J- Je verrai.. Merci Nina.

Elle me raccompagna jusqu'au couloir principal en passant devant le CDI. Au même instant, un groupe d'une demi-douzaine d'élèves sortit de la documentation. Mon regard fut attiré par l'intérieur de la salle dont je me souvenais lumineuse.

— Attends... arrêtai-je ma guide.

Une fois les lycéens partis, je poussais la porte, moi même poussée par une intuition. Lentement je pénétrai dans les lieux comme un sanctuaire, Nina sur mes talons me suivait un peu plus pressée. Les souvenirs reviennent à moi à chaque table, entre chaque rayonnage. Je m'arrêtai à la section de la littérature du XIXème siècle. Mes pas me conduisirent à avancer entre les deux rangées d'ouvrages. Victor Hugo me fit m'arrêter et je fermai les yeux. C'était là que tout avait commencé. Quand Nathaniel m'avait embrassée. La délicatesse de cette image fleurit dans ma tête et mon coeur se souleva autant qu'il se serra. En s'ouvrant devant les Misérables, mes doigts glissèrent sur les tranches de livres et s'arrêtèrent sur le seul livre qui n'aurait pas du être là, côté MAND-2016 (Milla Armand et Nathaniel Demarey - 2016). Ce n'était qu'une couverture, les pages arrachées volontairement et remplacées par un carnet fin à la couverture bleue. Avec la précaution qu'emploierait un archéologue pour déterrer un trésor, je sortis les carnet et le feuilletai. C'était bien ça. Des noms, des dates, des lieux de rendez-vous, de descriptions, des photos de mauvaises qualités imprimées. Toutes ces informations étaient scrupuleusement retranscrites dans une écriture souple et régulièrement. Celle de Nathaniel.
Une brise d'espoir me soufflait que la tendance allait enfin s'inverser. Ça en main, je disposais d'une arme pour faire tomber Jason et ses Argonautes et pour libérer Nathaniel.
Enfin, j'espérai.