Chapitre Vingt-Quatre - Jason

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J'étais en pyjama depuis le matin, en train d'éplucher le carnet assis en tailleur sur le canapé de l'appartement de Castiel. Le propriétaire était assis en face de moi, à composer avec un casque sur les oreilles.

— Il a presque réussi à démonter tout le réseau à cette époque. Il ne lui manquait plus que l'identité de Jason et ça l'obsédait.

Je retournai le carnet dans la direction de Castiel qui tira sur un côté de son casque et me lança un regard interrogatif et courroucé que je le dérange.

— Il y était presque... répétai-je en haussant le ton et en articulant comme pour m'adresser à une personne âgée.
— J'ai compris, je ne suis pas demeuré, répondit-il avant de se plonger à nouveau dans son travail.

Je secouai la tête et repris l'exploration. Chaque membre du réseau avait une fiche à son effigie, que ce soit un lieutenant ou un simple revendeur. Quelques pages se terminaient par un point d'interrogation où le mot "Disparu" avait été gratifié avec une date approximative. Il y avait à chaque fois une note qui précisait la raison « a déménagé avec sa copine en Espagne » ou « partit pour s'occuper de sa grand-mère ».

Mais à la lumière du cas de Nathaniel, la manière dont le réseau l'avait fait tomber, je doutais du bien fondé de ces explications. Ils étaient peut-être tout simplement morts.
Il restait aussi une question qui taraudait mon petit-ami à l'époque et qu'il avait écrite à plusieurs reprises : comment Jason arrivait-il à blanchir son argent ? Il gagnait des milliers d'euros par semaine mais pour pouvoir l'utiliser, il devait pouvoir le rendre légal. Alors comment s'y prenait-il ?

Nathaniel de son côté, s'était constitué un capital pour l'avenir de Ambre et quant au reste, il faisait des dons anonymes et en liquide à différentes associations du coin : SPA, EHPAD, associations d'aides... C'était une manière pour lui de racheter ses actes et alléger sa conscience.

Je fermais le carnet en lâchant un soupir. Mon dos percuta le dossier du canapé et je fermai les yeux sous le regard de Castiel qui retira son casque.

— Alors, qu'es-ce que tu as appris ? me lança-t-il.
— Plein de choses compromettantes mais rien pour aider Nathaniel. On a une seule info qui nous aide vraiment, renchéris-je. On connait l'identité de Jason.
— Ne t'approche pas de lui... me mit en garde le chanteur.
— Non, juste à distance ! me défendis-je. Et tu m'accompagnes !

Castiel fit la moue mais sa promesse le forçait bien à devoir me suivre partout.

                                                                                  **

Le soir était tombé sur Saint-Amour et les lampadaires éclairaient l'entrée du commissariat de la ville. Devant le bâtiment, il y avait des agents en uniforme et d'autres en civil, qui entraient et ressortaient.
Nous étions à l'arrière de la voiture de Castiel, à genoux sur la banquette arrière, accoudés à la plage arrière, des jumelles à la main. On jouait aux détectives en herbe plutôt nuls. On n'avait finalement aucune idée du physique de Jason/le lieutenant Thomas et si on prenait le risque d'y entrer, on se faisait griller à tous les coups.

— Si j'avais su, j'aurais demandé à Nath' de me faire une description du gars...
— On peut toujours lui demander à travers ton avocat, proposai-je, les yeux dans la paire de jumelle.
— On risque de ne pas avoir le choix, soupira-t-il.
— Attends !

Une silhouette venait de sortir du bâtiment et, malgré la distance, les jumelles me permettaient de distinguer quelques éléments : des cheveux noirs et courts, une paire de lunettes à épaisse monture.

— Ah, l'enfoiré ! murmurai-je.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu vois ?

Castiel m'arracha presque les jumelles des mains pour regarder à son tour.

— Ce type, avec les lunettes, je le connais, lui expliquai-je. C'était un client du café. Mais il ne m'a pas dit qu'il était flic... Il m'a dit travailler dans la vente de produits pharmaceutiques.

Castiel quitta l'instrument et m'adressa un regard circonspect.

— C'est plus ou moins le cas si c'est lui Jason.
— Oui, ça ne peut être que lui. Il m'a dit qu'il s'appelait Grégoire.

Mon complice reprit son observation et je repassais dans ma tête les différentes conversations qu'on avait eues et ses indiscrétions sur mon couple que je lui avais livrées dans me méfier. A l'époque, il voulait sûrement savoir si je constituais une menace pour le réseau. Puis le soir de mon agression, le moment où il avait décidé de me faire peur pour atteindre Nathaniel.

J'eus un frisson d'effroi. Ce type était dangereux. Il cachait bien son jeu et disposait d'un pouvoir de manipulation malsain et effrayant.

— Il part, vite !

Castiel jeta les jumelles dans mes mains et passa, non sans mal, entre les sièges pour se mettre derrière le volant, m'offrant un coup de genou dans l'épaule au passage.
Il démarra la voiture et fit un demi-tour sauvage dans la rue.

— Sérieux ? Fais pas le malade à vouloir le suivre comme ça ! On va se faire griller !
— Mais nan, fais moi confiance !

Je supposais que le chanteur de Crowstorm avait toujours rêvé de mener une filature, il aimait l'adrénaline et en ça, il ressemblait à Nathaniel.
Le trajet fut assez rapide, on ne quitta pas Saint-Amour et rejoignit un quartier résidentiel et calme.

A plusieurs reprises, Castiel essaya de laisser la voiture de Jason prendre de l'avance et une fois, on crut le perdre mais mon chauffeur avait l'oeil et l'avait repéré un peu plus loin.

La voiture de Jason se gara devant une résidence sécurisée regroupant plusieurs appartements. Castiel se gara un peu plus loin et éteignit tout feux et moteur. A l'arrière, je guettais déjà avec les jumelles. Le flic sortit du véhicule et se présenta devant la porte de l'immeuble où une jeune femme l'attendait.

— Attends, passe ! exorta Castiel.

Castiel m'arracha presque l'appareil des mains et après quelques secondes, il releva le nez. De l'autre côté de la rue, Jason et la nouvelle arrivée avaient échangé un baiser amoureux avant de disparaitre main dans la main à l'intérieur de l'immeuble.

— La garce ! souffla le chanteur.
— Quoi ? C'est qui elle ?
— C'est la flic qui m'a interrogé. C'est elle qui mène l'enquiête sur le meurtre de Chris.
— Quoi ? Mais, c'est un complot ? Tu penses qu'elle est de mèche ?
— J'en sais rien, il l'a manipule aussi peut-être mais dans tous les cas, c'est pas net.

Mon regard se porta à nouveau sur la porte derrière laquelle les deux flics avaient disparu. C'était un nouveau coup dur à encaisser, savoir qu'un autre flic était au pire pourri, au mieux, manipulé pour charger Nathaniel.

— Je pense qu'on n'a plus rien à faire ici pour ce soir, on peut rentrer.

Castiel ne tergiversa pas au vu de la tête que je tirais. Plus j'en apprenais et plus la situation me paraissait inextricable. Jason était flic et il sortait avec celle qui dirigeait l'affaire contre Nathaniel. Que faire quand les autorités, censées nous protéger utilisaient leur savoir-faire contre les citoyens pour leur intéret personnel. Est-ce que tous les flics étaient pourris ou bien seulement ces deux-là ?

En rentrant, Castiel partit au studio pour voir le reste du groupe après quelques jours de silence radio. C'était la première fois que je me retrouvais seule à son appartement, grand et assez froid. J'eus un frisson et une chape de fatigue et de tristesse me tomba dessus. Une larme roula sur ma joue alors que je tombais sur le canapé. Je me mis à pleurer silencieusement, recroquevillée sur moi-même avant de finalement sombrer dans le sommeil. Mes peurs se mêlèrent à mes rêves qui se transformèrent en cauchemars que je ne sus controler. Je vis Nathaniel vieux et sénile, mourir en prison et victime de Jason, maître tout puissant qui avait le droit de vie et de mort sur lui. J'imaginais Chris étendu sur un lit avant que ses traits ne se confondent avec ceux de mon petit ami.
Le tourment ne me laissa aucun répit, jusqu'à ce qu'une main me secoue. Castiel venait de rentrer, je n'avais dormi que quelques heures même si ça m'avait parut une éternité.
Même réveillée, je gardai toutes les images vives en tête et toutes les émotions qui me terrifiaient encre. Castiel tout aussi bouleversé par mon état, vint s'assoir à côté de moi. Il me prit dans ses bras et bien qu'un peu maladroit, me réconforta jusqu'à ce que mes pleurs ne cessent.

— On va jamais y arriver, réussis-je à articuler entre deux reniflements.
— Lâche pas Milla, Nathaniel a besoin de toi. Moi en tout cas, j'te lâche pas.

Touchée, je basculai ma tête sur son épaule, sincèrement reconnaissante de tout ce que Castiel m'apportait.

[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]TraumaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant