Milla revient à Saint-Amour après trois ans d'absence. Elle retrouve Rosalya, Alexy et quelques autres amis du lycée. Par contre, elle ne pensait jamais revoir Nathaniel, ni même lui dire pourquoi elle avait été obligée de partir à l'époque.
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J'ouvris la porte de la maison et poussai de toutes mes forces sur mes bras pour soulever les deux lourds sacs de provision et les poser sur la table avec la délicatesse qui incombait à l'effort. Ma mère sortit de la chambre encore en pyjama bien qu'il soit 13 heures. C'était son jour de repos. Elle commença à déballer les conserves sous-marques et les yaourts en promo parce que la date de péremption menaçait injustement de les voir être jetés à la poubelle. De mon côté, j'étalai à plat les tickets de caisse et coupons de réduction et j'ouvris les bocaux à économie. Dans le premier, souvent vide, j'y ajoutai les 3 euros 42 de la monnaie des courses et dans le second, assez plein, j'y fis tomber une pièce de 20 centimes.
Ce dernier était mon bocal d'économie rempli de pourboires, de quelques bonus payés au black mais aussi l'argent de mon anniversaire par exemple. Je gardai cet argent pour payer mes aller-retours à Saint-Amour et voir Nathaniel. Je n'avais prévu que de faire un ultime voyage et rompre avec lui, comme prévu.
La bocal d'à côté par contre, était souvent vide parce que ma mère était incapable d'économiser plus de 7 euros 50, prix d'un paquet de clopes. Les derniers événements l'avaient faite replonger dans un vice qu'elle avait réussi à quitter depuis 20 ans, avec l'aide de mon père. Actuellement, et bien qu'elle ait fixé sa consommation mensuelle à 8 paquets, deux par semaine, elle en rachetait trois ou quatre en supplément dès qu'elle le pouvait.
— Elle était tombée près de la caisse, souris-je à ma mère en lui montrant la pièce qui tinta parmi les autres. — Il n'y a pas de petites économies, répondit-elle machinalement, sans joie.
Elle rangea les courses, en trainant des pieds. Je pouvais voir à ses pupilles qu'elle avait pris ses anxiolytiques, elle en avait souvent besoin lorsqu'elle se retrouvait seule à cause de ses crises d'angoisse régulières.
— Tu as appelé la Sécu pour les indemnités de papa ?
Un grognement me répondit et je lâchai un soupir d'exaspération. On était dans le rouge niveau finance alors que l'assurance voiture venait de tomber en même temps que la taxe d'habitation et que ma bourse ne suffirait pas à payer les deux. Sans compter sur la chaudière qui merdouillait. Il ne valait mieux pas tomber en panne de chauffage, surtout dans cette maison où le chaud et le froid filtraient des deux côtés de la passoire qu'était notre isolation. Autant l'eau chaude on pouvait faire autrement, autant le chauffage c'était une question de survie.
Et la sécurité sociale qui n'était pas pressée de nous verser les indemnités qui nous auraient bien aidées à souffler mais c'était une tâche que devait remplir ma mère.
— Après mes cours, j'irais voir papa. Est-ce qu'il a besoin de quelque chose ? — Je n'ai pas préparé son sac de linge propre encore.
Nouveau soupir plus contenu. Quand elle était dans cet état, Lucia était une loque et je devais prendre sur moi pour ne pas la secouer. C'était inutile de toute façon. Je regardai l'heure, j'avais encore le temps de faire un sac de linge avant de partir. Je lançai une machine et fis une vaisselle. Au moment où je m'apprêtais à partir, ma mère, qui s'était allongée dans le canapé, se releva et, son regard plus clairvoyant, elle demanda avec les formes.
— Ma chérie, est-ce que tu pourrait m'avancer de l'argent pour que j'achète quelque chose ? — Si c'est pour des cigarettes, tu connais la réponse, répondis-je, en sachant pertinemment qu'il s'agissait de ça.
Le sujet était toujours très délicat. Je savais qu'elle en avait besoin mais sa consommation trop était importante et elle échappait à son contrôle. C'était devenu une dépendance que je ne voulais pas encourager. Sans compter que j'étais malade du prix de ce poison alors qu'on devait économiser chaque centime.
— Je te rembourserai. — J'attends encore l'argent de la dernière fois... contrattaquai-je d'un petit sourire amusé.
Oui, j'avais déjà cédé une fois, deux mois plus tôt mais, m'étant faite avoir, je refusai que cela se reproduise et, au contraire de ce que je présentais, ma mère ne s'énerva pas.
— Tu embrasseras ton père et tu lui dirais que je passai le voir demain matin, avant mon boulot.
Elle s'approcha et chose rare, elle m'embrassa affectueusement. Je n'avais pas eu d'amour de ma mère depuis que nos rôles étaient inversés.
Je pris le bus, chargée de mon sac de cours et d'un cabas de vêtements propres que j'apportai à mon père juste après la fac. Je le trouvais marchant entre deux barres parallèles dans la grande salle de rééducation, un bras en écharpe, l'autre qui tenait fermement la barre et une jambe sur deux était raide. Il faisait chaud dans le centre et, avec l'effort, mon père s'était retrouvé en marcel, ce qui laissait entrevoir la cicatrice rouge de son intervention chirurgicale cinq à six semaines auparavant. Il grimaça sur la fin de l'exercice avant de tomber sur une chaise au bout de son parcours, félicité par son kiné. J'allais vers lui pour le saluer. Essoufflé, il avait toutefois une bonne mine et le sourire de me voir.
— Comment tu vas poulette ? m'interpella-t-il. — Ça va, je t'ai ramené ça. — Mes affaires sont dans ma chambre. Tu m'accompagnes ? J'ai fini ma séance.
J'acquiesçai et je me mis derrière le fauteuil que je poussai jusqu'à l'ascenseur.
— Comment ça va à la maison ? — Ça va, le rassurai-je en faisant fi de tous nos problèmes financiers. Maman va venir te voir demain matin. — D'ailleurs, le médecin pense que je n'ai plus besoin d'autant de surveillance, il accepte que je rentre tous les week end. — Vraiment ! me félicitai-je. C'est une super nouvelle ! Ça va nous faire du bien à tous.
Dans ma tête, je me mis à réfléchir à tout ce qu'il faudra faire pour l'accueillir : acheter de la viande rouge, faire un gateau, changer les draps, le ménage, croiser les doigts pour avoir de l'eau chaude, réparer la table.
— Comment se passe le début de ton semestre ? C'est quand tes résultats ? — Vendredi normalement. — On va fêter tes résultats ensemble, je suis sur que tu les as réussis. — On verra...
Je restai une demi-heure où il s'amusa à me raconter les ragots de l'hôpital et les émissions de télé qu'il n'avait pas vraiment le choix de regarder. Puis je partis en prenant le bus pour rejoindre la maison. Ma mère était toujours là, habillée, maquillée, souriante et à nouveau elle m'embrassa comme une mère.
— J'ai été à la Sécu, ils sont sur le dossier, on recevra l'argent avant la fin de la semaine ! s'enthousiasma-t-elle. — Sérieux ? C'est génial ! Et devine qui rentre ce week-end ? — Vraiment ? Papa a une permission ? Oh Milla c'est génial ! Je sens que la roue tourne enfin, on va s'en sortir !
Elle m'enlaça joyeusement et je sentis une odeur de cigarette froide imprégner son chemisier. Je ne fis pas de remarque même si j'avais l'impression que l'odeur était assez récente or, elle avait déjà flambé son quota de huit paquets du mois en 20 jours. Toutefois, elle aurait pu en emprunter une à un inconnu, elle savait être charmante pour cela. La porte de devant s'ouvrit soudainement sur ma tante Agatha, un plat de lasagne sous le bras.
— Coucou les filles ! Désolée de passer à l'improviste mais je sors du travail. — Pas de souci, reste un peu ! se félicita sa soeur en l'embrassant. Philippe va rentrer pour le week-end.
Après s'être débarrassée de son manteau, les deux sœurs papotèrent joyeusement dans le salon. Agatha essayait de passer une à deux fois par semaine, temps qu'elle prenait sur sa vie de famille, pour se préoccuper de ma mère parce quelle savait qu'elle avait besoin d'attention. De mon côté, j'avais pris le plat de lasagne pour le mettre au réfrigérateur. Un micro-élément attira mon attention et me fit froncer les sourcils. Devant les bocaux d'économie, le mien n'était pas correctement vissé alors que c'était quelque chose que n'aurais ps supportait en temps normal. Le doute s'insinua dans ma tête et j'entrepris de vider le pot et de compter la totalité des pièces et des billets, sachant exactement la somme qu'il y avait. Il manquait 80 euros.
— Maman ! l'appelai-je avec force en allant dans le salon où les soeurs étaient installés.
Interpellées, elle me fixèrent surprises.
— Il manque 80 euro dans mon bocal d'économie. Tu peux m'expliquer ? — Tu as du mal compter, nia-t-elle. Je n'y suis pour rien.
Une vague de colère m'envahit et je me dirigeai dans sa chambre et commençai à fouiller les tables de nuit suivie par Agatha et Lucia.
— Qu'est-ce que tu fais là ? s'énerva-t-elle en rangeant derrière moi. — Où sont-elles ? — De quoi tu parles ? — Ne me prends pas pour une conne, je sais très bien ce que tu as acheté.
Je poursuivis ma fouille enragée avec la commode et au deuxième tiroir, je m'arrêtai net. Elle était là, la cartouche de dix paquets de cigarettes dont un qui avait déjà disparu.
— Je le savais ! Tu ne sais pas te retenir ! — Arrête ! Tu ne l'utilises même pas cet argent, tu pouvais bien me dépanner... — Lucia, tu as volé ta fille, souffla Agatha sidérée. — C'est mon argent ! Pour aller voir Nathaniel. — Mais tu vas le quitter, tu n'as même pas besoin de payer un billet de train pour ça ! Tu lui envoies un texto ! s'exclama-t-elle en dévoilant son vrai visage. — C'est MON argent ! répétait-je. Peu import ce que j'en fais, je l'ai gagné ! Tu n'as pas le droit d'y toucher !
Voyant qu'elle perdait la confrontation, ma mère opta pour une autre stratégie. Son visage blêmit et ses yeux s'embuèrent. Elle s'effondra en larmes sur le bord du lit mais ma colère ne diminua pas pour autant parce que ce n'était que comédie pour jouer la victime.
— Je suis désolée, mais j'ai vu cet argent, j'en avais besoin... Je te jure que je vais te rembourser, sanglota-t-elle. Je te jure... — Arrête de pleurer, ça fait longtemps que je n'ai plus pitié de toi...
Ma tante s'assit à coté d'elle et convaincue par son jeu d'actrice, lui caressa le dos d'un geste réconfortant.
— Là, là... ça va aller. — Depuis que Philippe n'est plus là, je suis totalement perdue. — Je n'y crois pas une seconde...
Son regard larmoyant se leva vers moi et d'un clignement de paupières, deux nouvelles larmes coulèrent. Elle se tut.
— Je vais rembourser Milla et dès que tu pourras, tu me rendras l'argent, d'accord ? proposa ma tante, trop généreuse, trop naïve.
Je regardai toujours ma mère d'un air rancunier. Depuis ce jour-là, c'était comme si quelque chose s'était brisé entre elle et moi.