Milla revient à Saint-Amour après trois ans d'absence. Elle retrouve Rosalya, Alexy et quelques autres amis du lycée. Par contre, elle ne pensait jamais revoir Nathaniel, ni même lui dire pourquoi elle avait été obligée de partir à l'époque.
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FA-478 - BK - FA - 478 - BK
Nathaniel répétait en boucle la plaque d'immatriculation de la fourgonnette qui venait de partir. Il avait acquis avec l'expérience une incroyable mémoire des plaques minéralogiques. Il pouvait en retenir plusieurs par jours, les oublier après les avoir notées dans son carnet, les oublier puis recommencer le lendemain.
FA - 4478 - BK était un fournisseur qui venait des pays de l'Est pour écouler environ un quart de son stock auprès des Argonautes. Depuis que les Horses avaient déserté Saint-Amour, tout le marché revenait aux Argonautes qui s'en mettaient plein les poches. Depuis peu, Nathaniel avait intégré le réseau de vente, il n'était plus seulement le cerveau stratégique, l'atout dans la manche de Chris. Ce dernier s'appuyait de plus en plus sur lui et l'étudiant n'était pas à l'aise avec l'idée de se mouiller davantage dans le réseau. Il se sentait basculer dans l'illégalité et ses actes avaient des conséquences. Faire tomber les Horses, c'était presque un travail civique pour aider la communauté à se débarrasser de dealers. Mais à présent, il voyait de plus près le poison se répandre dans les rues de Saint-Amour, le même poison qui coulait dans les veines des consommateurs habituels. Il voyait de pauvres accrocs près à tout pour une dose, des mères de famille qui venait avec leurs enfants dans la voitures et des jeunes qui conduisaient, stones de cannabis et risquant de renverser le premier innocent venu. Des vies gâchées, des vices cachés qu'il voyait pour la première fois. C'était pour ça qu'il s'accrochait autant aux notes qu'il tenait absolument à prendre. En faisant cela, il avait l'impression de réparer le mal qu'il faisait. À la fin de l'année, s'il n'arrivait pas à trouver l'identité de Jason, il irait quand même voir les flics pour tout balancer. Il ne pouvait pas tenir et tolérer ce que ces non-actions entrainaient. Alors tant pis s'il n'arrivait pas à faire tomber tout le réseau comme un château de carte, entraver la distribution, ça serait une sacrée coup dans les dents.
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Ce jour-là, à la BU de la fac, le téléphone de Nathaniel sonna dans sa poche et l'étudiant en lettres vit le nom de Chris sur l''écran. Il lâcha les révisions de son semestre 3 et rejoignit le hall de la BU pour ne déranger personne.
— Salut, on aurait apparemment retrouvé Boz, l'informa Chris de but en blanc.
Boz était une vraie petite vermine mais un bon client en général. Sauf qu'il avait réussi à voler un revendeur et Chrs n'était pas content. Il voulait que Boz paie ce qu'il avait déjà consommé, à supposé, tout.
— Et il est où ? — Rue des Marais, tu vois les anciens bâtiments agricoles ? C'est un repère de squatteurs. Il serait là. — Et qui t'a donné les infos ? — Un client de Fab. J'ai besoin que tu ramènes Boz parce qu'il est bien dans la merde cette fois. — Qu'est-ce que tu vas lui faire ? s'inquiéta Nathaniel. — Je sais pas encore mais occupe toi de le retrouver.
Puis Chrs raccrocha, laissant à Nathaniel une impression désagréable en bouche. Est-ce que l'Argonaute sentait la réticence de l'étudiant à se salir les mains ? Est-ce qu'il lui forçait la main pour qu'il dépasse de plus en plus la ligne jaune ? Jusqu'où ça irait tout ça ? Est-ce qu'il faudra qu'il tue en plus du reste ?
Incapable de rependre ses révisions là où il les avait abandonnées, il rembala ses affaires et quitta la BU et le campus.
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La soirée approchait et Nathaniel attendait dans sa voiture, un peu à distance du squat. Il y avait une faible lumière à l'intérieur mais pas beaucoup de mouvements. Si Boz y était, il devait planer. L'Argonaute espérait que le drogué ne soit pas là ou au pire, qu'il ne fasse pas de difficulté pour le suivre. Et quant à ce que Chris prévoyait pour lui, il préféra ne pas y penser. Oui, le mieux serait de ne pas le trouver.
Nathaniel sortit de la voiture, un petit coup d'oeil rapide ne prendrait qu'une dizaine de minutes et l'histoire serait réglée. Sur ses gardes, tout de même, l'étudiant pénétra sur la propriété laissée à l'abandon, muni de son téléphone qui fait office de lampe. La porte d'entrée avait disparu et dès qu'il pénétra dans le bâtiment principal, Nathaniel fut saisi d'une forte odeur d'urine. Il fronça le nez et poursuivit sa recherche. Le rez-de-chaussée était vide de ses occupants qui avaient laissé derrière eux quelques affaires sans valeurs : vêtements, quelques emballages de bouffe et des bouteilles vides. En montant l'escalier qui menait au seul étage, Nathaniel repéra une source de la lumière et la suivit jusqu'à une pièce fragmentée de draps qui séparaient plusieurs espaces personnels.
— Boz, t'es là ? C'est Nath'.
Le son de sa propre voix le rassura dans le chaos du squat. Il vit un mouvement derrière une paroi de tissu et avança pour pousser sa tête, mais au lieu d'y trouver la silhouette maigrichonne de Boz, il tomba sur deux types qui l'attendaient, cachés. Nathaniel saisit le regard mauvais de l'un d'eux et eut un geste de recul, trop tard. Ils le saisirent par surprise. Enroulé dans les draps, Nathaniel essaya de se débattre mais pris entre les bras de ses agresseurs, il était impuissants.
— T'as cru que tu pourrais nous faire tomber sans représailles ?
Malgré les coups qu'il recevait, le cerveau de Nathaniel s'était mis en branle. Il devina que c'était d'anciens Horses qui lui avaient tendu un piège et là, il comprit que sa vie était en danger et, avec la force de la peur et du désespoir, il se débattit comme un beau diable. Il réussit à se libérer partiellement et grâce à ses entrainement de boxe, il envoya son poing au visage du premier type qui chuta sur un matelas dégonflé. L'autre individu vint l'attraper par la taille pour le pousser jusqu'au mur. Nathaniel percuta la paroi de briques, lacha un gémissement de douleur mais affubla son agresseur de violents coups de coudes dans le dos. Après un troisième impact puissant, il se recula et enfin, l'étudiant eut quelques secondes pour se débarrasser du reste des entraves de draps. Son corps était douloureux mais il devait garder la tête froide. Il était dos au mur au premier étage, face à deux types dont un qui venait de sortir un couteau. La situation devenait vraiment critique.
Il n'y avait aucune issue à part les deux fenêtres qui l'encadraient mais qui lui promettaient en retour une chute de plusieurs mètres. Il n'avait jamais dû se battre pour sa vie, contre deux agresseurs qui voulaient vraiment sa peau. Son regard ne pouvait se détacher du couteau qui dansait dans la main du type de droite. Ça aussi, c'était une première.
— Bon, vous venez où on passe la soirée à se regarder dans le blanc des yeux, lança-t-il d'un air provoqué. — Tu vas prendre cher, murmura celui de gauche.
Les deux anciens Horses se mirent en branle et Nathaniel passa sa langue sur ses lèvres, l'esprit concentré sur le moindre mouvement de ses adversaire. Celui de gauche avança le plus près et lança son poing dans la direction de l'Argonaute qui l'évita facilement. Toutefois, ce n'était qu'une diversion pour que l'autre, armé du couteau s'approche, sur sa droite. Nathaniel l'esquiva de justesse et envoya son pied dans la main qui serrait l'arme. C'était celui là qu'il devait neutraliser en premier. Le Horse ne lâcha pas la lame mais la prise semblait moins ferme. L'étudiant se jeta sur lui, sa main saisissant la main de l'autre, ils roulèrent ensemble au sol. Nathaniel se retourna sous le dealer mais d'un coup de bassin, il prit le dessus. Il frappa le poing fermé sur le couteau pour que l'autre lâcha l'arme. Un mouvement dans son champ de vision lui fit tourner la tête au moment où il reçut un violent coup contre sa tempe. Le verre d'une bouteille éclata et Nathaniel se retrouva projeter au sol, désorienté et le crâne douloureux. Sa vision était floue, la pièce tanguait. Il voulut relever mais il trébucha et sentit ses forces le quitter.
— Bien joué, il est fini cette fois, entendit-il.
Les deux silhouettes s'approchèrent de lui un sourire mauvais aux lèvres. À tâton, à court d'options, Nathaniel fouilla le sol de ses doigts qui se refermèrent sur un morceau de bois. Il jeta une planche dans leur direction qui les força à reculer de quelques pas. Il n'y avait rien de plus dangereux qu'un animal blessé. L'étudiant eut quelques secondes de répit pour se ressaisir et forcer ses jambes à ne pas céder. D'un cri désespéré, il se jeta sur le premier types de toutes ses forces. Ils basculèrent, l'Argonaute sentit une pointe douloureuse contre son abdomen et crut un instant que le couteau l'avait transpercé. Au sol, la rixe avait déjà pris fin, Nathaniel échangea un regard sidéré avec son agresseur, se décolla de lui et baissa les yeux. La lame avait disparut sous l'épaule du Horse et le manche s'était enfoncé dans le ventre de Nathaniel qui lâcha une injure. Le sang tacha le t-shirt de son agresseur et l'auréolé naissait lentement autour de la plaie. Paniqué, il se releva en catastrophe et de deux coups d'oeil, il avisa le second agresseur puis la sortie droit devant lui. Peu importait la douleur à sa tempe, sa vision qui tanguait ou la peur qui tordait son ventre, il devait se tirer de là au plus vite. Le coeur battant, il dévala les escaliers à tout allure et courut jusqu'à sa voiture. Il fouilla sa poche pour trouver ses clefs qu'il faillit faire tomber tellement ses mains tremblaient.
Il était paniqué, il devait aller chez Chris pour lui raconter ce qu'il s'était passé. Il essaya de se concentrer sur la route et rester vigilent juste le temps d'arriver sur place.
En descendant sa voiture, il remarqua du sang sur sa veste qu'il frotta inutilement. Il frappa avec insistance à la porte que Chris vint ouvrir. Sa trogne courroucée se dérida en voyant l'état de son compère, ses cheveux ébouriffés, du sang sur sa tempe et son t-shirt, sa veste déchirée à l'épaule.
— Qu'est-ce qui s'est passé bordel ? — C'était un piège putain !
Nathaniel pénétra ans l'appartement et s'écroula sur le canapé, ses jambes fébriles et son champ de vision qui palissait. Il raconta à Chris ce qui s'était passé. Ça n'avait duré que quelques secondes mais les images du long métrage défila lentement sous ses yeux.
— J'ai-J'ai tué quelqu'un... réalisa-t-il enfin. — Il est peut être simplement blessé, te monte pas la tête. — Il avait un couteau planté dans le corps putain ! s'énerva brusquement Nathaniel, se redressant comme un ressort. Il était sûrement déjà mort à l'heure qu'il est ! — Oh ! Tu te calmes !
Chris le saisit par les épaules et le força à le regarder dans les yeux.
— Tu vas rentrer chez toi, tu vas te laver et te débarrasser de tes fringues et tu attends de mes nouvelles. — Qu'est-ce que tu vas faire ? — Je vais appeler Jason, il va se renseigner. — Qu'est-ce qu'il va faire ? — T'occupe pas de ça... Fais ce que je te dis et tu attends mon appel.
Chris le poussa vers la porte et Nathaniel se retrouva seul sans savoir quoi faire ni quoi penser. Il avait envie de retourner sur place, d'appeler la police aussi, puis de se cacher, se terrer. Finalement, il rentra rapidement chez lui, ferma la porte à double tour et se déshabilla précipitamment. Il alluma l'eau de la douche et se glissa sous les jets glacés saisissants qui le firent frissonner avant de le réchauffer. Il resta immobile, impassible pendant de longues minutes à repenser au couteau planté dans l'épaule de son agresseur, enfoncé jusqu'à la garde. Le regard qu'ils avaient échangé, un regard chargé de peur, celle de mourir.
En sortant de la douche, Nathaniel fourra tous ses vêtements dans un sac poubelle qu'il allait soit brulé, soit enterrer dans un coin de forêt. Puis il s'installa à son bureau, prêt à rédiger ses notes du jour. Le crayon à la main qui tremblait, il n'arrivait pas à débuter... Il avait peut-être tué un homme, il n'allait tout de même pas faire des aveux dans son carnet ? Un lourd sentiment l'envahit. Il n'était plus si différent de ceux qu'il cherchait à coincé. Il cotoyait les revendeurs, il participait aux réunions, voyait les fournisseurs. Et maintenant, il avait ôté la vie. Cela faisait de lui un criminel, pire, un meurtrier.
Une colère immense l'envahit et il sentit ses yeux s'humidifier. Tout ça à cause de Chris, du piège dans lequel il était tombé, une machination qu'il avait tolérée jusque là. Ce soir, il était passé de l'autre côté de la barrière.
D'un geste de rage, il agrippa son carnet et l'envoya avec force de l'autre côté de l'appartement. Puis il enfouit son visage entre ses mains et les épaules tremblantes, il avait la terrible impression d'être condamné dans un système qu'il ne contrôlait plus du tout...
Enfin, ses pensées furent interrompues par son téléphone qui résonnait dans un coin oublié.
— C'est moi, fit Chris. J'ai vu avec Jason, pas de trace dans les hôpitaux d'un gars qui s'est fait poignardé. Il n'est plus au squat, petite quantité de sang. — Et à la morgue ? — Il fait ce qu'il faut pour se tenir informé. — Et moi, je fais quoi ? — Tu restes planqués chez toi et nous, on te couvre si besoin.
Nathaniel ne répondit pas et un nouveau sentiment ambigu l'enveloppa, entre reconnaissance et rejet. Ceux qu'ils considéraient comme ses ennemis, l'instant précédent, allaient le protéger d'un possible meurtre. La tête tombante, il ne s'était jamais senti aussi égaré de toute sa vie.