Le lendemain de la dispute avec Mélody, j'appréhendai d'aller en cours, de voir les regards sur moi, les messes-basses, les rumeurs qui courront sur l'éventuelle relation avec mon professeur.
Je poussai ma tête dans le hall du bâtiment et décidai d'attendre en retrait que l'amphi n'ouvre pour le cour de M. Théodose. Je préférai aussi baisser la tête sur mon téléphone pour ne pas avoir à supporter les regards que mes autres camarades me lançaient. Une personne approcha, c'était Chani, déconfite.
— Je suis désolée, j'ai appris ce qu'il s'était passé hier, tu vas bien ? s'enquit-elle.
— J'ai perdu un peu de cheveux et beaucoup de dignité.
— Non, mais elle est folle de t'accuser comme ça...
Un visage dénotant dans la foule d'étudiants attira mon attention. Nos regards se croisèrent et le responsable administratif se dirigea vers moi.
— Mlle Armand, vous êtes convoquée dans le bureau du doyen de l'université.
— Quoi ? Maintenant ?
Il opina du chef et chercha Mélody dans la foule à qui il annonça la même nouvelle. Mes iris devaient ressembler à des charbons ardents mais elle le soutint, pensant être dans son bon droit, sûre d'avoir agi correctement. Sous les regards de nos camarades de promotion, nous suivîmes M. Radowski qui nous conduisit à l'extérieur du bâtiment de cours pour rejoindre celui de l'administration installé dans l'ancien presbytère quand l'université abritait jadis un hospice géré par des bonnes soeurs.
L'intérieur était bruyant entre les sonneries des téléphones, la photocopieuse qui crachait des vagues de papier et les petites mains des secrétaires qui tapaient sur leur clavier.
Le responsable administratif monta au dernier étage, beaucoup plus calme. Nous traversâmes au couloir qui aboutit sur une double porte que M. Radowski ouvrit après avoir toqué. L'espace était vaste, lumineux et donnait sur la cour du campus. Le mobilier en acajou était élégant et sûrement exorbitant. Sur l'un des murs, des diplômes étaient encadrés et une vitrine exposait quelques trophées et des photos en noir et blanc de l'université lorsqu'elle ne l'était pas encore. À l'intérieur, M. Zaïdi, déjà présent était assis face au directeur M. Cullan. Le doyen était un homme grand et fort avec une barbe aussi rousse et fournie que ses cheveux. Il devait avoir soixante ans et possédait une voix grave avec laquelle il s'exprima :
— Asseyez-vous mesdemoiselles. Merci Patrick.
Le responsable quitta le bureau et nous prîmes place de part et d'autre de notre professeur. Je voulus croiser son regard mais il se tenait droit, son regard inflexible, les jambes croisées et les mains jointes. Même le sourire suffisant de Mélody avait disparu lorsqu'elle l'avait vu.
— Vous avez tous les trois étaient convoqués pour éclaircir la situation qui a mené à la dispute de la veille au soir. Avez-vous quelque chose dire ?
Il y eut un instant de flottement avant que je n'ose m'exprimer.
— Je n'ai fait que me défendre contre de fausses accusations. Je n'entretiens qu'une relation strictement professionnelle avec M. Zaïdi.
— Je vois... Toutefois, pour mettre fin à toutes les rumeurs et pour protéger votre réputation, à vous Mlle Armand, mais aussi celle de Rayan et et pour des raisons d'impartialité, de l'université et du département d'histoire de l'art, je me dois de retirer la direction de votre mémoire à M. Zaïdi.
— Quoi ? Mais...
— Et de le confier à M. Lebarde...
— Non ! M. Lebarde ne m'aime pas ! Et c'est un mémoire sur l'art contemporain ! me révoltai-je.
— Gérald est un excellent enseignant et il est tout à fait capable de diriger un travail de cet acabit ! contrattaqua M. Cullan en haussant le ton.
Je me ratatinai sur mon siège, penaude et démoralisée par cette décision qui ne vint pas seule.
— Aussi parce que votre comportement puérile de la veille est inacceptable, vous recevrez, toutes les deux, un avertissement. Il sera inscrit dans votre dossier universitaire et la décision sera notifiée à vos parents.
— Pardon ? réagit enfin Mélody qui jusqu'alors jubilait.
A présent, je fermai les yeux pour éviter de me laisser abattre. Un avertissement ferait tâche sur mon dossier jusqu'à alors irréprochable. C'était décidément très injuste et j'allais devoir en plus, me justifier auprès de mes parents. M. Cullan en avait terminé, mais pas M. Zaïdi qui s'exprima pour la première fois durant cet entretien collectif.
— Puisque Mlle Armand a été punie pour quelques chose dont elle n'est pas responsable...
— On en a déjà parlé Rayan... le gronda le doyen.
— Je trouve cela injuste qu'elle soit la seule à en pâtir. De plus, les accusations de Mlle Lemaire démontrent bien qu'elle éprouve des sentiments qui ne sont pas adaptés. Je trouve donc qu'il serait judicieux de lui retirer son travail d'assistanat.
— Qu-quoi ? bégaya la concernée.
— Sans compter que je n'ai plus confiance en sa capacité de jugement, conclut M. Zaïdi.
— C'est vous qui décidez sur ce point, acquiesça M. Cullan. Je prends note de cette décision.
Sur ce, l'entretien prit fin et, largement déconfite, je pris mes affaires pour sortir du bureau. Dans le couloir, Mélody se posta devant M. Zaïdi, le regard suppliant pour tenter de lui faire changer d'avis.
— Mlle Lemaire, ma décision est prise, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous même.
Les larmes aux yeux, Mélody baissa la tête devant le regard implacable du professeur, puis elle quitta le couloir en reniflant, me laissant seule avec mon désarroi et mon ancien directeur de mémoire.
— Je suis désolé Milla, me réconforta-t-il J'ai essayé de défendre votre cause, je sais très bien que nous n'avons franchi aucune limite d'une relation enseignant-étudiante normale mais le directeur a peur des rumeurs qui circulent et il se devait d'agir.
— Je comprends mais je ne peux pas me permettre un renvoi... me désolai-je larmoyante.
— Ça ne sera pas le cas, je vous le promets. J'y adresserai mon véto et un conseil, ne vous battez plus.
Le ton qu'il employa me fit sourire une fraction de seconde.
— Et puis ne vous inquiétez pas, je serais présent pour vous aider avec votre mémoire.
— Merci.
— Ne vous laissez pas abattre.
Il posa sa main sur mon épaule pour me réconforter, ce qui eut l'effet de fonctionner quelque peu.
— Je dois retourner en cours.
Il m'accompagna jusqu'au bâtiment de cours et me souhaita bon courage.
Sans surprise, lorsque je pénétrai dans l'amphi une heure après le début du cours, tous les étudiants, me fixaient étrangement, de même que le prof.
Je m'excusai auprès de M. Théodose en baissant le regard et je trouvai Chani des yeux pour m'installer auprès d'elle.
Puis le cours reprit normalement et les élèves reportèrent leur attention sur l'enseignant, à l'exception de deux ou trois bavardages dans le fond de la salle.
— J'ai pris le début du cours, je te le passerai, m'informa mon amie tout bas.
— Merci, lui glissai-je en sortant mon pc.
— Alors ?
— Je t'expliquerai après.
Je remarquai que Mélody n'était pas revenue en cours après le passage dans le bureau du directeur. Si je trouvais ma sanction injuste, celle de Mélody était plus que méritée. Je ne pouvais pas plus mal commencer la dernière journée avant les vacances de novembre et c'était un mauvais présage pour mon année de Master 1, deux mois après la rentrée
À la fin du cours, nous allâmes, avec Chani, au réfectoire. Massées dans la foule d'étudiants qui venaient se sustenter, je racontai alors tous les événements qui avaient conduit à ma sanction en commençant par l'entrevue que j'avais eue la veille avec M. Zaïdi, en passant par la peluche dans ses cheveux qui m'avait forcée à m'approcher de lui. Je conclus par les sanctions et la promesse de l'enseignant à continuer de suivre mon mémoire dans l'ombre.
— Je savais qu'elle s'était entichée de lui, déjà en Licence 3, m'expliqua alors ma collègue d'un air ahuri, mais à ce pont, ça en est maladif. ... J'espère qu'elle s'en mordra les doigts.
Je ne répondis pas. Même si le fait que Mélody ait pris un avertissement, en plus d'avoir été virée de son travail d'assistanat, était un faible réconfort, cela ne changeait pas mon propre sort.
— Ça va aller Milla, ce n'est ni M. Lebarde, ni cet avertissement qui vont te faire échouer ton année, me rassura Chani.
— Oui, j'espère.
Je mangeai sans grand appétit mais surtout avec beaucoup de lassitude et finalement les vacances tombaient à pic pour digérer cette affaire.
— Tu veux qu'on bouge ce soir ? me proposa-t-elle.
— Peut-être plus tard dans la semaine, il y quelque chose que je dois faire ce soir, lui répondis-je.
Après être retournée en cours pour un dernier TD, les vacances d'une semaine s'annonçaient avec beaucoup de soulagement.
Mélody ne s'était pas représentée mais je savais que, tôt ou tard, j'irais lui faire part du fond de ma pensée, dès que je me sentirais prête et assez calme pour le faire.
— On se voit dans la semaine, lui promis-je en saluant Chani aux portes du campus.
— Ça marche.
Elle m'adressa un clin d'oeil puis je quittai la cour pour rejoindre le centre-ville. Je savais qu'elle n'avait pas cours le vendredi après-midi et il était temps que je pardonne Rosalya son erreur.
La conversation avec Chani plus tôt dans la semaine et l'avertissement me poussèrent à aller la voir et me confier. Après tout, c'était mon amie, ma meilleure amie et son absence était plus douloureuse que ma colère qui s'était atténuée.
Devant la boutique, j'adressai un signe à Leigh qui s'occupait d'un client et je m'intéressai davantage à la porte qui desservait le duplex que le couple partageait. Rosalya ouvrit rapidement après que j'eus toqué. Elle était toujours élégamment vêtue, même si c'était pour traîner seule chez elle. Son appartement était à son image, lumineux, confortable et chic.
— Milla ? Qu'est-ce que... je suis surprise, bafouilla-t-elle déstabilisée par ma venue.
Je m'avançai vers elle pour la prendre dans mes bras. Rosalya se figea avant de me rendre mon étreinte, un peu maladroitement.
— Ça me fait du bien de te voir, lui glissai-je à l'oreille. Je ne te dérange pas ?
— Non, non.
Toujours un peu déconcertée par ma présence, elle mit du temps à réagir.
— Je te sers un thé ? prposa-t-elle.
— Avec plaisir.
En silence, je l'aidai à préparer deux tasses et elle sortit une boite de petits gâteaux.
— Je suis surprise de te voir, me confia-t-elle.
— Je ne savais pas comment m'y prendre pour venir vers toi et... j'ai eu une dure journée, me confiai-je en retour. J'avais besoin de voir ma meilleure amie.
À ces mots touchants, Rosalya posa la bouilloire qu'elle tenait et se tourna vers moi, émue. Elle aussi avait besoin de parler, de se justifier et j'étais prête à l'écouter.
— Je suis désolée Milla pour cette soirée stupide ! Je n'aurais jamais dû raconter tout ça à Ambre mais j'avais trop bu et...
— Ne t'en veux plus pour ça, la rassurai-je. Quand j'ai compris que Nathaniel savait pour mon père, c'était comme si tout s'était débloqué dans ma tête et j'ai enfin pu en parler aux autres. Ce qu'ils m'ont dit, leurs mots... eh bien... Ça m'a fait du bien. Donc finalement, je te remercie.
Soulagée, ce fut elle qui me prit dans ses bras pour me serrer fort. Cette révélation avait été un mal pour un bien et j'avais mis du temps à le comprendre.
— Tu m'as dit que tu que tu avais eu une longue journée, renchérit-elle en portant les tasses au salon.
— M'en parle pas. Ce matin, je me suis pris un avertissement comportement à l'université et j'ai perdu mon directeur de mémoire.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu as encore fait ? me gronda-t-elle.
— Mais rien ! Mélody a cru que je draguais M. Zaïdi, tu sais, mon directeur de mémoire dont elle est aussi l'assistante.
Rosalya hocha la tête en buvant une gorgée de thé.
— Eh bien, elle m'a insultée et s'est jetée sur moi dans le couloir de la résidence. Le responsable administratif a dû nous séparer.
Je lui expliquai les conséquences de ce geste et mes appréhensions quant à la réussite de mon année.
— Oh la garce... Tu sais, elle va aussi se faire souffler dans les bronches par ses parents. Ce sont eux qui payent la fac et une chambre individuelle dans la résidence. Ils ont largement ouverts les vannes pour qu'elle réussisse mais ils peuvent aussi resserrer les cordons de la bourse.
— Je ne savais pas. Financièrement, je ne crains aucune remontrance de mes parents mais ils vont aussi me recadrer sérieusement.
— Et est-ce que ce M. Zaïdi mérite d'avoir un autre « avertissement comportement », sourit Rosalya au dessus de sa tasse.
Sa remarque me fit ricaner mais je hochai la tête. Mes études primaient avant les amours et je ne voulais pas me mêler de la vie sentimentale compliquée de mon professeur.
— Et toi avec Leigh, ça va mieux ? demandai-je à mon tour.
— Eh bien en début de semaine, je voulais aller manger à l'italien au soir. Il était d'accord. Je m'étais faite belle et à la dernière minute, il a préféré faire livrer...
Je fis la grimace, ce n'était pas la bonne réponse à fournir.
— J'étais folle ! Je lui ai dit que toute son attention était tournée vers sa boutique et que j'avais l'impression de ne plus compter du tout...
— Et ?
— Je pense qu'il a compris mon mal-être et mon sentiment d'insécurité. Il s'est excusé. On a quand même fait livrer mais demain, on part pour quelques jours à Sainte-Maxime.
— Ouah, chanceuse ! Je suis contente pour toi, pour vous. Ça va vous faire du bien.
On resta à discuter tout le reste de l'après-midi et Rosalya insista pour que je reste manger au soir avant de rentrer.
À mon retour à la résidence, Yeleen était dans la chambre, en train de préparer sa valise. Comme d'autres étudiants et notamment Chani, ma colocataire rentrait chez elle pendant les vacances. Elle me jeta un coup d'oeil alors que d'un soupir, je m'affalai sur mon lit.
— Alors ? questionna-t-elle simplement pour en savoir plus sur ma sanction.
— J'ai eu un avertissement, Mélody aussi. M. Lebarde devient mon directeur de mémoire et elle, elle perd son travail s'assistanat... lui résumai-je en une phrase.
— Ouah, c'est dur...
— J'te le fais pas dire.
— Tu penses que M. Zaïdi accepterait ma candidature pour prendre le poste ? suggéra Yeleen.
— Je pense qu'il n'est pas prêt de reprendre un assistant...
Yeleen ferma sa valise tout en réfléchissant sérieusement à la proposition. Elle ne perdait définitivement pas une occasion de gagner des points...
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[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]Trauma
FanficMilla revient à Saint-Amour après trois ans d'absence. Elle retrouve Rosalya, Alexy et quelques autres amis du lycée. Par contre, elle ne pensait jamais revoir Nathaniel, ni même lui dire pourquoi elle avait été obligée de partir à l'époque.