Chapitre 1

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Cinq heures trente. La sonnerie de son réveil la tira d'un sommeil qui, dans tous les cas, ne la reposait pas. Il était devenu difficilement supportable de s'endormir ces jours-ci... Dans la pénombre d'une chambre de lycéenne, une jeune fille resta encore quelques dizaines de secondes étendue dans le noir, haletante, les yeux grands ouverts fixés sur le plafond. Elle respirait avec difficulté et son cœur faisaient un vacarme énorme à ses oreilles. Les murs semblaient tourner autour d'elles. Elle attendit encore quelques minutes, laissant sa respiration se calmer. Elle avait le visage trempé de sueur, et elle tremblait. Dans un effort pénible, elle se leva, fatiguée. Ce rêve l'épuisait, elle n'osait plus s'endormir le soir, parce qu'elle savait qu'elle le referait si elle acceptait de baisser sa garde. Elle luttait tous les soirs pendant plusieurs heures, puis elle s'écroulait sous les coups de la fatigue et elle fermait les yeux, et le cauchemar commençait. Et le matin elle se levait, haletante, en criant son nom, en le répétant jusque dans un murmure, une, deux, trois fois, le temps de revenir à la réalité. Ce n'était qu'un rêve, rien qu'un rêve. Un rêve épuisant, terrifiant, affreusement réel mais rien qu'un rêve. Ce n'était pas réel. Il allait bien, parce que dans cet horrible cauchemar c'est elle qui lui faisait du mal. Et elle ne pourrait jamais lui faire de mal. Pas à lui.

Elle marcha jusqu'à son velux qu'elle ouvrit haut. Elle aimait l'endroit où elle avait grandi. Une résidence, une enfilade d'immeuble de quatre à cinq étages, ça dépendait des rangées, avec, sur le toit, des barrières qui permettaient de monter sur les toits plats et respirer l'air frais. Et c'est ce qu'elle faisait chaque matin. Elle posa ses paumes sur le toit, se hissa par la force des bras et se retrouva perchée à douze mètres de hauteur au-dessus d'une résidence qui dormait encore. Elle habitait à vingt minutes à pied de son lycée, et encore c'était quand elle marchait lentement. Vu la qualité de son sommeil elle pouvait bien sûr s'offrir une heure de sommeil en plus, mais elle ne le faisait pas, parce qu'elle ne pouvait pas commencer une journée sans ça ; le lever du soleil. Il se levait tard l'hiver mais tôt l'été. Nous étions en octobre, elle avait encore le temps, mais cinq heures à cela de magique quand on est réveillée ; la ville dort encore et vous êtes là, au sommet de votre monde, et vous les contempler, et vous voyez des choses qu'ils ne voient pas. Vous vous dites que vous avez le contrôle un petit peu, que rien ne peut vous atteindre puisque ceux qui vous menacent rêvent encore. Se lever aussi tôt malgré la fatigue était bien sûr une mauvaise chose, surtout parce que ce n'était pas nécessaire. Mais la vérité, c'était qu'elle avait la sensation d'avoir le contrôle sur sa vie lorsqu'elle faisait cela. Le contrôle. Ce besoin inutile et pourtant si présent, et chez tellement de monde.

Elle était épuisée, mais heureuse, encore un peu, pendant qu'il dormait, lui. Il dormait paisible, elle en était sûre, et c'était avec cette pensée qu'elle se rassurait à chacun de ses réveils. Parce qu'il fallait bien se raccrocher à quelque chose. Elle tremblait pour lui, toute les nuits. Son ventre se tordait quand elle l'entendait dire qu'il avait mal dormi, qu'il avait mal quelque part. Parce qu'elle avait peur que tout soit vrai. Qu'elle se réveille un matin en lui ayant vraiment fait du mal. L'idée qu'il lui arrive quelque chose lui était insupportable, mais l'idée qu'elle en soit responsable était encore pire.

Le monde autour d'elle se réveillait doucement. Il était six heures du matin, et les lueurs de l'aube faisaient déjà place à un timide soleil, lointain, mais prometteur. Les lumières des fenêtres s'allumaient les unes après les autres mais elle resta encore un peu. Sur sa droite, un velux s'ouvrit en grand, comme pour aérer une chambre. Et comme chaque matin, après avoir attendu ce geste, elle redescendit dans sa chambre, rassurée, et commença enfin à se préparer à cette nouvelle journée.

***

Sept heures trente. Elle ferma la porte, prit son téléphone et lança sa chanson préférée en dévalant les escaliers. Sting l'apaisait. Cette chanson, en particulier, l'apaisait. Elle lui rappelait un été, quand elle était enfant. Le dernier été avant que le cauchemar commence.

He deals the cards, as a meditation

And those he plays never suspect

He doesn't play for the money he wins

He don't play for respect

Et comme elle le faisait exprès chaque matin, elle attendit deux minutes encore. Sept heures trente-trois. Et il fit exactement ce qu'il faisait chaque matin à cette heure ; la porte du numéro trente-deux, la montée d'à côté, s'ouvrit sur un pas fier, un garçon d'un mètre soixante-dix-huit, silhouette qu'elle connaissait à présent par cœur. Elle l'adorait, et le regardait partir ainsi tous les matins avant de marcher à son tour, et que le bruit de ses talons ne le fasse se retourner. Et là, il avait ce sourire qu'elle aimait tant, s'arrêtant, attendant qu'elle arrive à sa hauteur.  "Salut ! Bien dormi No ?"

Et son cœur s'apaisait. Il allait bien, il souriait. Pas une marque sur son visage, ni à sa poitrine. Pas de sang, pas de trace d'une éventuelle agression, rien qui semblait pouvoir troubler ce garçon si parfaitement imparfait. Alors, une fois assurée que rien n'avait changé, elle lui offrit son sourire le plus grand et lui répondit qu'elle allait bien, que tout allait bien, que tout était parfait. Il se mit en route en direction de leur lycée, et elle le suivit.

Comme tous les matins depuis 10 ans. Lui un peu en avant, elle légèrement derrière. Chaque matin. A la même heure, à la minute près. Comme deux horloges parfaitement réglée, donnant exactement la même heure, dans un même battement, deux horloges parfaitement coordonnées et semblant pourtant être faites d'un bois parfaitement différent.

Pulsions - en réécriture -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant