Chapitre 7

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"Tu sais, pour Gaël non plus c'est pas simple en ce moment. Il sort de quelque chose de pas évident. Je ne sais pas s'il t'a dit..."

Non, il ne lui avait pas dit. Mais elle savait déjà. Elle savait que la vie de Gaël était compliquée, parsemée de trous noirs, un peu comme la sienne en vérité. Elle était allongée à même le sol, et fixait le plafond. Elle sentit que Gaël s'allongeait à sa gauche, et posait les yeux sur le même point au plafond.

"Qu'est-ce que tu contemples cette fois ?

- Nous.

- Nous, qui ça nous ?

- Toi et moi. Depuis 10 ans on est l'un à côté de l'autre en permanence et pourtant c'est comme si on ne voulait pas exister pour l'autre, tu n'as jamais remarqué ?

- Non, pas vraiment...

S'en suivit un silence. Noée posa sa main à côté d'elle, jusqu'à venir effleurer la peau de Gaël, sans oser s'en saisir. Puis elle ajouta, comme pour elle-même :

- Pourtant on est sortis ensembles quand même. Je me dis chaque semaine que ce n'est pas le moment. Trop tôt ou trop tard.

- Trop tard pour quoi ?

- Trop tard pour tout te dire.

- Dis-moi alors. Je suis là, on est allongés par terre, on regarde le plafond. On a tout le temps du monde.

- Te dire...

Te dire pardon déjà. De ne pas réussir à tourner la page, de toujours la relire, d'avoir peur que l'encre s'efface. D'avoir peur que tu effaces l'encre toi-même, que tu utilises notre page pour y écrire d'autres mots. Pardon d'avoir peur que tu n'arrives pas à me relire, ou que tu n'en aies plus envie. Pardon de ne pas accepter que tu puisses n'en avoir plus envie. Pardon d'oublier qu'il y a deux Gaël aussi, et que le Gaël de ma mémoire ne peut pas être le Gaël de la vie de tous les jours. Pardon de trop parler de mon souvenir à trop de monde, et d'oublier que c'est de toi que je parle, ou du moins que c'est toi qu'ils imaginent. Pardon de trop t'imaginer. Pardon de refuser d'arrêter. Pardon de ne pas me faire à l'idée que tu ne m'aimes pas alors que c'est ton droit le plus profond, et heureusement.

Mais t'expliquer pourquoi je n'y arrive pas aussi. T'expliquer que je n'arrive pas à imaginer autre chose que toi pour se loger dans le vide que chaque facette de toi cause un peu plus dans mon cœur année après année.

Te dire aussi que pour moi aussi c'est dur de savoir que tu ne vas pas bien. Que tu vis des temps compliqués. Parce que ce sont eux qui me rendent le plus triste. Toutes ces choses qui te blessent me blessent aussi, parce que je t'aime pour ton sourire et parce que le fait que tu ailles mal éloigne toujours encore un peu plus ton sourire de cette ville. Et qu'en décembre, un peu de chaleur, c'est primordial.

Te dire que je ne sais pas si j'ai envie de me croire quand je me dis que je vais t'attendre, alors que toi tu es déjà parti. Comme si j'attendais devant des portes fermées, et qu'elles ne s'ouvriraient jamais sur toi, parce que tu es déjà parti. Combien sortent par cette porte et passent à côté de moi que je ne vois pas, parce que j'ai les yeux rivés sur elle, me disant que le prochain à sortir ce sera toi ? Et pourtant oui, j'ai envie de t'attendre. Peut-être aussi parce que j'ai peur d'attendre quelqu'un d'autre, qui me fera attendre plus longtemps, quelqu'un qui peut-être me fera attendre dans une nuit plus noire et dans un froid plus violent encore. Peut-être. Je ne sais pas.

Toujours est-il Gaël que je t'attends, sans vraiment me l'expliquer. Mais oui, je t'attends."

Pas de réponse de l'autre, à côté d'elle, qui fixait toujours le plafond, les lèvres jointes, du moins c'est ce qu'elle pouvait supposer, n'osant pas le regarder, terrifiée à l'idée qu'un seul contact de leurs regards forcerait l'un d'eux à s'enfuir, à ne pas dire ou écouter la suite.

"Je t'attends. Enfin est-ce que je t'attends vraiment, ou est-ce que je ne peux juste pas tourner les talons... J'ai l'impression d'avoir marché tellement longtemps Gaël. Tellement longtemps. De m'être tellement de fois trompé de porte. Je pensais tellement que cette fois la porte s'ouvrirait sur un visage connu et amical...

Peut-être que si je ne la ferme pas cette page, c'est parce que j'ai peur de ne pas savoir quoi écrire sur la prochaine. Parce que je n'ai plus la force de chercher les bons mots pour en commencer une autre. J'en ai écrit tellement des pages, et qui se ressemblent presque toutes... Comment veux tu que je trouve suffisamment d'idées pour tenir le livre entier. La première, deuxième, seulement troisième page peut-être parle déjà de toi. Je l'ai tourné et j'ai à nouveau parlé de toi. Puis j'ai tourné cette nouvelle page et j'ai à nouveau parlé de toi sur la suivante, et ainsi de suite. Faut-il vraiment changer de page si c'est pour à nouveau parler de toi ou pire, pour ne parler de rien ? Regarder les mots s'écrire tous seuls, et regarder de l'extérieur, comme si ce n'est pas moi qui écrivait, et les lire seulement une fois qu'ils sont déjà écrits, sans en comprendre le sens ni me souvenir du sentiment de la plume qui les trace sur le papier ?

Te dire... te dire certainement encore des dizaines de choses auxquelles je pense à des moments où je ne dois pas y penser. Comme hier par exemple, quand j'ai quitté la salle de partiels avec presque deux heures d'avance, des larmes dans la gorge, ne pouvant plus continuer parce que je t'avais dit une partie de tout ça, et que mon rythme cardiaque bien trop élevé m'empêchait de m'écouter penser.

- Tu n'as pas fait ça...

- Bien sûr que si j'ai fait ça. Mais ça ne me choque pas que ce soit ta seule réaction.

- Pourquoi ?

- Je...

- Dis-le Noée.

- Dire quoi ?

- Dis-moi pourquoi je ne peux pas réagir autrement.

- Parce que je savais que tu me parlerais de ma copie. Ce que tu dirais si je t'avouais que j'étais sortie si tôt.

- Dis-moi aussi pourquoi je ne réagis pas sur tout ce que tu viens d'avouer.

- Parce que je ne peux pas prévoir ce que tu vas dire.

- Et dis-moi pourquoi tu dois pouvoir prévoir ce que je vais dire pour que je le dise.

- Parce que...

- Noée..."

Elle tourna la tête vers la gauche, et serra la main, ne rencontrant que du vide. Parce qu'il n'était pas vraiment là. Parce que ses yeux contemplaient à présent le mur blanc, désespérément blanc. Parce que Gaël n'avait jamais été là, aujourd'hui, dans cette pièce. Avait-il seulement déjà été là ?

Pulsions - en réécriture -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant