Chapitre 13

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« GAËL ! » Il se retourna. C'était la quatrième fois de la semaine, et ce n'était que mardi, qu'elle l'interpellait et toujours, toujours pour lui demander la même chose.

« Qu'est-ce que tu veux... encore ?

- Tu sais très bien ce que je veux. Je voulais la même chose ce matin, et hier soir, et hier matin aussi.

- Noée, tu sais que je ne te le dirai pas.

- Gaël, tu sais que je vais te le redemander.

- Noée, tu sais qu'il est hors de question que tu le saches.

- Gaël, tu sais que si tu ne le voulais pas, tu ne te retournerais pas.

- Noée, tu sais que si je ne me retournais pas tu continuerais à m'appeler.

- Gaël, tu sais que si tu ne me le dis pas je continuerai à t'appeler.

- Noée...

- Gaël...

- Noée plus sérieusement, je ne peux vraiment pas te le dire. Je n'ai pas envie de le dire à quelqu'un pour l'instant, et j'aimerais que tu gardes mon secret.

- Gaël, bien sûr que je vais le garder. Mais... là il n'y a pas de secrets à garder, je ne sais pas de qui tu es amoureux.

- Je ne suis pas...

- Si. Tu l'as écrit toi-même. « Que tu me plais, beaucoup. »

- Tu t'en souviens ?

- Ce genre de phrase, ça marque... Surtout quand elle est adressée à quelqu'un qui n'est pas elle.

- Dans tous les cas je ne... enfin elle me plaît mais jamais je n'ai dit que j'en étais amoureux. Bien sûr.

- Si ce n'était pas ce l'amour, est-ce que vraiment tu écrirais une lettre que tu garderais chaque jour dans ta poche en espérant, comme tu dis, qu'elle la lise un jour ?

- Écoutes, je ne comprends pas ce qui se passe, ce qui m'arrive et j'espère terriblement mais sincèrement qu'elle se pose des questions elle aussi. Gaël prit une grande inspiration, et la regarda droit dans les yeux, comme pour chercher comment continuer.

Quoi qu'il en soit, je ne veux pas que quiconque sache que... enfin tu vois.

- Alors je ne révélerai jamais ce qu'il y a de meilleur en toi...

- Voilà que tu te prends pour Dumbledore maintenant ! »

Peut-être qu'elle se prenait pour Dumbledore, mais ça avait au moins eu le mérite de le faire sourire. Cela faisait plus de deux mois qu'elle le harcelait avec la lettre qu'elle avait découverte. Elle voulait savoir. Qui était cette fille ? Qui était-elle ? Elle cherchait parmi toutes celles qu'ils connaissaient, de l'orchestre, de leur classe, de leur école, du conservatoire, de la ville. Elle ne trouvait pas. Et cela l'obsédait. Qui l'avait remplacé dans le cœur de Gaël ?

« Noée ? Tu entres ?

- Oui, j'arrive. »

Mardi, jour qu'elle adorait avant devenait un supplice depuis plusieurs semaines. C'était la troisième semaine consécutive qu'elle passait à repousser ce mardi soir, ces quarante-cinq petites minutes qu'elle passait avec Gaël en cours à deux, à travailler un duo qu'elle connaissait par cœur. Et ce soir-là avait une saveur particulière. Celle de la honte. Il lui avait parlé le matin même. Pour lui dire des choses qu'il ne semblait vouloir révéler à personne. Et qu'il lui avait révélé. En partie seulement. Simplement celle qu'elle ne voulait pas. Depuis leur discussion à propos de Shaun et sa rupture avec Clémence, la relation de Gaël et Noée s'était peu à peu dégradée. Gaël en avait assez d'entendre parler de la mystérieuse destinataire de sa lettre, et Noée en voulait au jeune homme d'en aimer une autre, aussi injuste que soit cette colère. Ainsi les deux jeunes gens se parlaient de moins en moins, et ce mardi avait été désespérant. Ils s'étaient à peine salués le matin même, ne s'étaient pas adressé la parole et n'étaient par conséquent pas venus ensemble.

« Tu sais à quelle heure Gaël est censé arriver ? Il a vingt minutes de retard et ça ne lui ressemble pas.

- Je t'avoue que je n'en sais rien du tout !

- Il était là ce matin ?

- Oui, il était là. Il allait bien.

- Bon, on va commencer sans...

- Excusez-moi du retard.

- Frappe avant d'entrer imbécile !

- Gaël ? On peut savoir pourquoi tu arrives si tard ?

- Pardon, il y avait des bouchons... Des bouchons sur le chemin de quelques centaines de mètres qui séparent leur Résidence du conservatoire ?

- Pas de soucis. Installe-toi vite, il nous reste moins d'une demi-heure. »

Gaël posa sa boîte à côté de la sienne, presque violemment. Manquant presque de faire tomber sa boîte. Complètement dans la lune. Elle le fusilla du regard avant de se tourner vers la partition. Gaël prit un pupitre dans le fond de la salle et s'installa à quelques mètres d'elle. Pour la première fois depuis plus de deux mois. Aude, sans plus se poser de questions, reprit le déroulement de son cours. En se demandant peut-être ce qui leur arrivait mais sans le formuler clairement, elle leur fit simplement le reproche d'être complètement ailleurs et de ne pas être concentrés, puis les libéra avec dix minutes d'avance au bout de seulement un quart d'heure, en leur faisant remarquer qu'il valait peut-être mieux qu'ils se reposent. Mais le repos n'allait aider ni l'un et l'autre, ils n'avaient pas besoin de repos. L'une se sentait trahie, l'autre se sentait nu. Il n'avait pas assez parlé, elle en avait trop entendu. Aucun des deux n'alla à l'orchestre ce soir-là, et ce n'était peut-être pas plus mal. 

Pulsions - en réécriture -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant