Chapitre 21

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Dans les jours qui suivirent, chaque fois que Noée se tournait vers Gaël il évitait son regard. Elle, persuadée qu'il l'évitait parce qu'elle lui avait reproché de partir, n'allait pas vers lui. Lui, terrifié à l'idée de ce qu'il avait pu ressentir en la voyant ainsi sembler souffrir, n'allait pas vers elle. Et pourtant, entre eux, quelque chose avait changé. Aucun des deux ne parlait plus de l'autre. Plusieurs fois Elian avait tenté d'évoquer le sujet avec elle, elle l'avait sans cesse envoyé balader. Quant à Gaël, ce n'était même pas la peine d'y penser. Ce qu'il ressentait était rarement perceptible, et ce secret-là était celui qu'il s'était le plus juré de protéger. Personne ne devait rien en savoir, jamais. Mais lorsqu'ils se regardaient, trop soudainement pour éviter que leurs yeux ne se croisent, alors il y avait cette tension, si forte qu'elle était perceptible de l'extérieur. Quelque chose qui semblait les attirer l'un vers l'autre, quelque chose de si puissant que cela les rendait fous. Lorsqu'ils sentaient cette tension ils s'écartaient l'un de l'autre, presque horrifiés de produire cet effet-là. Et pourtant, une fois ce lien rompu, du moins jusqu'au prochain regard, ils tremblaient et se sentaient comme deux addicts en manque. Et la nuit....

La nuit Noée ne trouvait pas le sommeil avant 3h du matin. Elle dormait deux heures chaque nuit, d'un sommeil terriblement agité. Elle ne faisait plus ce rêve qui avait troublé son sommeil chaque nuit les six mois précédents. Non à présent... à présent, ces rêves étaient peuplés d'images trop, bien trop intimes, bien trop réelles. Et tout son être passait ces deux petites heures à s'abreuver de ces images, jusqu'à plus soif, encore et encore. Son corps tout entier appelait à se souvenir de ces mirages de caresses, à cette fausse chaleur qui l'irradiait, toujours plus, tant qu'elle ne parvenait plus à respirer. Elle revoyait, chaque fois qu'elle le regardait, ses mains à elle dans ses cheveux à lui, lissant ses boucles, s'agrippant à lui comme une damnée, elle revoyait ses yeux fous, elle le sentait contre elle, et tout cela semblait trop à supporter. Elle s'épuisait à dormir si mal, et pourtant rien au monde n'aurait pu, pour elle, remplacer ces longues nuits. Et chaque matin, lorsque son réveil sonnait, elle enfouissait la tête dans son oreiller, se bouchait les oreilles et fermait les yeux, cherchant encore quelques secondes à retrouver ces images qu'elle ne pouvait pas quitter. Mais ces images étaient vite remplacées par celle d'un Gaël froid et triste, lui tournant le dos et s'éloignant vers la porte d'entrée de la salle de spectacle.

La nuit Gaël ne trouvait pas le sommeil avant 3h du matin. Il dormait deux heures chaque nuit, d'un sommeil terriblement agité. Il rêvait, pour la première fois depuis six mois, de la même chose chaque soir sans un jour de répit. Son sommeil était peuplé de sensations qu'il ne s'était jamais autorisé à ressentir pour elle, trop effrayé peut-être par ce qu'il lui assimilait. Il avait rencontré Noée lorsqu'il était un enfant et dès lors elle n'était jamais restée que cette enfant justement. Il ne pouvait s'empêcher de la voir autrement, jamais elle n'avait été une jeune fille comme celles qu'il avait rencontré depuis. Elle était un souvenir, un souvenir dont, pour être honnête envers lui-même, il était amoureux. Mais même cela il avait refusé longtemps de l'admettre. Mais depuis qu'il l'avait vu danser, depuis qu'il avait vu son corps parler... Quelques jours durant, il a cru que c'était la danse et ce qu'il avait ressenti au fond de son cœur qui le tourmentaient. Comme si elle lui avait parlé, comme s'il y avait un sentiment à comprendre. Mais ce qu'il y avait à comprendre, c'est qu'elle avait grandi. Ce corps de jeune fille, il n'avait pas pu s'empêcher de le regarder. Et la vérité lui avait éclaté au visage. Elle avait grandi. Elle avait évolué, et pour se l'avouer à lui-même, pas de la plus laide des façons... Et ces sensations qui s'emparaient de lui, lorsque le noir tombait autour de lui, n'auraient pas été pour lui déplaire si seulement ce n'était pas elle. Si cette bouche n'était pas la sienne. Si ces yeux n'étaient pas les siens. Si ces mains n'étaient pas les siennes. Ce rire. Cette voix. Elle, encore elle. Toujours plus d'elle. Et chaque matin, au réveil, il ne se souvenait que du fait que c'était elle. Mais il se souvenait aussi de ses grands yeux qui l'avaient regardé s'éloigner, lui tourner le dos, s'enfuir, trop peureux, trop effrayé des mots qu'il s'apprêtait à lui dire, ce soir-là.

Ce soir-là, et celui de la soirée chez Marion, et celui où ils avaient prit le bus ensemble pour rentrer, et chacun des soirs où il s'était retrouvé plusieurs minutes seul avec elle. Toutes ces fois où sa bouche avait tenté la sienne, toutes les fois où il avait vu défiler devant lui des centaines d'images d'un éventuel après. Mais au fond de lui il savait pourquoi il n'avait jamais fait basculer ces images dans le vrai. Parce que si jamais il faisait de ce désir une réalité il ne se serait pas arrêté. Il se connaissait. Il l'aurait anéantie, consumée, sans pouvoir s'arrêter. Il l'aurait marquée à jamais, ou du moins il aurait essayé. Elle, il s'en serait enivré. Il s'en enivrait déjà, mais cette ivresse était sage, trop sage, et bientôt elle ne lui suffirait plus.
Il avait failli craquer, une fois. Sur ce balcon chez Marion. Avec l'alcool et la cigarette il ne réfléchissait plus assez. Alors il l'avait approché... et une fois près d'elle, il n'avait pas pu résister. Il s'était rapproché encore, et encore. Mais si près de ses lèvres, il avait été frappé par une conscience froide. S'il craquait, alors il ne s'arrêterait plus. Alors il s'était reculé, soudainement, s'était jeté près de la fenêtre et avait accroché son regard à ce qu'il pouvait, la première chose qui s'était détaché dans la nuit. Mais il n'avait pas réussi à se concentrer sur elle, et dans sa tête, il la revoyait, l'épaule dénudée, sa veste, sa veste à lui, autour d'elle, ses cheveux défaits, et ses lèvres qui se rapprochaient de lui, avec ses grands yeux qui ne quittaient pas les siens. Il avait encore en tête les éclats de son rire, et il devenait fou. Alors quand il avait entendu sa voix, il l'avait repoussée, il s'était protégé. Mais il l'avait vu partir. Il l'avait vue, assise une dizaine de mètres plus bas, seule avec la neige qui tombait autour d'elle. Alors il était descendu, et avait tout fait pour la retenir près de lui, égoïstement. Parce qu'elle ne pouvait pas partir loin de lui, cela c'était impossible. Et même si c'était profondément égoïste, il ferait tout pour que cela n'arrive jamais.

Pulsions - en réécriture -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant