Chapitre 10

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Oui, son plan était parfait, à un point près. Sa mère devait récupérer quelque chose chez Gaël, et avait la flemme d'y aller, et l'y envoyait, elle.

Gaël ne savait pas qu'elle n'était plus avec Louis. Parce qu'il n'existait pas, ce qui était une excellente raison de ne pas savoir. Après qu'il l'ait repoussé une nouvelle fois, deux mois auparavant, elle avait inventé ce faux petit copain. Et elle allait lui raconter qu'ils emménageaient ensemble, ce qui n'avait aucun sens. Et puis Louis, quel prénom stupide, Louis. Mais il faisait l'affaire. Ce nom lui était sorti alors qu'elle le croisait, un samedi soir, en sortant se bourrer la gueule dans une soirée au pif, justement pour oublier qu'elle était seule.

"C'est mon mensonge le plus fou. Je me rappelle de ce soir-là. J'avais repris contact avec Eleen qui m'avait envoyé chier, prétextant que je ne me souciais plus ni d'elle ni de Lucie – et cela dit elle n'a pas vraiment tort. On ne s'appelait plus, on ne prenait plus de nos nouvelles respectives. Shaun me manquait lui aussi, il était loin, sur un projet, je ne sais plus lequel. Il ne pouvait plus me répondre, trop occupé à faire plein de choses sans doute passionnantes. Et j'étais seule, et j'avais envie de boire.

Et puis il y avait eu cet étudiant de ma FAC qui avait posté une story sur instagram. "Soirée chez Louis ce soir, ramenez-vous les L3 !" Alors j'avais décidé de me ramener. J'avais tout fait péter, les talons, le rouge à lèvres, et surtout j'avais fait disparaître tous les remords du monde, avec une seule intention en tête ; mettre le grappin sur quelqu'un, fille ou garçon, rentrer avec iel, coucher avec iel, et repartir le lendemain, bourrée et en ayant oublié son nom. Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait ça – depuis ma première rupture avec Gaël en fait. Mais ce soir-là, j'en avais envie. Alors j'avais pris l'ascenseur, et en sortant de l'immeuble, j'étais passée devant son allée et j'avais jeté un œil vers son entrée, comme d'habitude. Mais il était là, et il m'avait regardé passer, avec un regard... Comment décrire ses yeux. Je n'en sais rien. Je ne sais pas trop à quoi je ressemblais, à travers ses yeux. Il m'a demandé chez qui j'allais, et je lui ai dis

"Chez Louis.

- Louis ?

- Ouais, Louis. Mon copain."

C'était sorti tout seul, j'avais envie de lui dire ce soir-là que je m'étais faite belle parce que j'étais heureuse et que j'allais retrouver un chéri imaginaire. Ça n'avait aucun sens. Je ne savais même pas qui était Louis. J'avais tapé son adresse sur Google Map. Je connaissais à peine le mec qui nous avait ramené d'ailleurs. Je lui avais juste envoyé un DM "toujours bon pour chez Louis ?" "Ramène une bouteille, et c'est toujours bon." J'avais une bouteille, c'était bon. C'était tout ce que j'avais besoin de savoir. Mais à Gaël, j'avais besoin de mentir.
Parce que quand on a 21 ans, et qu'on croise son ex, on ne lui dit pas que c'est pour aller se bourrer la gueule en tentant de l'oublier dans les draps d'un coup d'un soir.
Même si c'est effectivement ce qu'on va faire. Il a sourcillé quand je lui ai dit ça. Il ne m'a sûrement pas cru. Mais tant pis. Dans les jours qui ont suivi, il m'a demandé des nouvelles de Louis. Louis est devenu le copain parfait, il était merveilleux, gentil, et surtout, aimant, amoureux. Oui, vraiment, il était devenu idéal. La vérité ? Non, la vérité c'est qu'à cette soirée je n'avais pas rencontré Louis. J'avais couché avec une Louise, par contre, enfin je crois. J'avoue que je ne sais plus vraiment."

Alors, elle l'inviterait à la rejoindre le dimanche soir, mais avant ça elle lui dirait qu'elle s'installait avec lui. Ça, ça c'était un plan parfait. "Hey Gaël, tu me rejoindrais dans une salle dimanche soir, à une heure où il n'y a personne ? Simplement pour discuter, je m'installe avec mon chéri juste après. Ok ? Et bah, super, à dimanche !"

Et en partant elle récupérerait ce fond pour l'asso de sa mère, et parfait, ni vu ni connu, un plan sans accroc. Sans accroc.

***

"Noée ! Entre ! Entre, ta mère m'a prévenu.

- Oh mais vous sortez Isabelle ? Attendez mais je vais rentrer chez moi, je reviendrais plus tard...

- Non Noée. Reste, je... j'ai besoin de ton aide sur un truc.

- Voilà ! Reste là ma belle, je n'en ai que pour une vingtaine de minutes... À tout à l'heure !

- Non mais Isabelle..."

Trop tard. Elle avait fermé la porte, et Noée se retrouva seule avec Gaël.

"Alors tu avais besoin d'aide...?

- Non. Je voulais un prétexte pour que tu restes. On doit parler.

- Je n'ai pas envie de parler avec toi.

- Bien-sûr que si tu en meurs d'envie. Et moi aussi. C'est pour ça qu'on est là.

- Plantés dans ton entrée en attendant que ta mère rentre pour que je puisse récuper ce que je suis venue chercher ?"

Gaël ne lui répondit pas et entra dans sa chambre. Elle avança doucement, un pas après l'autre, et posa sa main contre le chambranle de la porte. Elle n'était pas venue depuis plusieurs années, et ne pensait pas devoir revenir un jour...

"Qu'est ce que tu attends ?"

Elle entra, en regardant autour d'elle. Ce n'était pas ce à quoi elle s'attendait. Quand ils étaient petits, elle se souvenait d'à quoi ressemblait cette chambre. Le papier peint au mur ressemblait beaucoup à celui qu'elle avait quand elle était petite. Sauf que sur le sien il y avait des moutons, alors que chez lui c'était des vaches. Il y avait un ballon de foot dans le coin de sa chambre, le coin à côté de la fenêtre, sur la gauche. Le ballon était toujours là, et semblait aussi peu lui servir que lorsqu'il n'était qu'un petit garçon. Il y avait un immense tapis, qui représentait un circuit de voitures. Ils avaient passé des heures à faire des courses avec les petites voitures qui était rangées dans une caisse sur une petite étagère qui ne dépassait pas les 1m20. Aujourd'hui, le tapis avait été remplacé par un tapis blanc à rayures noires, modernes, qui n'avait plus cette âme délicate et enfantine qu'avait celui d'avant. La caisse n'était plus là, et d'ailleurs l'étagère avait changé aussi. C'était à présent une commode noire, haute d'un mètre cinquante. Dans le coin droit, opposé à la fenêtre, et donc à l'autre bout de la pièce par rapport au ballon, il se dressait un grand bureau blanc, parfaitement ordonné, avec des étagères accrochées au dessus, où s'alignaient des classeurs colorés. Ça ne ressemblait pas à la chambre qu'elle imaginait en le regardant.

"Tu as finis ta petite observation ? On peut discuter maintenant ?

- On peut discuter... ta chambre ne ressemble pas à...

- Qu'est-ce qu'on s'en fout de ça. Je veux te parler.

- Oui Gaël ! Je suis là pour ça, alors parle moi !

- Pourquoi ?

- Pourquoi quoi ?

- Pourquoi on a passé six ans à s'installer l'un en face de l'autre à se regarder sans rien se dire ? Pourquoi on a passé six ans à se bousculer dans les couloirs "sans faire exprès" mais sans dévier de notre chemin en voyant arriver l'autre en face de nous ?

- Peut-être parce que tu es un imbécile ! Ce n'est pas moi qui t'ai ignoré la première.

- Oh bien sûr, c'est vrai que ça fait des années que tu essaies de me parler et que je t'ignore !

- Ah parce que c'est ma faute du coup ?"

Les esprits s'échauffaient. Ils se regardaient, tous les deux debout dans la chambre parfaitement ordonnée. Ils se fusillaient du regard, et la rancœur éclatait enfin entre eux, après six ans de silence.

Pulsions - en réécriture -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant