Chapitre 1

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Noée se réveilla brusquement, fixant le plafond les yeux grands ouverts, le cœur battant à tout allure. Depuis sa rupture avec Gaël, six mois auparavant, elle n'avait plus jamais rêvé de lui. Elle n'y avait plus beaucoup pensé non plus, en vérité. C'était la première fois... Pourquoi avait-elle... ? Que voulait dire ce "c'est de ta faute" ? Son cœur battait à toute vitesse, elle avait peur. Sur son bureau, le carnet de ses rêves était resté ouvert depuis la veille, où elle consignait chacun de ses cauchemars. Elle y transcrivit celui-ci, tremblante. L'écriture en transparaissait, peut-être ne pourrait-elle jamais relire ces lignes, tant elle était terrorisée. Elle était terrorisée à l'idée de refaire ces rêves qu'elle n'avait plus fait depuis la fin de la terminale, deux ans auparavant. Gaël et elle étaient restés ensemble un an et demi ; c'était lui qui y avait mis fin. La peur de le perdre poussait Noée à exercer un contrôle presque constant sur sa vie, malgré elle. Elle avait besoin de s'assurer que personne ne le lui prendrait, mais aussi que personne ne lui fasse de mal. Elle lui demandait sans cesse s'il l'aimait, s'il était heureux avec elle, si un jour il la quitterait. Ils n'étudiaient pas au même endroit mais lorsqu'elle finissait avant lui elle l'attendait systématiquement, dévisageant chaque fille qui lui adresserait la parole. Eleen avait, autant qu'elle pouvait, tenté de lui faire comprendre qu'elle finirait par le faire fuir, mais elle ne l'écoutait pas, et Gaël avait bel et bien finit par la quitter, épuisé de l'attention constante que lui demandait cette relation, et qui empiétait sur sa seconde année universitaire. Ils arrivaient à la fin de leur seconde année, et ne se parlaient plus beaucoup, occasionnellement, lorsqu'ils se croisaient en rentrant du Campus. Ils rentraient de moins en moins ensemble, Gaël prenant généralement un bus qui passait une heure après celui de Noée, car il restait avec une jeune fille de sa promo. Elle s'en souvenait comme si les évènements dataient de la semaine précédente. Ça aussi, elle l'avait consigné, avec tout ce qu'elle avait pu regrouper et qui lui aurait permis de comprendre pourquoi elle rêvait de lui à nouveau.

***

"Juliette. Très discrète au début, elle s'était laissée approcher par son voisin de la première heure. Il avait été important pour Gaël de se trouver un.e ami.e différente de tous ceux qui avaient quitté la ville pour leurs études. Gaël, au contraire de moi, s'était ainsi retrouvé seul, avec simplement sa petite amie comme visage familier. Mais peu à peu il avait sympathisé avec d'autres, un certain Samuel notamment, qui était également devenu mon ami, musicien lui aussi ; et cette fameuse Juliette, étudiante avec lui également, passionnée de théâtre. Un concours d'écriture qui devait se dérouler jusqu'au milieu de l'année suivante les avait beaucoup rapprochés, Juliette s'étant lancée dans l'écriture d'une pièce de théâtre avec l'aide de Gaël. Tous deux étaient vaguement sortis ensemble quatre mois auparavant, quelques semaines, mais Juliette avait l'esprit ailleurs, occupé par un garçon qu'elle avait connu au lycée, et qu'elle souhaitait retrouver, et ils s'étaient donc séparés. Quant à moi, je flirtais depuis quelques semaines avec Samuel, mais très détaché et libre, il devait me donner du fil à retordre.

Quoiqu'il en soit, "Gaël et Noée" étaient, pour beaucoup, de l'histoire ancienne. Et c'est ce que je croyais aussi. J'ai crains, au début, que l'acharnement de mon cœur à lui rester attaché me poursuivrait pendant des mois, voire des années, comme lorsque nous étions au lycée.

Et pourtant, quelques semaines après ma rupture, je m'en étais finalement remise, et affichais ce qui semblait être une grande tranquillité d'esprit et un parfait détachement. Ou presque... de temps à autres j'avais du mal à feindre une parfaite indifférence, surtout lorsque c'est en compagnie de Juliette que je le croisais. Mais la plupart du temps... Aucun de nous n'avait arrêté de se rendre à l'orchestre, également. Nous nous y voyions ainsi une fois par semaine, et c'était le seul endroit où subsistait un peu de l'avant.

Mais ce rêve, ou ce cauchemar plutôt, était une réinsertion brutale du cas Gaël."

Et elle était terrorisée. Elle se leva, regarda l'heure. 4h30. Elle se leva, une demi-heure plus tôt qu'à son habitude. Elle avait encore changé sa manière de fonctionner, et dormait de moins en moins. Elle prit une douche, s'habilla, se maquilla, et regarda par son velux. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'était pas montée sur le toit. Six mois environ... Au matin suivant leur rupture, elle avait souhaité s'y rendre. Mais en regardant par ce même velux, elle l'y avait vu lui, et elle n'y montait plus, ne souhaitant plus le voir.

Elle s'assit à son bureau, ouvrant les cours de la veille, les relisant une dernière fois. Elle partit sans prendre le temps de manger quelque chose. Son rapport avec la nourriture, moins compliqué depuis qu'elle avait arrêté la danse, n'était pourtant pas encore tout à fait sain, et elle avait encore de nombreuses difficultés.
Il faisait vraiment froid ce jour-là. Noée se pressa contre la paroi de l'arrêt de bus, espérant peut-être échapper au vent glacial qui rugissait autour d'elle. Sortant son paquet de cigarettes de sa poche, elle en alluma une, se frottant les mains l'une contre l'autre, et regardant au loin, voir si le bus arrivait. Mais bien sûr, comme à chaque fois qu'elle voulait qu'il arrive vite, il semblait prendre son temps. Le jeune homme assit sur le banc à côté d'elle la dévisageait depuis une dizaine de minutes, mais elle ne s'en soucia pas. C'était très certainement dû à cet air maussade et fatiguée qui semblait se peindre sur son visage, ainsi que le regard noir qu'elle posait chaque matin sur n'importe quelle personne croisant son regard. Le matin, c'était son moment à elle. Un moment où elle pensait à sa vie d'avant, quelques minutes avant de retrouver cette nouvelle vie, qu'elle avait créé de toutes pièces. Des personnes qui composaient aujourd'hui sa vie, seuls Eleen, Shaun et Gaël la connaissaient depuis plusieurs années. Les autres... elle leur avait dit ce qu'ils avaient voulu entendre, et s'était créé le personnage d'une artiste constamment occupée, pourvue d'une grande culture et de peu de défauts. Un personnage sans nuances en réalité, qu'elle avait essayé de rendre parfait. Un personnage qui fascinaient beaucoup des étudiants qui allaient en classe avec elle, mais jamais d'une manière suffisamment chaleureuse pour que l'un d'eux se préoccupe de cette fille froide et détachée du monde. Par conséquent, elle avait beaucoup d'admirateurs, mais peu d'amis. Elle ne mangeait pas seule à la cafeteria, étant toujours entourée de quelques personnes ayant plusieurs questions à lui poser. Mais c'était là les relations les plus profondes qu'elle avait.

Voir Florent

Pulsions - en réécriture -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant