« Hey Noée attends-moi ! »
Elle ne voulut pas se retourner. Encore lui. Toujours lui. Partout. Résignée, elle regarda derrière elle, à la source de l'interpellation. Gaël rangeait un ballon dans son sac de cours et saluait ses amis d'un geste de la main, qui le regardèrent partir, moqueurs. Quittant le stade en courant pour la rejoindre.
« T'écoutes quoi ? Il prit son téléphone, et elle ne réagit pas, excédée, épuisée. Oh Sting ? Très bon choix, je valide ! Un peu triste, mais je valide ! C'est cool ça qu'on aime les mêmes trucs ! On va pouvoir parler musique !
Sans relever, prise d'un doute, Noée profita de le voir pour lui poser la question qui tournait dans sa tête depuis une quarantaine de minutes et à laquelle elle était presque sûre d'avoir la réponse.
- Gaël, c'est toi LE Gaël qui va jouer en duo avec moi pour l'examen de fin d'année ?
Souriant, Gaël se tourna vers Noée en marquant un arrêt. Effectivement, l'apprendre soudainement comme ça n'avait peut-être pas été une surprise agréable pour sa jeune voisine. Mais comment aurait-il pu l'annoncer autrement ? Lui dire qu'il avait insisté pour qu'elle soit sa partenaire pouvait, dans ce contexte, être un peu étrange. Surtout que, s'il était tout à fait honnête, il devait avouer que ce n'était pas que pour la qualité de son jeu qu'il voulait passer cette échéance à ses côtés.
- Ah Aude te l'a dit...? Alors, les cours du vendredi ?
- Mardi soir finalement.
- Mais il y a l'orchestre !
- Je sais, j'y suis aussi. Soupir... mais ce sera avant.
- Oh tu es à l'orchestre aussi !
Cette nouvelle, en réalité, n'était pas une surprise
- Yes. Bon, ce n'est pas tout ça, mais je vais me dépêcher de rentrer chez moi.
- Attends ! Il n'allait tout de même pas la suivre ?
- Oui ?
- Je peux te poser une question ?
- Non.
- ... Bon alors je te la pose quand même. Pourquoi avoir commencé le classique ? C'est quand même un peu nul comme danse. Le contemporain je comprends mais le classique... pourquoi tu fais cet enchaînement de mouvements tous aussi déprimants les uns que les autres, qui ne viennent pas de toi et qui ne te ressemblent pas ?
Estomaquée par sa question, elle marqua un arrêt. Il fallait avouer qu'elle ne s'y attendait pas ; sa question ne la déstabilisa pas pour autant. En marchant, ils étaient arrivés à l'arrêt de bus, bus qui d'ailleurs venait d'apparaître au coin de la rue. Songeant qu'elle allait monter dedans et échapper à sa question Noée ne dit rien tout d'abord. Mais quand l'autobus arriva à leur hauteur Gaël lui sourit et monta avant elle, allant s'asseoir au fond et lui désignant la place à ses côtés. Alors indécise, Noée s'assit à son tour et réfléchit à une réponse. Elle se tût longtemps encore, puis cru entrevoir une image qui semblait correctement représenter ce qu'elle voulait lui faire comprendre.
- Pourquoi tu apprends une nouvelle langue toi ?
- Quel rapport avec la danse classique ?
- Réponds à ma question, ça répondra à la tienne.
- Ben... pour parler un autre langage que le mien, faire des phrases avec des notions qui n'existent pas forcément en français...
- Et tu ne comprends pas la danse classique ?
Amusé, il se tourna vers elle. Elle le regardait d'un air qui semblait signifier "réfléchit enfin, c'est parfaitement évident !"
- Non, là je t'avoue que je vais avoir besoin d'aide pour faire le parallèle.
- Quand tu apprends une nouvelle langue, ton but n'est pas que les mots te ressemblent. Les mots existent déjà, certaines phrases ont déjà été dites avant toi. Des règles ont été établies et ça ne te dérange pas de les suivre. Parce que ce n'est pas ça qui compte ! Ce qui compte, c'est avec quel accent tu dis la phrase. Avec quelle intonation tu prononces les mots. Quels sentiments tu veux faire passer. C'est ça la danse classique. Un enchaînement de mots, de phrases, qui n'attend qu'à recevoir un peu de ton humanité. Tu as déjà les pas, mais qui dit que tu les reproduira comme tous les autres danseurs ? En réalité personne ne dit ça, parce que tout le monde sait que ce n'est pas ce que tu feras."
Les arrêts défilaient les uns après les autres, dans le vrombissement du moteur et sans que ni l'un ni l'autre ne dise un mot. Elle jubilait intérieurement, sentant qu'il cherchait une réponse à la sienne, qu'elle l'avait déstabilisé. Elle croyait avoir gagné ce débat. Pourtant, une fois arrivés descendu du bus et arrivés à leur résidence, il se tourna vers elle et lui donna le coup de grâce, alors qu'elle ouvrait la porte de sa montée.
« Je pense que les enfants ont raison.
- À quel sujet ?
- Le problème avec les langues, c'est que les mots et les règles existent justement. Alors tu as beau les tordre dans tous les sens pour essayer de dire quelque chose, ils sont plus forts que toi. Les enfants, quand ils ne trouvent pas le mot qu'ils cherchent, ils l'inventent. Je croyais que c'était pour ça que tu faisais de la danse. Pour inventer des mots. »
Il la laissa sur ceux-ci, lui tournant le dos, pensif, et s'éloignant jusqu'à la porte de sa montée. Elle ouvrit la porte de la sienne, songeant à ce qu'il venait de lui dire. Il avait raison. Elle commencé la danse contemporaine à leur rencontre, elle l'avait commencé pour ça. Alors pourquoi le classique ? Sa réponse à elle, soudainement, lui paraissait vide, comme pauvre, bancale. Elle en était si certaine pourtant. C'est cela qu'elle détestait chez Gaël. Il avait réponse à tout, et la faisait douter des siennes. Est-ce qu'il pouvait avoir raison à chaque fois, où était-ce elle qui était absolument incapable de répondre quoi que ce soit, tant il lui faisait perdre ses moyens ? Comment pouvait-elle à ce point manquer de répondant quand il était là ? Comment les mots pouvaient-ils à ce point lui manquer, à elle, qui semblait toujours trouver le mot juste ? Mais ce qu'elle détestait le plus, c'était sa capacité à la faire se sentir coupable. Parce que lorsqu'il lui avait tourné le dos, il avait tout simplement eu l'air... déçu. Pourquoi avait-il eu l'air déçu ? Elle n'était pas comme il voulait qu'elle soit, encore une fois. Et encore une fois, cela avait bien trop d'impact sur elle.
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Pulsions - en réécriture -
RomanceNoée a 18 ans au début de cette histoire. Gaël a 18 ans au début de cette histoire. Gaël est mort, à la fin de cette histoire. Pourquoi ? Pourquoi, ça on ne le sait pas vraiment.