Chapitre 6

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Il faisait froid. Vraiment froid. Octobre semblait avoir délaissé son habit rouge habituel pour se vêtir d'un gris sombre, et la ville était comme plongée dans une léthargie dans laquelle elle avait entraîné ses habitants.

Noée ferma la porte de son immeuble, referma son manteau et ouvrit son parapluie, les écouteurs dans les oreilles, la tête haute, et se mit à marcher d'un pas ferme vers l'arrêt de bus dans la rue qui longeait la résidence. Les yeux maquillées d'un trait d'eye-liner assez fin, la bouche teintée de rouge, chaussées de hautes bottes à talons noires, elle avançait d'un pas décidé, et n'avait pas l'air d'avoir remarqué Gaël, descendu derrière elle, qui la regardait avancer, silencieux.

Elle paraissait ne rien entendre. Elle avait à la naissance du cou le souvenir de sa dernière visite chez Arthur, souvenir qui lui laissait apparaître un sourire à la commissure des lèvres. L'esprit léger, elle avançait sûre d'elle.

Quand elle descendit du bus ce matin là, elle traversa les couloirs de la FAC le regard droit devant elle, ne s'arrêtant auprès de personne, levant légèrement la main en réponse aux signes qu'on lui faisait ci et là lorsqu'on la reconnaissait.

Elle avançait princière, majestueuse, comme si rien ne pouvait la troubler, la bouche fermée qui ne tremblait pas, le menton qui ne redescendait pas, les yeux qui fixaient un point loin au devant de sa marche, comme inaccessible, dont elle chercherait à se rapprocher.

Le temps était comme suspendu, comme ralenti, chacun de ses pas retentissait dans sa tête et pourtant, pourtant elle n'en entendait pas un seul, la musique était trop forte.

Elle était dans son monde, qu'elle refusait de quitter. Parce que la réalité était trop dure, trop froide.

La réalité, c'est que Gaël était revenu. Même s'il n'était jamais réellement partie, il avait fait son grand retour. Quand réellement ? Cela elle ne savait pas trop le dire. Mais alors qu'il commençait à s'effacer derrière Arthur, de plus en plus, qu'elle sentait naître en elle un quelque chose pour son petit ami, il avait commencé à revenir, dans ses mains, dans ses sourires, dans ses yeux. D'abord elle s'était énervée contre elle-même. Puis elle avait essayé de faire comme si de rien n'était. Après tout elle l'oublierait vite non ? C'était simplement une mauvaise passe dans son couple, une fatigue due à la période de l'année, au stress de la rentrée en plein Covid, à la peur du changement ! Arthur devait rencontrer ses parents, sa mère bien-sûr, avec qui la rencontre s'était bien déroulée. Puis son père, rencontre qu'elle appréhendait, et qui ne se déroulerait que parce qu'il le lui avait demandé, qu'il en exprimait le souhait, que ça semblait important. Et Arthur, qui depuis le début lui disait qu'il trouvait normal que leurs deux familles sachent, lui avait récemment fait remarqué qu'il trouvait ça étrange qu'elle en ait parlé à son père avec qui elle n'était pas si proche que ça. Ce serait la première fois que son père rencontrerait l'un de ses petits amis, et peut-être que cette simple crainte expliquait à elle seule le retour de Gaël dans sa vie ! Elle avait peur du changement, Gaël pendant des années avait été la règle et ses petits-amis les exceptions, et elle voulait revenir à la règle. Il suffisait de changer le règlement, et le jeu changerait lui aussi ! Sauf que le jeu n'avait pas l'air décidé à changer.

Les partiels n'aidaient pas. Plongée sur sa dissertation, dans la salle depuis 3h et là encore pour la même durée, Noée ne savait plus trop si elle devait encore penser. Pourquoi penser ? Réfléchir ? Un seul nom lui venait en tête. Gaël. Le Gaël qu'elle avait sous les yeux depuis des années, qu'elle aimait certainement autant qu'avant, et qu'elle n'avait pas su retenir. Le souvenir de leur dernière conversation lui revenait en mémoire. Elle lui avait parlé des difficultés de son couple, sachant au fond d'elle que non. Ce n'était pas qu'une mauvaise passe. Qu'Arthur et elle, c'était plus que certainement bientôt fini. Et que ce n'était ni le Covid, ni le stress qui la faisait ainsi douteur d'eux, au point de vouloir mettre un point final à une phrase qui l'essoufflait, qui manquait de virgules. Parce que leur histoire, ce n'était pas une phrase qu'on disait en faisant des pauses. Si jamais on s'arrêtait pour reprendre son souffle on s'arrêtait de parler, comprenant que dans cette phrase il y avait des mots qui n'étaient pas à leur place, et que cette phrase n'avait aucun sens. Seulement du souffle, Noée n'en avait plus. Arthur, c'était le pansement sur la plaie qu'avait causé Gaël et infecté Samuel. Mais l'infection avait guérit. La cicatrice de Gaël, en revanche, était toujours là, resterait toujours là comme pour toujours lui dire "souviens-toi". Quoi qu'il en soit, le pansement ne servait plus à rien, il fallait l'arracher.

Quoi qu'il en soit, c'est ce qu'elle avait dit à Gaël. Et en disant cela, elle avait cherché quelque part au fond de ses yeux l'étincelle qui lui confirmerait ce qu'elle voulait croire au plus profond de son cœur. Que c'était lui, que ce serait toujours lui, que ça ne pouvait pas être un autre que lui. Qui d'autre, sinon lui ? Mais il avait haussé les épaules, et lui avait dit "oh tu sais, ce n'est peut-être pas plus mal. Regardes nous, l'amour ce n'est pas pour nous. Nous, enfin moi au moins, la priorité c'est les études. Et quelques soient les sacrifices que je devrai faire pour ça, et le nombre de personnes que je devrai blesser. Oh non, je ne veux faire de mal à personne. Mais si je n'ai pas mon année du premier coup, et les suivantes, je serai bien trop blessé pour ça, moi. Et ce sera plus difficile à guérir que toutes les plaies que je pourrais infliger à qui que ce soit."

Vraiment Gaël ? Bien sûr que sur le coup elle avait compris. Et qu'avec plus de recul elle comprendrait que cette réponse n'était pas égoïste. Qu'elle était logique, que c'était la réponse que n'importe qui ferait dans leur situation. Mais là, dans cette salle d'examen qui lui servait réellement plus d'exutoire, elle trouvait ça tellement égoïste. Tellement injuste. N'importe quelle plaie ? Vraiment ? Et la sienne alors ? Celle qui était béante dans son cœur, qui ne se résorbait pas avec les années, qu'elle maquillait juste de mieux en mieux pour qu'on la confonde avec son teint ? Cette plaie là ? Il lui faisait du mal, il lui en avait fait terriblement ce jour là. Peut-être qu'elle aurait dû protester, essayer de dire quelque chose, lui rétorquer qu'ils devaient essayer, qu'ils se comprenaient, qu'Arthur, s'il voulait, c'était déjà du passé. Lui rétorquait qu'en réalité il souffrait juste de Juliette, ou de Clémence, ou que savait-elle ? Mais qu'elle l'aiderait, qu'à deux ils décrocheraient leur diplôme en étant heureux l'un avec l'autre. Mais elle n'avait rien dit. En réalité, quel effet est-ce que ça aurait eu ?

Le jeu n'était pas décidé à changer. Elle était amoureuse, encore, toujours, déjà, et c'était toujours plus violent que le jour précédent.

Pulsions - en réécriture -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant