Chapitre II

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Nico Di Angelo :

Cela fait déjà quelques instants que j'ai quitté l'infirmerie et la garde de Will. Je retraverse calmement le camp Sang-mêlé. Les demi-dieux s'occupent comme ils le peuvent. Clarisse Larue hurle à tue-tête en supervisant l'entrainement de nouveaux arrivants. Les enfants d'Hypnos lézardent sur des hamacs de leur bungalow. Les occupants du bungalow Appolon, quant à eux, préfèrent bronzer tranquillement au Soleil, sur le sable chaud de la plage. Pour ma part, je me dirige vers la forêt en lisière du camp, cessant ma marche à l'entrée du bois. L'après-midi est d'ores et déjà bien avancé, le Soleil décline laissant la cime des arbres couvrir progressivement le camp de leur ombre. Jetant un tout dernier regard en arrière, je comble l'espace me séparant de l'obscurité, et m'avance.

Mes pas me guident toujours plus profondément dans ce labyrinthe de troncs et de feuillages. L'air frais vient doucement caresser mon visage, me faisant frissonner. J'inspire profondément, profitant du calme régnant en maitre sur les lieux. J'ai toujours apprécié cette forêt, bien que certains la trouvent sinistre. Mais c'est justement la raison pour laquelle je passe la presque totalité de mon temps libre ici. Ces petits ruisseaux, ces pistes isolées, ses petites vallées assombries par l'immensité des sapins... tout cela m'apaise, m'aide à penser et surtout à réfléchir. Et j'en ai tout particulièrement besoin en ce moment.

En effet, depuis la fin de la guerre contre Gaia, tous mes problèmes n'ont pas disparu, loin de là, et continuent même de me hanter, mais tout ça j'en ai pris l'habitude au fil du temps. Seulement, les cicatrices de mon passé ne sont, cette fois-ci du moins, pas la raison de mes préoccupations.

En réalité, depuis la fin de la bataille et la victoire des demi-dieux, j'ai tous les jours le même pressentiment, celui que quelque chose cloche. Au début, je m'étais convaincu qu'il ne s'agissait que d'une stupide question de magie des enfers. En effet, alors que Gaia, Léo et Festus disparaissaient dans une boule de feu et d'or impérial, mon sang d'Hadès m'avait logiquement fait ressentir la mort. Seulement, la sensation était différente de celle que j'avais déjà pu connaitre. Quelque chose clochait, ou plutôt, quelque chose manquait. Ayant réussi à faire taire, un temps du moins, mes doutes, le retour de Léo et Festus les avait immédiatement fait resurgir. La conclusion que j'en avais tiré m'avait de suite glacé le sang, mais je suis obligé aujourd'hui de me rendre à l'évidence : je doute de la destruction de Gaia. Cette seule pensée suffit à me faire frissonner, me faisant croiser les bras contre mon torse, alors que je continue ma progression sur une petite piste recouverte de feuilles mortes, virevoltant au vent.

Si l'hypothèse de la survie de Gaia m'effraie tant c'est parce que tous, vraiment tous, sont convaincus du contraire et de notre victoire. L'Olympe a repris ses mauvaises habitudes et s'étrille. Si tous les demi-dieux ont l'habitude de ces petites querelles ridicules entre divinités, cette fois-ci ces luttes intestines m'inquiètent tout particulièrement. Mon dernier échange avec mon père aux Enfers y est certainement pour quelque chose. ''Profite de ces temps de paix, ils ne pourraient guère durer...'' m'avait-il prévenu avant mon départ. Si, sur le moment, je n'y avais pas prêté d'attention particulière, les rivalités entre Hadès et Zeus étant récurrentes, ces paroles prennent tout leur sens maintenant.

Finalement, c'est l'accumulation de toutes ces réalités qui me préoccupe. D'abord, les dieux de l'Olympe se déchirent et pendant ce temps, ils ne veillent pas à leurs défenses. Ensuite, mon père Hadès, fidèle à lui-même, à guetter la moindre opportunité de tirer son épingle du jeu, néglige son attention sur les Enfers et surtout le Tartare. Et enfin, les camps Sang-mêlé et Jupiter, assurés de leur victoire, ne veulent plus entendre parler de guerre. Je le sais bien, la situation est critique, j'espère me tromper, sincèrement... Seulement, lorsque l'on baisse la garde, le malheur n'est jamais loin.

Alors que cette pensée obnubilait mon attention, je sens soudainement comme une onde de choc venir me frapper de plein fouet, me faisant tomber à genoux sur la terre froide. Une série de flash vient alors m'assaillir. Je peine sincèrement à croire à la scène à laquelle j'assiste. Le Soleil décline sur des hauteurs rocailleuses et boisées, surmontant une vaste baie. Soudain, une petite troupe de pégases, montés par des jeunes dotés d'armures et casques argentés, de longs manteaux pourpres, de lances, d'épées, d'arcs et de flèches, fondent en piqué du ciel. La vue de leurs opposants suffit à me glacer le sang, des Titans. Mais c'est tout bonnement impossible ! Ce sont ceux censés être précisément enfermés dans les profondeurs ardentes du Tartare ! Seulement cette certitude est vite balayée lorsque je reconnais l'un d'eux, Hypérion, dans son armure dorée, nimbée de flammes. Ces monstres subissent de plein fouet l'attaque des cavaliers volants, menés en tête par un jeune homme brun criant avec ferveur ''¡Mis amigos! ¡Por Solaria! ¡Ataque!''. La lutte est difficile et d'une violence inouïe. Certains cavaliers se retrouvent écrasés par les coups des Titans, mais à chacun de leurs camarades tombés, ces jeunes combattants se relancent dans la mêlée avec une fureur redoublée, embrochant, sabrant, transperçant tous les monstres osant se mettre sur leur chemin. Une fois encore, le brun se retrouve en tête de la charge, faisant payer cher à l'ennemi les pertes infligés à sa compagnie. C'est à cet instant que je revois Hypérion, prenant la fuite avec le reste des créatures survivantes. Un regard capte soudain le mien, il s'agit de ce même brun me fixant. Je me perds immédiatement dans ses yeux ambrés. Seulement notre court échange est brutalement coupé par des hurlements de bêtes sauvages, et mon brun se retournant subitement vers un de ses cavaliers l'interpellant ''¡Julio!''.

C'est à cet instant que la transe s'est brisée, propulsant mon corps de tout son long sur le sol froid. Une dernière pensée cohérente s'est alors formée dans mon esprit, les ténèbres m'enveloppant de leur froideur et obscurcissant ma vision.

-Je dois prévenir les autres...

SUNFALL Tome 1 : La Chute de l'OlympeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant