Plusieurs années plus tard...
J'ai bientôt dix neuf ans. Mes études en psychologie à l'étranger m'ont éloigné de Léo, mon meilleur ami et de Maman. Pourtant, chaque jour que je passe à l'université, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pour eux et de me dire que tout aurait été beaucoup plus agréable et amusant s'ils étaient là, à mes côtés. Pendant les vacances, je retourne à la maison chez Maman. Et j'en profite pour passer le plus de temps possible avec Léo. Nous rions à gorge déployée, nous nous asseyons aux terrasses de tous les cafés environnants, nous nous baladons à vélo à travers la campagne et surtout, nous faisons des veillées nocturnes sous le ciel étoilé.
- Je n'aime pas la nuit. Affirme soudain Léo, rompant ainsi le silence doucereux qui flotte entre nous depuis plusieurs instants.
- Pourquoi cela ? Je demande, intriguée.
- L'obscurité empêche les esprits d'y voir clair. Le cœur divague. L'âme se perd. Le sommeil s'envole et les gens nous manquent. L'agitation du jour couvre le vacarme de mes réflexions, mais une fois la nuit tombée, elles reprennent le dessus et font de moi, un être lugubre, assoiffé de réponses. Toutes nos peurs les plus inavouées refont surface en pleine nuit, nous affligeant ainsi angoisse, panique et terreur les plus profondes.
Je lève mon regard brun vers cet être, que je croyais connaître sur le bout des doigts mais qui me parait, à cette seconde, si mystérieux. La manière poétique teintée de philosophie dont il a évoqué sa crainte jusqu'à présent inavouée, me laisse coite de stupeur. Je le dévisage avec admiration. Mon cœur, pour une raison que j'ignore, manque un battement. Confuse, je reprends le contrôle de moi-même et de ce cœur, devenu fou, qui bat la chamade et menace de rompre ma cage thoracique. Léo semble gêné par la façon dont mon regard est posé sur lui. Aussi délicat qu'un papillon sur une jolie marguerite un soir d'été. Cependant, ce n'est pas lui que je regarde. Je me fiche bien de son apparence, de ses cheveux en bataille, du reflet doré de ses yeux chocolat, de son nez légèrement retroussé et de ses minuscules taches de rousseurs invisibles lorsqu'on ne s'approche pas assez. Ce n'est pas lui que je regarde. Ou du moins pas son apparence. C'est son âme que je lis à travers son visage, la douleur qui se reflète dans son regard, et cette étrange lueur inhabituelle qui enflamme ses pupilles. Mille rouages tournent dans mon esprit. Après plusieurs longues minutes de réflexion, qui semblent visiblement interminables pour mon ami, je m'éclaircis enfin la voix :
- Je ne suis pas de cet avis. Maman me disait de toujours voir le bon côté des choses. Débuté-je en baissant les yeux. La nuit, lorsque notre esprit s'envole vers le pays onirique et que nous tombons dans les bras de Morphée, tous nos problèmes d'amitié, d'amour, de famille, toutes nos craintes, tout notre stress quotidien, toutes nos questions et nos appréhensions, s'effacent. Ou plutôt, se retirent le temps de quelques instants. Je crois que dormir est, d'une certaine façon, une manière poétique de donner répit à notre âme et à notre esprit. Expliqué-je à mi-voix.
A son tour, Il m'observe longuement. J'ai l'impression qu'il essaye éperdument de déchiffrer mon regard rêveur. En vain. Mes yeux fuient, se tournent vers la pleine lune qui surplombe le ciel clair ce soir-là.
Je ne me sens pas bien. Pas bien du tout.
J'ai le sentiment qu'un incendie dévaste chacune des cellules de mon corps, qu'une brume épaisse et opaque envahit mon esprit et que ma langue est retenue par une chose indéfinissable, m'empêchant de parler, de hurler toute la force de cette sensation nouvelle qui accapare ma conscience. Je veux m'abandonner à ce sentiment intense, le laisser naïvement s'emparer de mes faits et gestes, me guider à travers ce nuage d'émotions que je peine à traverser vaillamment. Mais je m'abstiens. Je me sens trembler, rougir jusqu'aux racines et balbutier quelques mots incompréhensibles sous l'expression interrogatrice de Léo, avant de me lever et de m'enfuir à toutes jambes jusqu'à ma maison. J'ai honte de mon comportement.
Là, je m'enferme a double tours dans ma chambre. Je suis terrifiée à l'idée de devoir affronter cette terrible réalité en face. Non, je ne veux pas. Je dois oublier les pensées puériles qui envahissent peu à peu mon esprit, et le meublent d'images agréables et d'une chaleur inouïe. J'essaye de lutter mais tous mes efforts pour repousser ce sentiment enjôleur, naissant au fond de mon estomac, restent vain.
Contre toutes attentes, je sais exactement ce qui m'arrive. Et j'en suis absolument horrifiée.
J'aurai préféré ne pas en être aussi convaincue.
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Broken.
Fiksi RemajaChaque personne a un chapitre de sa vie qu'elle ne lit pas à haute voix.