Chapitre 26

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Le lendemain, je renvoie Plume avec un nouveau message pour mes coéquipiers. Et je me suis faite une promesse : si d'ici à la fin de la journée je n'ai encore vu aucune avancée, je passe à l'action. Je ne me sens pas du tout en sécurité ici, et mieux vaut que je ne m'y attarde pas trop. Une lettre a été glissée sous le pas de ma porte et je la déplie avec curiosité. La première chose que je regarde est la signature, du Baron. Celui-ci me convie, pour ne pas dire convoque, à une réunion au cinquième étage. Je n'y ai encore jamais mis les pieds, mais l'enveloppe indique 10 heures, je vais donc le découvrir dans une demi-heure. Je m'habille en vitesse, puis m'engouffre dans les couloirs, munie de mon plan. Ces couloirs blancs sont si aseptisés, si ennuyeux, j'en viens à regretter les hauts murs sculptés des bâtiments elfes, qui m'ont toujours paru banales. Ou alors les petites rues délabrées et exiguës des bas quartiers où l'on ne savait jamais ce qui allait surgir au prochain tournant. Mes pensées s'égarent vers un territoire bien dangereux quand je me remémore courir dans ces rues, escalader ces toitures. À un croisement, je me cogne à une silhouette bien plus massive que la mienne, et manque de perdre mon équilibre. Je me retiens de jurer quand je reconnais Bertrand, qui s'excuse rapidement avant de s'éloigner en me souriant. Si je lui fais penser à sa fille, il me fait penser à mon père. C'est la seule personne que j'aie croisée ici qui ne me donne pas envie de m'enfuir ou de distribuer des coups de poings. Une fois devant la salle de réunion du cinquième étage, je pousse la porte après avoir regardé l'heure, je suis légèrement en avance. Dans la salle, une dizaine de personnes se tournent vers moi, toutes masquées à l'exception du Baron. La discussion qui avait lieu semble s'être brutalement arrêtée, et je regrette de ne pas avoir pris la potion que m'a confiée Sana pour développer l'audition. Je suis sûre qu'il se disait des choses très intéressantes avant mon arrivée.

- Bonjour. J'espère que je ne suis pas en retard !

Je rentre d'un bon pas et avec un grand sourire, m'installe sans aucune délicatesse sur le seul siège inoccupé, puis fixe ostensiblement les individus qui m'entourent.

- Je ne savais pas qu'il fallait cacher son visage, sinon j'aurais mis un masque. Je continue.

Le Baron et plusieurs autres personnes paraissent mal à l'aise et détournent le regard, ou se mettent à parler à voix basse.

- Hum, et bien ici ceux qui ne veulent pas dévoiler leur identité au grand jour en ont la possibilité.

- C'est un gage de sincérité et de ralliement comme un autre. Mais je suppose qu'au final le plus important, c'est d'assumer ses actions, n'est-ce pas ?

La femme à côté éclate d'un rire franc, et plusieurs la rejoignent, alors que d'autres préfèrent me foudroyer du regard. Mais je sais que c'est en feignant un comportement franc, direct et impulsif que j'écarterais le plus facilement tous soupçons.

- Bien. Nous pouvons commencer. Comme vous l'avez vu, nous accueillions aujourd'hui une nouvelle recrue. La fille de la Duchesse. Comme vous le savez, son rôle était déjà écrit dans nos projets avant sa naissance. Je vous demande donc de lui faire un accueille des plus chaleureux. As-tu choisi un nom jeune fille ?

Au départ j'avais opté pour quelque chose de provocateur comme " la princesse", ou " l'héritière", mais je doute que ce soit très malin, pas vrai ?

- Je serais la Justicière.

Je pose mes coudes sur la table et repose négligemment mon menton sur mes mains nouées. Je défis la salle du regard, mais personne ne moufte. Qu'est-ce que j'adore me foutre ouvertement de leur gueule et les voir en redemande !

- Très bien. Alors maintenant que nous sommes tous là, je propose que nous passions à l'ordre du jour.

Quatre jours s'écoulent ainsi. Le matin, réunions, parfois à une dizaine, mais aussi en tête-à-tête avec le Baron, et l'après-midi, j'ai quartiers libres et vous pouvez sûrement deviner où je dépense mon temps. Tous les soirs, je fais mes rapports à Cassius et les envois après avoir joué avec Plume. Ce qui n'était au départ qu'un petit surnom est à présent devenu son nom, et je trouve que ça lui va bien. C'est un oiseau après tout. Dans mes comptes rendus je décris méthodiquement à Cassius mes journées, et le contenu des réunions auxquelles j'ai assisté. Malheureusement, même s'ils commencent à me faire de plus en plus confiance, je n'apprends pas grand-chose. Les réunions ne parlent pas vraiment d'actions concrètes, mais de l'organisation qui viendra APRÈS le coup d'État. Il est maintenant certain que des membres du gouvernement humain sont impliqués, et compte le renverser en même temps que celui des elfes. Pour ce qui est des nains et des fées, rien ne laisse à penser qu'ils soient aussi de mèche. Cassius m'affirme dans une réponse que les fées sont complètement hors de cause, et je le crois. Par contre, je suis enfin capable de lui fournir des chiffres que nous espérions depuis des mois : le nombre d'elfes impliqués. Ils seraient plusieurs centaines, mais sur le nombre que nous sommes au total, cela ne représente qu'un faible pourcentage. Ce n'est qu'une question de temps avant que je mette la main sur leur liste de membres et cette affaire sera réglée. Sur les conseils de Cassius, je me fais oublier pendant les réunions, en espérant qu'ils lâchent des informations importantes. Même si je croyais au départ qu'on se méfiait de moi, j'en suis arrivée à la conclusion que leur manière de fonctionner ici est la fragmentation de l'information. Personne à part le Baron ne semble être au courant de l'ensemble des informations, ou autorisé à parler de son rôle de manière détaillée. Mes réunions avec le Baron, quant à elles, consistent en un listage d'informations, ou je lui dévoile tout ce que je sais sur le fonctionnement de la garde, les postes, les conseillers et leurs lieux d'habitations, et d'autres choses dans le genre. J'invente une fois sur deux, afin de rester crédible et de pouvoir toujours argumenter que forcément mes informations datent un peu. Dans tous les cas, j'écris tout ce que je dis à Cassius pour qu'il prenne les mesures nécessaires. Après quatre jours passés ainsi, je commence sérieusement à perdre patience. C'est le cinquième jour, à la fin d'une nouvelle réunion ennuyeuse à mourir, que le Baron fait une annonce qui marque le début de l'élaboration de mon plan :

le royaume des elfes 2-AuroraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant