Un procès disputé

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Conformément au plan - suffisamment rare pour le noter ! - au petit matin, nous voilà entrés dans l'imposante citadelle de Duraz-Ěrit. Je vous épargne les détails, la nuit fort ennuyeuse passée en compagnie de Sir Allan, la gueule de bois d'Aector et l'absence remarquable d'Ëlyias. Il y aurait beaucoup à en dire, mais pas sûr que cela soit du plus grand intérêt.

Quoi qu'il en soit, les portes se sont ouvertes à notre délégation. Et tout aussi prestement, se sont closes à sa suite. L'instant d'après, une cohorte de nains nous encerclait, si lourdement emmaillotés qu'il n'en filtrait plus la moindre parcelle de peau. Un tel comité d'accueil n'est pas chose courante. Eh oui, même pour nos secrets voisins des montagnes. Néanmoins, les circonstances légitiment quelque peu cette démonstration de force. Entendez-le, ce n'est pas tous les jours que l'occasion est donnée à un peuple de juger l'un de ses plus abominables génocidaires. Malgré tout, la centaine de lances, épées et traits pointés dans notre direction me paraissent un tantinet exagéré. Principal instigateur de cette arrestation, je ne m'étais certainement pas figuré une si vive réaction et un tel engouement pour une affaire vieille de 267 années.

- Humains, lâchez vos armes et posez les devant vous, nous lance le héraut de cette harde guerrière. Quant à toi, Yakãar, ne tente rien ou nous te détruirons.
- Nous ne sommes pas venus en ennemis du peuple nain, lui répond Aector, faisant fi de la menace pour ne rien y changer.
- Et pourtant, vous vous affichez ici en présence du Yakãar, le tueur de nains. Cette compagnie vous vaudrait d'être tué sur le champ, si votre ami ne nous avait au préalable prévenu de votre arrivée.

À peine a-t-il révélé cela, qu'un souffle glacé frôle ma nuque, précédant le courroux informe dont me darde Aector. Transi de culpabilité, en dépit du bon sens de ma dénonciation, je sais que c'est à moi qu'il incombe désormais de parler :

- Braves nains, comme le veut la bienséance, permettez moi de me présenter. Je me nomme Aëmys, baron de Karinas, conteur et barde d'Orquéra. M'accompagnent celui que vous nommez le Yakãar, feu Sir Allan de Montourail, ainsi que notre escorte, Joblin. Veuillez excuser son impudence. Figurez-vous qu'il a pour tâche de nous défendre et qu'il s'en acquitte avec le plus grand sérieux. En signe de notre bonne foi et dans le dessein que notre séjour ici se déroule au mieux, nous obéissons à votre injonction. Joblin, nous ne risquons rien dans cette cité où les préceptes de justice sont, je n'en doute point, scrupuleusement appliqués, dis-je en me penchant vers Aector. Lâche tes armes pour que nous puissions résoudre ce différend.

Je perçois dans son regard une colère sourde. Lui qui était déjà tombé bien bas, il ne se figurait certainement pas devenir un laquet, encore moins a mes pieds. Vous en conviendrez, cela est plutôt coquace et assez hilarant, je dois le reconnaître. Pourtant, croyez-moi, il s'agit moins de le rabaisser que de sauver notre épopée. À votre avis, que penserait le Parjure s'il apprenait que son plus vigoureux opposant recrutait dans une cité naine ? Il l'imagine mort ou comme tel, à tout le moins effacé des livres d'Histoire, et il est préférable qu'il en reste convaincu. Sinon, eh bien, sa croyance se réalisera et nous disparaîtrons pour de bon. Heureusement, notre seigneur a un tantinet de jugeote et il se délie finalement de sa lame, qu'il jette devant lui.

- Fort bien, vous voilà nos hôtes désormais, annonce le capitaine de la garde, non sans une pointe de sarcasme. J'espère que l'hospitalité naine conviendra à ces seigneurs d'au-delà les mers. Et maintenant, Yoruk, mettez les aux fers.
- Je m'attendais à cette contrariété, ripostè-je avant que son adjoint n'ait eu le temps de réagir. Néanmoins, sachez maître nain, qu'il n'est point question que je moisisse dans l'une de vos alcôves, tandis que la vie s'écrit en dehors. Je connais vos coutumes et la fierté que vous avez à les respecter. J'invoque le Aktřiâ.
- Vous oseriez ?! Seriez-vous assez fous pour le tenter ?
- La folie serait de se laisser condamner à végéter sans rien essayer. Mon existence se contera ou s'achèvera.
- De quoi parle-t-il ? me murmure Aector, autant intrigué qu'alarmé. Sur quelle route m'embarques-tu encore ?
- Laissez moi gérer cela, faites simplement en sorte de ne pas nous faire démasquer, lui chuchotè-je en retour.
- Que marmonnez-vous, humains ? s'impatiente le rocailleux.
- Rien, nous confirmons notre désir d'invoquer le Aktřiâ. Je mets en balance nos vies pour attester que Sir Allan de Montourail ne mérite plus le titre de Yakãar, qu'il a changé et qu'il peut dorénavant errer sans crainte pour ceux de votre race.
- Qu'il en soit ainsi. En ma qualité de capitaine de la garde de Duraz-Ěrit, je déclare donc le Aktřià ouvert, le premier depuis un demi-siècle. Aëk untŕâ solõ mëlidåcqūa, urphæ Aktřiâ ýenu vêr.
‐ Que le soleil daigne se lever une fois encore sur ces malheureux, la renaissance s'offre aux vrais repentis.
- Ah, un humain qui parle le nain, s'étonne mon interlocuteur. Voilà qui est fort rare, et le sera plus encore, j'en ai bien peur.

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant