– Et maintenant, chante !
Gloire à toi, Arasmée
Hier, tu naissais
Lorsqu'une pierre fut posée
Ton histoire débutaitCes quelques mots s'envolent, tandis que d'autres leur succèdent, à peine mieux inspirés. Devant les regards apitoyés de mes camarades séquestrés, je les enchaîne cependant et prie pour que cela suffise à notre salut.
Cela faisait belle lurette que je ne m'étais point produit, il faut le reconnaître. Les clameurs d'une foule charmée, la reconnaissance d'un commanditaire ravi tout autant que la satisfaction d'une prestation accomplie. Voilà bien des émotions qui m'avaient manqué... et me manqueront encore, cette soirée terminée. Laissez-moi vous détailler l'affiche de cette tragédie qui se joue à l'instant. Restez en alerte, car le tableau risque fort d'être vivant, en dépit des premiers faux semblant.
Tout d'abord, le décor, car nulle pièce ne se joue sans plancher. Prenez toutes les teintes les plus sombres de votre répertoire, associez les à la plus vaste salle où vous ayez mis les pieds – difficile pour vous, je l'admets – et vous n'y serez pas encore complètement. Balayez de vos esprits les quelques cadres et peintures qui l'habillent, oubliez les candélabres qui l'illuminent et remplacez les par de mornes pierres et de sinistres cages pendues au plafond. Oui, ainsi vous aurez une meilleure idée du théâtre qui nous accueille, bien loin de l'éloge que je m'apprête à en faire :
Splendeur et Majesté
C'est à Arasmée que fut bâti
La prunelle de nos cités
Un manoir regorgeant de vieAprès le lieu, il nous faut l'horaire. Attention, pointez vous en retard et il ne sera plus temps d'y assister. Oh que non, je ne tiens pas seulement à vous charrier. Prenez le pour acquis, tout va très vite se jouer. La soirée a mal débuté, je vous le concède, mais en un rien de temps, elle pourrait s'éclairer. Pardonnez donc votre auteur si je me contredis désormais, mais il me faut un fugace instant, frôler l'éternité :
Un siècle s'est fatalement écoulé
Et pourtant pas un pli
Arasmée tu n'as glané
Te voilà en route vers l'infiniAh, ce qu'il est mal de mentir, mais n'est-ce pas là l'essence même de l'actorat ? Oui, vous me voyez venir, il est temps de brosser les différents rôles ainsi que leurs interprètes. Par qui commencerons-nous ? Oh, je vous vois venir, réclamant que l'on vous parle du héros sans tarder. Pas de chance pour vous, les figurants s'affichent en tête de ma liste. Voyez-vous, ils constituent le cadre sur lequel s'arriment les autres. Pour cette représentation, ils forment une cohue d'elfes avinés, le teint pâle et les yeux ébènes. Quoi, vous ne visualisez pas ? Quelle piètre imagination que la vôtre ! Essayons quelque-chose à votre portée, alors. Remettez-vous en tête ces vieilles histoires d'immortels aux canines saillantes. Ah, je vous sens déjà plus inspirés, je me demande bien pourquoi... Placez les maintenant sur de longues tables où coulent à flot le vin rouge et ses substituts, et vous aurez l'image de fond.
Un peu plus en avant, s'affichent dorénavant les seconds couteaux. Ils apportent à l'histoire, tout en restant subsidiaires. Pour cette pièce, ce sont mes compagnons, bien mal installés dans d'horribles cages suspendues. Aector, Ëlyias et même Yoruk sont là à me regarder. Bah, ils se tournent les pouces, encore, attendant d'être une énième fois sauvés par leur incroyable acolyte. Et Sir Allan, qu'en est-il ? Ma parole, vous l'auriez oublié ! Il s'avère être lourdement entouré, menacé de la pire des rossées. Clairement, ce n'est pas d'eux que viendra notre salut.
Enfin, ceux que vous attendiez avec impatience, les roi et reine de ce plateau. J'ai nommé Aëmys, illustre orateur et charmeur de foule. Je campe le rôle du protagoniste, cela va de soi. Et que fais-je ? Je divertis l'auditoire, le brosse dans le sens du poil, attendant que mon heure vienne. Face à moi, me rendant la réplique et me contraignant à jouer, l'antagoniste de cette pièce, Arasmée en personne. Elle fanfaronne, se gausse de notre mésaventure et de la tourmente dans laquelle elle nous a poussée. Cette fête est la sienne, assurément, mais elle ignore encore que ce soir, c'est sa fête ! Regardez bien, il se pourrait qu'un importun soit aussi du gratin...
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La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...