Une minute, quelques heures ou des jours entiers, allez savoir combien de temps s'est écoulé depuis mon dernier éveil. Et pour ne rien changer, me voilà à nouveau plongé dans une pénombre presque complète. Rendons grâce aux quelques lueurs qui s'échappent des cadavres de bougies environnantes, sans lesquelles je ne pourrais pas vous informer de mon gîte, une espèce de bicoque mal fagotée. Et passablement trouée, eu égard au bruit du vent la transperçant.
- Aie ! ne puis-je retenir un juron.
Ce commentaire narquois m'a rappelé ce qui m'a amené ici, cette atroce plaie qui me cisaille le ventre. D'ailleurs, est-ce moi où il fait froid ? Et pourtant, ce sont bien des gouttes de sueur que je sens perler sur mon front. Argh, je n'y comprends plus rien...
- Tu es réveillé ? me questionne alors Aelenor, déboulant d'une pièce adjacente et que mon cri a dû rameuter.
- Oui, où sommes-nous ?
- C'est une vieille maison abandonnée, mais il te fallait un abri. Tu n'es pas très en point, croit-elle m'apprendre.Rien que de l'entendre, je sens mon abdomen se contracter et ma douleur revenir avec encore plus d'intensité. S'il n'y avait qu'elle encore, mais tout mon côté droit est en charpie. On remerciera cette grosse brute cornue, hein !
- Je... je suis resté assoupi longtemps ? demandè-je, inquiet de sa réponse.
- Quatre jours, ça fait quatre jours que nous nous sommes enfuis du palais, m'annonce-t-elle.
- Autant de temps, mais...Dans ma stupeur, je cherche à me relever, avant qu'un éclair ne me rattache à ma couche. Je peine alors à respirer, pris d'une envie de vomir.
- Reste tranquille, ou tout ce que j'ai entrepris pour te garder en vie n'aura servi à rien, me gronde-t-elle à moitié.
- Il... il faut que j'écrive. Mon... mon carnet, tu l'as ?
- Tu crois vraiment que c'est le moment pour ça ? continue-t-elle de me sermonner. Tâche déjà de rester conscient et l'on en reparlera.
- Je ne rigole pas, j'ai... j'en ai besoin, insistè-je.
- Hm, encore une fois tu fais ta tête de mule, soupire-t-elle. M'écouteras-tu un jour ? Tiens, je l'ai conservé, tout en sachant que tu me le réclamerais à l'instant où tu ouvrirais les yeux.
- Merci. Une chose encore... Peux-tu rester là et... m'aider à tout me rappeler ? Tout est si nébuleux.
- Eh bien, allons-y...Malgré son désespoir me concernant, Aelenor joue le jeu et, tous les deux, nous retraçons le cours de la dernière semaine. Vous l'aurez compris, ces quelques mots que je couche désormais sont les derniers d'un long récit de plusieurs journées. Et lesquelles ! Mais reconnaissez la performance. Même à demi mort, vautré sur un matelas de fortune, le bras fracassé et le teint blafard, je suis parvenu à une narration des plus fidèles. Ce sera peut-être ma plus belle symphonie, voire mon requiem si je ne m'en tire pas...
Et je sais que Fìnael et Yoruk sont toujours parmi nous. Remarque, je n'avais pas besoin qu'elle me l'apprenne, les ronflements de ce dernier sont si puissants qu'ils font trembler jusqu'aux parois de ma chambre.
- Maintenant que tu as rassemblé toutes les informations utiles à ton journal, tu devrais en profiter pour te reposer un peu, conclue-t-elle notre échange. Et inutile d'essayer de me la faire à l'envers, je vais rester auprès de toi. J'en profiterai pour changer tes pansements et m'assurer que tu dors...
Est-ce une menace ? La connaissant, aucun doute. Bah, je suis de toute façon trop épuisé pour résister. Je n'ai d'ailleurs pas le cœur à me battre et m'endors la mine grave. C'est alors dans un mauvais sommeil que je glisse. Mon corps s'embrase au souvenir des combats, puis gèle face aux réminiscences des mes camarades tombés. Un instant, il s'abîme dans l'obscurité la plus profonde, cernée du néant, lorsque je repense à ce que j'ai accompli. Une vallon face à la montagne que je vous avais promise. Me pardonnerez-vous ? Le ferais-je moi-même ? Mieux aurait valu pour tout le monde que je demeure à Karinas...
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La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...