Marchons vers le passé

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Cela vous étonnera peut-être, mais je me sens plus léger. Après toute cette tension, ces morts, ces querelles et atermoiements sur nos mouvements futurs, j'ai enfin un cap et personne pour me critiquer à longueur de journée. Quel pied ! Et puis, Yoruk et Fìnael sont tout de même plus faciles à vivre, on ne va pas se mentir.

Deux jours se sont donc envolés depuis la séparation. J'ignore en ce qui vous concerne, mais moi je me demande comment s'en sortent les autres. D'autant plus en mon absence... Et surtout, vue la galère dans laquelle ils se sont embarqués. Retrouver la famille d'Aector, et puis quoi encore ! De vous à moi, c'est peine perdue, non ? Roh, je me demande pourquoi je prends encore la peine de vous interroger. Vous n'êtes jamais de mon point de vue. C'est bien ma veine, tiens ! Sur le fond, oui, je conçois aisément la chose, c'est même parfaitement légitime. Dans les faits, en revanche, ça n'a rien de très sensé. S'aventurer en territoire ennemi, c'est déjà très risqué, mais y mener une enquête qui plus est, c'est être sacrément frappé. Et vous voulez savoir ce qui m'inquiète le plus ? C'est l'influence qu'aura cette vipère sur notre héros. Ëlyias, bien sûr ! N'étant plus là pour lui renvoyer la balle, il est certain qu'il en profitera pour répandre son venin.

Bref, pour l'heure, cela ne nous concerne plus. Justement, et nous ? Ah, que d'impatience, j'allais y venir ! Figurez vous que cela a été plutôt calme. Au début, la cadence s'est avérée quelque peu ralentie par l'entaille dont a écopé notre vénérable rocailleux. Fort heureusement, cette caillasse est résiliente et il n'a pas fallu longtemps avant que nous enchaînions à nouveau les milles, allongeant la distance entre nous et le lieu de notre crime.

- La voie est libre, m'annonce Yoruk, faisant suite au passage d'une cohorte de dix cornus.
- Bien, filons avant qu'il n'en arrive d'autres, commandè-je.
- J'espère qu'il n'est rien arrivé à Fìn', elle devrait déjà être de retour.
- Cessez donc vous inquiéter, elle n'en est pas à son premier coup.

La route pavée derrière nous, nous reprenons plus tranquillement, tout en restant aux aguets. Le peu de végétation de notre environnement dévasté rend la discrétion mal aisée. Or, nous ignorons encore ce qu'il nous arriverait si nous étions débusqués. Et cela va peut-être vous surprendre, mais l'idée d'essayer ne nous a pas franchement traversé l'esprit. Quels petits joueurs nous faisons !

Dans un thalweg, à l'ombre d'une carcasse de chêne récalcitrante, nous l'attendons donc. Non loin, se situe la ville d'Orian, une des plus importantes du royaume. En tout cas, avant l'invasion orc, j'espère que vous l'aurez deviné. Depuis lors, elle a basculé dans le giron du roi félon et de sa horde. Qu'en est-il de sa population, y reste-t-il ne serait-ce qu'un habitant ? Je vous assure que moi aussi, j'aimerais le savoir. Mais j'ai trop peur de ce que j'y trouverais. Et je ne compromettrai pas notre mission pour si peu. D'autant que, reconnaissez-le, notre trio ne brille plus par sa force. Ah, le niveau intellectuel s'est certes envolé, mais le tour de bras a lui drastiquement diminué.

Vous vous demandez sans doute ce que nous faisons, quelle raison il y a à stationner en ce coin lugubre, tandis que notre route se poursuit vers le sud. J'ai nommé la faim. Voilà deux jours que nous errons tels des âmes sans pain, se contentant de la moindre becquet que nous trouvons sur notre chemin. La famine complète. Pourquoi donc ? Mais regardez autour de vous, bon sang ! Que voulez-vous qu'il pousse ici ? La terre est ocre et stérile, aucun arbre fruitier n'a plus la force de pousser en ce triste territoire. Quant aux bêtes, elles ont depuis longtemps émigré, ce que tout un chacun avec un tantinet de jugeote ferait. Malheureusement, il nous faut manger, c'est une réalité. À dévorer les kilomètres, nous avons épuisé nos maigres réserves et il est inconcevable d'en enquiller d'autres sans nous sustenter.

- C'était une mauvaise idée, nous n'aurions pas du nous séparer, reprend Yoruk après quelques minutes.
- Dois-je vous rappeler que nous n'avions guère d'autre choix ? Fìnael est une experte en la matière. Je lui fais entièrement confiance pour nous tirer de ce mauvais pas.
- Hm, j'ose croire que vous avez raison...
- Que vous arrive-t-il ? Est-elle à ce point talentueuse qu'elle vous aura également dérobé votre cœur ? le taquinè-je pour passer le temps. Il y a quelques jours seulement, vous étiez prêt à nous livrer en pâture à sa reine, et voilà que vous vous souciez désormais de nous. Ou ne serait-ce qu'elle ?
- Barzul ! me crache-t-il à moitié. Mon comportement n'était pas digne de mon peuple. Vos mots ont su me le rappeler. Et puis, vous parlez, vous parlez, mais où en sont vos beaux principes ? N'étiez-vous pas vent debout contre le larcin ?

La Compagnie d'AectorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant